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Bâle III : les régulateurs négligent les dysfonctionnements des marchés

Les évolutions de notre environnement réglementaire (BALE 3) et la généralisation de normes comptables IFRS inadaptées ne vont pas permettre de résoudre les déséquilibres du système économique et financier international. Bien au contraire. Les régulateurs devraient plutôt concentrer leur attention sur les dysfonctionnements et irrationalités des marchés financiers

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Cet article vient en complément et en prolongement d’un papier récent intitulé « concilier transformation bancaire et réglementation prudentielle »

Je n’ai pas pour habitude de présenter toute tentative de régulation comme une atteinte à l’intégrité des banques ; j’ai plutôt naturellement la faiblesse de penser que le régulateur intervient toujours trop tard et qu’il ne comprend pas suffisamment les problématiques opérationnelles de la gestion bancaire. Il est aujourd’hui clair (toujours facile de le dire après) que le futur environnement réglementaire Bale 3 aurait pu et du s’ appliquer au contexte de marché des années 2003-2007 (période de trop faible aversion au risque et de non rémunération suffisante de certains risques avec des spreads de crédit ridiculement faibles sur nombre d’émetteurs bancaires et corporate).

Et c’est donc maintenant que l’on nous concocte des évolutions réglementaires absurdement décalées et, pire, qui risquent d’être totalement inadaptées à la période économique qui nous attend ces 5-10 prochaines années : concurrence de plus en plus vive entre émetteurs publics et privés sur les marchés de capitaux ; rééquilibrages sans doute violents des flux de capitaux internationaux avec une disparition progressive des excédents d’épargne des pays émergents. Voici donc un environnement réglementaire conçu en 2008-2011 qui va devoir s’appliquer à une période économique 2013-2020 probablement peu appropriée à ce nouveau référentiel et qui aurait du s’appliquer à la période économique 2003-2007… Edifiant.

Le régulateur ne doit donc surtout pas se focaliser sur des dispositifs qui vont compliquer plus encore le financement des économies. Car très objectivement, les règles Bale 3 vont immanquablement rendre ce financement plus compliqué. Certaines études estiment que le passage de Bale 2 à Bale 3 imposera un quasi doublement des fonds propres des banques. Quel impact sur la hausse du coût des ressources bancaires ? Si l’on considère que le poids moyen des fonds propres dans l’ensemble du passif des banques est d’environs 8% et que le coût des fonds propres se situe toujours autour de ROE (return on equity) de 15%, la hausse du coût du passif rapportée au total du bilan serait de l’ordre de 120 points de base (8% x 15%, soit 1.20%). Les crédits représentant autour de 50% de l’actif des banques, il faudrait donc une hausse de l’ordre de 240 points de base des taux d’intérêt des crédits (50% de 240 bp correspondant aux 120 bp de hausse du coût de la ressource) pour neutraliser les effets négatifs de Bale 3 sur le passif des banques

Ce que l’on doit plutôt donc attendre des régulateurs, c’est de corriger les irrationalités de comportement et de pricing des marchés financiers avec toutes les conséquences négatives qu’elles peuvent avoir sur la sphère réelle de l’économie

Deux grands types d’irrationalités sont fréquemment observés sur les marchés

  • Tout d’abord des déviations durables des prix des actifs par rapport aux fondamentaux avec des conséquences déstabilisantes pour l’économie : variabilité excessive de la demande, avec les effets de richesse ; excès d’endettement suivis de crises de solvabilité ; déformations anormales des conditions de compétitivité ; crises dans des pays émergents ayant un endettement en devises, allocation inefficace de l’épargne.
  • Ensuite ce que l’on appelle les prophéties auto-réalisatrices. Le passage d’un équilibre économique et financier à un autre n’est pas forcément lié à la transformation de l’environnement économique mais à des modifications plus ou moins fondées des anticipations. Les exemples d’auto-réalisation sont nombreux ces dernières années :
    • exemple 1 le jugement sur la santé des banques : avec la faillite de Lehman, conviction que toutes les banques peuvent disparaître et que les états ne vont pas recapitaliser, d’où l’arrêt des échanges interbancaires, la contraction de la distribution du crédit , la chute de la demande et la chute des prix des actifs, et effectivement menace sur la solvabilité des banques in fine ;
    • exemple 2 la liquidité des marchés financiers : si les investisseurs croient qu’il n’y aura pas d’acheteur dans le futur pour tel ou tel actif financier, ils arrêtent tout simplement d’acheter , les marchés deviennent illiquides et les prix d’actifs s’effondrent, ce qu’anticipaient, initialement à tort ou à raison les investisseurs eux-mêmes ;
    • exemple 3 la crise des dettes souveraines périphériques en zone € a fait apparaître l’idée de la possibilité de défaut d’un emprunteur souverain de la zone euro (pas toujours si infondée d’un point de vue purement fondamental) et le problème est que ce type d’anticipation est souvent auto-réalisateur par la hausse des taux d’intérêt sur la dette qu’elle entraîne et donc sur la soutenabilité de celle-ci

Que peuvent faire et que doivent faire les régulateurs. Nous proposons quatre types d’évolutions qui auraient pour objectifs principaux de permettre
- aux investisseurs particuliers et institutionnels de long terme de faire fructifier sereinement leur épargne
- aux investisseurs institutionnels et trésoriers de couvrir leurs risques dans des conditions de marché raisonnables quant au prix des couvertures
- une variabilité moins forte de l’économie (que les aberrations de variations de marché provoquent avec des effets richesse au niveau des ménages injustifiées)
- une « définanciarisation » salutaire de l’économie
- une diminution des risques systémiques

Première évolution nécessaire. Les régulateurs devraient éviter que les investisseurs n’achètent des actifs financiers à des prix considérablement élevés.
C’est en effet l’un des problèmes les plus sensibles car le fait que les intermédiaires financiers achètent des actifs à un prix trop élevé renforce la surévaluation de ces actifs et les bulles et surtout entretient les crises de solvabilité de ces acteurs lorsque les prix des actifs corrigent violemment. Ceci nécessite en particulier un vrai contrôle de la création monétaire mondiale (c’est l’exact contraire qui se produit aujourd’hui avec le quantitative easing de la FED et les interventions de change des banques centrales d’Asie)

Deuxième évolution nécessaire. Il faut réduire l’effet déstabilisant des variations du prix de certains actifs sur l’économie. Ceci suppose une contre-révolution en matière de normes comptables (IFRS à l’envers) avec la renonciation au mark to market pour certains types d’instruments financiers et certains types d’acteurs des marchés financiers

Troisième évolution nécessaire. Il faut imposer des limites au poids de certains actifs dans certains portefeuilles (en les pénalisant par exemple en termes de fonds propres consommés). Car après tout les prises de positions spéculatives qui ne sont pas liées aux fondamentaux et qui déstabilisent les prix de marché ne sont pas liées seulement à un environnement macroéconomique de forte création monétaire et donc d’excès de liquidité ; mais aussi aux insuffisances des exigences de fonds propres sur certaines positions de marché.

Quatrième évolution nécessaire. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les régulateurs doivent pouvoir connaître exhaustivement la structure détaillée des portefeuilles des investisseurs (et surtout la comprendre) et il faudrait de surcroît qu’ils aient une vision correcte de ce que sont les prix à peu près « normaux » de certains actifs financiers (les marchés ne sont pas meilleurs sur ce sujet quand on voit les erreurs durables de valorisation monstrueuse sur certains actifs financiers ces dernières années)

  • Ainsi certains actifs véritablement faits pour être détenus à long terme ne devraient pas être cotés en temps continu (il faudrait imaginer d’autres types d’affichages de prix) pour le plus grand bien des investisseurs à long terme.
  • D’ailleurs certaines cotations en continu peuvent également légitimement être remises en cause essentiellement pour des actifs dits illiquides ou justement destinés à être portés jusqu’à leur terme ; sinon l’on va continuer à assister à des anomalies criantes de valorisation sur certains actifs financiers et à de fortes perturbations du fonctionnement des marchés

Mory Doré Mars 2011

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Commentaire
  • <p>Point de vue très intéressant. Toutefois quelques éclairages supplémentaires sur vos propositions s’imposent</p> <p>1) Ne pensez vous pas que les propositions (1-3) nous orientent vers une déresponsabilisation complète de l’investisseur&nbsp;? De plus comment définir un prix "trop élevé", l’introduction d’un tel concept chez le régulateur n’est pas sans risque, il pourrait notamment souffrir du même biais que l’investisseur / spéculateur et être à l’origine (comble pour le régulateur) d’une bulle du fait d’une surévaluation ou brider le marché via une sous-évaluation. D’ailleurs ceci m’amène à une autre remarque</p> <p>2) J’ai eu l’impression en lisant que le régulateur doit se muer en opérateur de marché ou du moins en connaitre parfaitement le métier et les outils. Dans un univers idéal effectivement ce serait optimal mais dès lors qu’on introduit le risque (univers non parfait) n’est il pas important de segmenter le savoir afin de limiter les biais&nbsp;? Le régulateur doit garder une certaine distance tout comme l’auditeur. Ils ne peuvent être des opérationnels et il est clair que certaines notions "operationnelles" vont leur échapper. Mais les mesures suggerées, memes si elles sont décalées devraient plutot aboutir à une réflexion de au niveau des opérationnels de modifier leur activité. Par construction le régulateur peut difficilement anticiper (il n’est pas opérationnel)</p>

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  • <p>Merci pour votre retour et votre contribution <br />1/ Concernant votre première remarque , il est vrai qu’il est assez complexe de définir ce que peut être un prix élevé et personne n’est effectivement suffisamment omniscient pour ce faire . Il y a plus le risque sérieux d’aléa moral qui pourrait venir perturber le fonctionnement plus ou moins "harmonieux" des marchés .. et également déresponsabiliser les investisseurs imprudents. Il ne faut pas néanmoins que ces comportements imprudents viennent déstabiliser le système financier et partant la sphère réelle de l’économie <br />Il faut donc (régulateur ou banque centrale ) que sur certaines classes d’actifs et certains instruments des zones de surévaluation soient définies&nbsp;: par exemple spreads de crédit sans aucun rapport avec la rémunération du risque <br />Il faut aussi (régulateur ou banque centrale ) "nettoyer " les marchés de surévaluations déconnectées des fondamentaux , ce qui passe par un aménagement de certaines règles prudentielles et comptables (vaste programme)</p> <p>2/ Sur votre seconde remarque je partage avec vous l’idée que le régulateur ne doit pas être un opérationnel des marchés&nbsp;; et si l’on ne peut que souscrire à l’idée de séparation des fonctions entre le marché et ses régulateurs, il ne faut surtout pas qu’il y ait séparation de savoirs et des compétences .. Beaucoup de crises récentes sur les marchés ont été compliquées à gérer à cause justement d’une complexité de plus en plus grande des techniques et instruments financiers ( options de seconde génération , titrisation à base de dérivés , leverage dans des montages de type constant proportion debt obligation..) Et surtout parce-que l’ingénieur structureur sur les marchés avaient un temps d’avance sur le régulateur ( ou ce qui revient au même le régulateur un temps de retard) <br />Cordialement <br />Mory Doré</p> <p>mory Doré</p>

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