Pour les marchés et les économistes, il ne peut pas se produire de krach obligataire
La première raison est assez surréaliste et tout simplement inconsciente y compris chez les analystes et économistes les plus chevronnés et les plus réputés. Pour faire simple, l’idée est qu’un tel krach serait tellement cataclysmique pour les assureurs, les banques et le système que cela ne peut arriver. Quelle démonstration !!
Alors oui c’est évident, un krach obligataire aujourd’hui serait naturellement pire que le krach obligataire de 1994 puisque les banques et institutionnels détiennent massivement des obligations d’État à des prix de plus en plus surévalués et financées avec de la trésorerie court terme peu coûteuse. C’est ce qu’on appelle les « positions de transformation ». Or ces positions de transformation sont autrement plus importantes qu’il y a 20 ans. Les banques centrales seraient donc piégées et condamnées à choisir entre une politique monétaire “éternellement” laxiste pour contrer un risque de krach obligataire et une crise systémique bancaire.
Dès lors, le krach obligataire étant insupportable, il serait impossible et une Banque centrale n’aurait pas d’autre choix que d’installer le hasard moral systématique.
Mais alors, si le risque majeur n’est finalement pas celui d’un krach obligataire immédiat provoqué par les banques centrales, quel est ce risque majeur ? Il serait, selon nous, celui d’un krach obligataire beaucoup plus violent reporté dans le futur avec le retour de la grande inflation et la perte de confiance définitive vis à vis des actifs financiers.
La seconde raison qui empêche le consensus de croire au krach obligataire est tout aussi stupéfiante: la communication des banques centrales serait devenue parfaite et la politique monétaire de celle-ci serait parfaitement prévisible si bien que les marchés ne pourraient plus provoquer de sur-réaction violente sur les actifs obligataires
Les plus anciens se souviendront, en effet, que le krach obligataire de 1994 fut brutalement déclenché par une décision totalement inattendue par les marchés de relèvement des taux directeurs américain par le Fed le 4 février 1994. Personne n’était alors préparé à un cycle de politique monétaire restrictive.
Alors que penser de cette « nouvelle » communication des banques centrales ?
J’ai découvert ces derniers mois de nouveaux néologismes dans le vocabulaire de l’actualité des banques centrales et pourtant – à mon modeste niveau – je suis plutôt un vieux « central bank watcher ». En effet, les banques centrales ayant quasiment tout donné en matière de mesures conventionnelles (baisse jusqu’à près de 0% des taux directeurs) et en matière de mesures non conventionnelles (Quantitative easing, LTRO, ….), il ne reste plus que l’art de la communication
Vous avez probablement entendu parler de la « forward guidance ». Cette stratégie consiste pour la banque centrale à s’engager clairement sur la trajectoire future des taux directeurs et donc à désamorcer toute déstabilisation des marchés obligataires.
Mais il y a aussi ce que les spécialistes appellent le « time-contingent guidance », qui consiste à indiquer une date précise avant laquelle un changement de politique monétaire devrait intervenir (histoire là encore de préparer les marchés et d’éviter les krachs d’actifs financiers)
La FED et la Bank of England, (BoE) ont essayé d’aller encore plus loin avec le « state contingent threshold based guidance ». Cette stratégie consiste à fixer explicitement un seuil pour certains indicateurs macroéconomiques : par exemple le fameux seuil pour le taux de chômage de 6.5 % pour la FED et de 7% pour la BoE, seuil en deca duquel une inflexion de la politique monétaire est censée intervenir.
Tout ceci est merveilleux à une seule condition : que les banques centrales ne s’écartent pas une seconde de cette forward guidance, de ce time-contingent guidance et de ce state contingent threshold based guidance sous peine de voir leur crédibilité écornée et donc leur contrôle de la courbe de taux de leur zone monétaire perdre en efficacité. D’ailleurs, on ne sait plus vraiment, en réalité, quels sont les vrais objectifs des banquiers centraux sur la fixation de ces triggers qui déclencheraient des inflexions de politique monétaire (par exemple, le patron de la BOE Marc Carney passe son temps à hésiter sur le niveau de taux de chômage à partir duquel son institution deviendra plus restrictive). Eh oui, lorsque les banques centrales voudront rendre leurs politiques monétaires un peu plus restrictives dans le futur – si tant est qu’elles le décident- elles auront en réalité beaucoup de difficultés dans leur communication.
Et pourtant le krach se produira parce-que les raisons extra-économiques pour lesquelles les investisseurs achetaient massivement des obligations d’état vont disparaître – n’en déplaise aux banques centrales, à leur communication et à leur politique monétaire ultra-accommodante
Rappelons ces 3 raisons extra-économiques
1. D’abord l’aversion au risque
Elle a entretenu une situation de refuge vers les actifs supposés non risqués : emprunts d’État américains, britanniques et des pays non périphériques de la zone euro. Oui mais voilà la classe d’actifs souverains n’est plus, loin s’en faut, la classe d’actif sans risque. C’est un des enseignements majeurs de la crise financière de ces 6 dernières années. Il n’est donc plus vrai que l’obligataire souverain réputé « sûr » puisse continuer à jouer son rôle de valeur refuge. Il est temps de trouver de nouveaux refuges. Ceux-ci concerneront plutôt les actifs réels au sens large au détriment des actifs financiers traditionnels en général et des obligations d’État en particulier.
Quelques exemples de choix d’allocations indispensables et incontournables
- L’or physique encore et toujours malgré la désaffection des investisseurs en 2013. L’or ne s’imprime pas, ne se manipule pas, ne se crée pas à partir de rien et va bénéficier d’un environnement de taux d’intérêt réels à court terme négatifs pour sans doute assez longtemps. Et puis dans un monde surendetté, n’oublions pas que l’or est la seule monnaie qui ne soit la dette de personne.
- Des actions en direct d’entreprises à fort pricing power (sous le régime dit du nominatif).
- Des obligations d’entreprises aux fondamentaux solides.
- Des supports indexés sur l’inflation. Attention cependant au risque de répudiation. En effet, dans un contexte de forte inflation, il faut s’attendre à un traitement spécifique de la dette indexée inflation. C’est sur cette dette qu’un État ferait défaut en premier lieu.
- Des titrisations cash simples et transparentes adossées à des actifs immobiliers de qualité
- Des actifs réels tangibles (immobilier commercial ou de boutiques via des SCPI)
- Voire des actifs des pays émergents (dette souveraine, obligations d’entreprise, actions).
2. La réglementation sur les ratios de liquidité
Le LCR (liquidity coverage ratio), premier pilier de Bale 3, est un ratio de liquidité en environnement stressé mesuré sur un horizon de 30 jours. Il sera publié officiellement mensuellement par les banques à partir du 01/01/2015. Il contraint les banques à détenir un stock d’actifs hautement liquides pour faire face aux sorties de trésorerie.
Ce ratio a renforcé la surpondération en titres d’État notés entre AAA et AA- dans les portefeuilles des banques puisque ceux-ci jouissent d’un traitement privilégié dans la constitution d’une réserve d’actifs dits liquides.
Attention, lorsque les achats de titres d’État par les banques nécessaires à constituer les réserves d’actifs liquides auront cessé, les taux sur les emprunts d’État remonteront violemment. Ce moment n’est malheureusement plus très loin.
3. La réglementation sur les ratios de solvabilité
Et puis n’oublions pas que l’autre pilier de Bale 3, à savoir la réforme des ratios de solvabilité, fait également la part belle à certains emprunts d’État bien notés par les agences de notation puisque ceux-ci ne consomment pas de fonds propres au sens de la réglementation et donc améliorent mécaniquement les ratios de solvabilité des banques par la baisse du dénominateur. Rappelons en effet que le ratio de solvabilité est construit de la manière suivante : Fonds propres (numérateur) divisés par Actifs pondérés en risques (dénominateur également appelé RWA pour risk weighted assets).
Attention là aussi car il faudra désormais s’attendre à moins de capitaux alloués aux obligations d’État. Dans un entretien publié par le Financial Times, Peter Praet, membre de la BCE, déclare que les bilans de santé des banques, qui seront menés avant que la BCE ne prenne son rôle de superviseur unique du secteur dans la zone euro, seront l’occasion d’évaluer les risques liés aux portefeuilles d’obligations souveraines des établissements. "Les banques seront conscientes des contraintes placées sur des avoirs en dettes souveraines via les tests de résistance qu’elles vont subir"