Il y a quatre ans, nous avons salué l’arrivée des Fonds Euro Nouvelle Génération (« Next Generation EU Funds ») comme un moment clé de solidarité pour l’Europe, à travers un ensemble de mesures de redressement après la pandémie qui incluait, pour la première fois, des transferts budgétaires entre les États membres de l’Union européenne. La semaine dernière, le prochain stade de ces mesures a profondément été remis en question.
La victoire des partis d’extrême-droite et des partis eurosceptiques lors des élections au Parlement européen n’a pas amélioré la situation. Le principal risque provient toutefois de la décision du président Emmanuel Macron de convoquer des élections législatives rapides en France, après que le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen soit arrivé en tête des élections européennes dans le pays, avec 31,5% des voix.
L’euro a chuté d’environ 1%. Les spreads des bons du Trésor français, déjà sous pression en raison des tensions budgétaires et d’une révision à la baisse de la notation, ont atteint leur niveau le plus élevé depuis cinq ans, entraînant avec eux les spreads italiens et espagnols. Le CAC 40 a chuté de 3%, les valeurs bancaires françaises étant particulièrement touchées. Selon nous, il y a eu une fuite vers la qualité, les obligations allemandes ayant surperformé.
Il ne s’agit pas de mouvements propres à une crise, mais ils illustrent à quel point les enjeux sont importants d’ici les élections françaises du 30 juin et du 7 juillet prochains, et à quel point le sentiment du marché qui a permis aux spreads des obligations de la zone euro de se resserrer ces dernières années est désormais menacé.
Disruption ?
La composition du Parlement européen, qui joue un rôle essentiel dans l’établissement du budget de l’UE et l’adoption de la législation, n’a pas autant basculé vers les partis d’extrême-droite et eurosceptiques que les sondages d’opinion le laissaient entendre il y a deux ou trois mois.
Les partis écologiques, sociaux-démocrates et de gauche ont perdu un nombre substantiel de sièges, tandis que les partis eurosceptiques et d’extrême-droite vu leur nombre de sièges augmenter. Cela dit, le groupe de centre-droit a augmenté le nombre et la proportion de ses sièges, et la coalition d’extrême droite est devenue plus fragmentée après que le parti allemand Alternative für Deutschland (AfD) a été expulsé de l’un des groupes de partis de droite.
L’une des premières tâches du Parlement européen est de voter pour le président de la Commission européenne, un rôle clé au sein des institutions de l’UE. Il se pourrait que les partis de droite cherchent à retarder la nomination jusqu’à ce que le nouvel alignement des pouvoirs en France soit clair, mais la politique est exceptionnellement complexe et la présidente actuelle, Ursula von der Leyen, est la candidate du principal groupe de partis de centre-droit, dont les voix se sont bien portées lors de l’élection. Il y a cinq ans, elle avait remporté une faible majorité grâce aux voix des partis de centre-gauche. Cette fois-ci, elle a courtisé les voix de la droite et il est probable que le résultat soit encore serré, mais Mme von der Leyen reste favorite.
Les sondages d’opinion, ainsi que les mauvais résultats des partis verts, suggèrent que l’électorat européen est aux prises avec l’inflation et cherche à changer de direction sur des questions telles que la transition écologique, la défense et la sécurité, ainsi que les frontières et l’immigration.
Les gouvernements nationaux et la Commission européenne ont cependant déjà commencé à agir sur les deux derniers points et, selon nous, il est peu probable que la nouvelle composition du Parlement perturbe les grands axes de la transition écologique, et encore moins qu’elle menace les programmes en place.
Dans l’ensemble, nous pensons que le Parlement européen perturbera moins l’orientation stratégique de l’UE que certains commentateurs ne l’ont suggéré. Ce résultat électoral, à lui seul, n’aurait peut-être pas suscité beaucoup d’inquiétude chez les investisseurs.
Mandat
La gouvernance européenne exige que l’orientation stratégique de l’UE soit ratifiée par les parlements nationaux avant d’être mise en œuvre au niveau européen.
La prochaine itération de la stratégie générale de l’UE, qui fera suite au programme "Next Generation", sera probablement déterminée par le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité européenne, qui devrait être publié ce mois-ci. Ce rapport devrait recommander une coordination plus poussée afin de mieux tirer parti de la taille de l’UE, de débloquer les goulets d’étranglement de l’industrie et de la chaîne d’approvisionnement et de sécuriser l’approvisionnement en ressources essentielles.
Selon nous, ces réformes à venir étaient déjà menacées parce qu’Emmanuel Macron n’a pas réussi à sécuriser de majorité à l’Assemblée nationale française depuis deux ans.
Par exemple, les divisions au sein du parti de centre-droit des Républicains, en particulier, ont conduit à l’adoption controversée de sa réforme clé des retraites sans vote de l’Assemblée en mars 2023. Le parti de M. Macron n’a pas réussi à former une coalition et la plupart des autres partis ont entamé la bataille pour le remplacer en 2027. En outre, le résultat du RN aux élections européennes a considérablement affaibli son gouvernement, rendant probable que l’opposition saisisse l’occasion de déposer des propositions de loi visant à renverser le gouvernement cet automne. Le président Macron a dissous l’Assemblée pour conserver son leadership et pour surprendre et déstabiliser les autres partis. Sa stratégie semble désormais consister à raviver son mandat en tentant de réunir une majorité au sein de la nouvelle Assemblée contre l’extrême-droite, au prix de la conquête de nouveaux sièges par cette dernière.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que le président Macron prend un risque significatif non seulement avec sa propre autorité, mais aussi avec le programme de réformes de Mario Draghi, dont certaines pourraient être rejetées en cas de changement majeur dans l’équilibre des pouvoirs à l’Assemblée nationale française.
Si le RN parvenait à former une majorité parlementaire en juillet, cela aurait des conséquences non seulement pour la France, mais aussi pour des parties importantes du programme de réforme de M. Draghi. Il pourrait tomber dès le premier obstacle, bien avant de s’approcher du Parlement européen lui-même, ce qui, à son tour, pourrait fragiliser les fondements de la récente force économique et commerciale de la périphérie de la zone euro.
La politique
La politique est complexe et imprévisible. Le succès électoral du RN au niveau européen ne garantit pas un succès similaire au niveau national, où les enjeux sont perçus comme plus importants. Les alliés de l’extrême-droite dont les pays sont susceptibles de bénéficier d’une intégration budgétaire et commerciale plus poussée de l’UE, en particulier la Première ministre italienne Georgia Meloni, pourraient néanmoins exercer une certaine influence sur Marine Le Pen. En outre, l’histoire montre que l’UE est capable de tirer son épingle du jeu en situation de crise.
La réaction des marchés la semaine dernière laisse toutefois entrevoir les risques encourus. La volatilité et le creusement des spreads entre la France et la périphérie de la zone euro devraient persister au moins jusqu’aux élections françaises dans deux semaines, voire bien au-delà.