Au cours des dernières semaines, les marchés sont passés très rapidement de la crainte de ralentissement consécutive au déclenchement du conflit en Ukraine à celle d’une inflation durablement élevée conduisant les banques centrales à accélérer le calendrier de remontée des taux. Les courbes de taux reflètent assez bien ce risque de poussée inflationniste débouchant sur un ralentissement, se traduisant par un cycle rapide mais court de remontées de taux, et des baisses de taux dès 2024, voire avant.
Dans ce contexte, les repères des investisseurs sont brouillés. Premièrement parce qu’il faut apprendre à passer d’un schéma de pensée fondé sur les performances nominales à un cadre fondé sur la recherche de rendements réels positifs, nets de l’inflation anticipée pour les prochaines années. Deuxièmement, parce que ces rendements futurs reposent sur des hypothèses de croissance et de marges chamboulées par ce nouveau contexte. Enfin, parce que le recours aux benchmarks et à la gestion indicielle passive dans cet environnement est d’une utilité assez limitée, notamment dans un contexte où les marchés des actions et des obligations nous renvoient des signaux assez différents, entre résistance de la croissance et des marges d’un côté, et risque de récession de l’autre.
Ce changement de posture n’est pas aisé ; il peut conduire à la fois à devoir se départir du style d’investissement qui a le mieux fonctionné depuis 10 ans (les valeurs de croissance), et à tirer toutes les conséquences de ce changement de régime, en prenant du recul avec le cadre des dernières années, symbolisé par la sortie des taux négatifs.
Les banques centrales ont changé de modèle en quelques semaines, en adoptant une priorité absolue à la lutte contre l’inflation. Le « Greenspan put » a vécu, et les banques centrales seront donc moins en soutien des marchés. La réduction du bilan de la Fed est une terra incognita dont nous trouvons peu de précédents dans l’histoire monétaire. D’où la difficulté à se projeter sur des niveaux de taux longs très différents de ceux de la période ouverte par la pandémie.
Ce changement de posture peut être coûteux également à court terme tant sur le plan psychologique (remettre en cause des convictions et habitudes validées par 10 ans de performances) que financier (savoir vendre des positions perdantes pour se repositionner), mais profitable à long terme. Si un certain nombre de paramètres distingue ce contexte de celui des années 70, la question qui demeure consiste à identifier les classes d’actifs qui pourraient mieux résister face à un cycle d’inflation plus élevé que ce que le consensus reflète encore.
Les actions à dividendes élevés et la dette à haut rendement ressortent optiquement comme les classes d’actifs dont le rendement devrait dépasser l’inflation moyenne des 5 prochaines années.
Pour autant, il s’agira d’identifier les sociétés capables d’assurer une pérennité, une soutenabilité et une croissance de ces rendements, et qui ne sont pas pénalisées soit par des marges fragilisées, soit par un endettement trop élevé, soit par des besoins d’investissement qui ne seraient pas autofinancés. Ce filtrage par la résilience et la qualité doit permettre à un portefeuille de bien se comporter dans tous les environnements, à l’image d’un navire conçu pour naviguer par temps calme comme dans une mer agitée. Dans le monde des obligations d’entreprises, la sélectivité reste de mise face à un choc énergétique asymétrique révélant les fortes dépendances de certains pays ou secteurs au gaz russe.
La recherche de rendements intrinsèques résilients à moyen terme, soutenable quel que soit l’environnement monétaire ou économique doit donc prévaloir sur la recherche de performance indicielle à court terme, davantage influencée par la direction à court terme des indicateurs de confiance, des risques géopolitiques ou des messages des banquiers centraux. Ce sera l’enjeu de la saison de résultats qui commence ce mois-ci et qui fait suite à une tendance étonnamment positive de révision des attentes de bénéfices malgré cet environnement difficile pour les entreprises.