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Banque Centrale : rentes de situation ou efficacité ?

Crise systémique ou pas, marasme économique ou pas, une banque centrale responsable ne devrait pas être là pour faire plaisir à qui que ce soit.Elle doit avant tout, faire preuve d’efficacité. Efficacité pour le vrai financement de l’économie, pour la protection de l’épargne, du pouvoir d’achat de particuliers et pour la couverture des risques des agents économiques dans les meilleures conditions de prix et de liquidité.

Aujourd’hui, pour la plupart des responsables politiques, investisseurs, économistes et médias plus ou moins spécialisés et compétents sur la matière économique et financière, une banque centrale n’a de sens que si elle sert des intérêts partisans et catégoriels

  • Il faudrait faire plaisir aux spéculateurs qui vont faire sans risques (en tout cas pendant un temps souvent considérable) du carry trade très rentable en empruntant à des taux quasi-nuls fixés par une banque centrale d’un pays A pour vendre la devise de ce pays A contre la devise d’un pays B et replacer ainsi les liquidités obtenues sur des actifs financiers à « haut » rendement de ce pays B. Pourquoi pas si in fine les profits générés par ces activités de trading améliorent la rentabilité des banques et permettent de baisser le coût de la tarification des services bancaires. Il est cependant permis d’en douter compte tenu de la volatilité et de l’instabilité des résultats issus du carry trade.
  • Il faudrait maintenir à un niveau élevé les indices boursiers et à un niveau faible les taux longs pour faire en sorte que les stocks de plus values-latentes des portefeuilles financiers se regonflent sensiblement. Pourquoi pas si in fine cela crée des effets de richesse psychologiques permettant d’instaurer un réel climat de confiance généralisée dans l’économie. Mais chacun sait que les effets de richesse liés à la hausse des actifs financiers ont des conséquences plutôt neutres sur l’économie (notamment en Europe continentale) compte tenu de la plus forte propension à épargner qu’à consommer et à investir des détenteurs d’actions et d’obligations.
  • Il faudrait encore et toujours distribuer argent abondant et à taux quasi nul pour les banques (qui, d’ailleurs, n’en demandent pas tant). Ceci maintient leur profitabilité avec une courbe des taux pentue. Tant mieux car cela signifie que l’activité traditionnelle d’une banque qui consiste à transformer une partie de ses ressources court terme indexées sur les taux courts en emplois et crédits à long terme indexés sur les taux longs est particulièrement rentable puisque cela permet de capter une importante marge de transformation (plus l’écart entre taux longs et taux courts est élevé, plus la courbe est pentue et plus la profitabilité de l’activité commerciale des banques est élevée). Mais malheureusement, le lien entre la bonne santé des banques et la bonne santé de l’économie est loin d’être mécanique.
  • Il faudrait céder aux gouvernements qui, de fait, ne sont pas encouragés à faire preuve d’une vraie discipline budgétaire et fiscale

Mais voilà, crise systémique ou pas, marasme économique ou pas, une banque centrale responsable ne devrait pas être là pour faire plaisir à qui que ce soit (marchés, investisseurs, banques, gouvernements). Ainsi, par exemple, malgré des statuts officiels d’indépendance, la BCE a aujourd’hui un comportement extrêmement dépendant de la pression des politiques et des marchés.

Une banque centrale doit, avant tout, faire preuve d’efficacité. Efficacité pour le vrai financement de l’économie (en faisant en sorte que les canaux de transmission du crédit à l’économie fonctionnent et ceux-ci fonctionnent mal), pour la protection de l’épargne et du pouvoir d’achat de particuliers (le passage en territoire négatif de taux directeurs devient dès lors un problème) et pour la couverture des risques des agents économiques et des investisseurs dans les meilleures conditions de prix et de liquidité.

L’histoire donnera sans doute raison à long terme au « faucon » Weidman, patron de la Bundesbank allemande et donc, de fait, membre du Directoire de la BCE plutôt qu’à Draghi la colombe. C’est vrai que ce n’est pas très populaire et plutôt déroutant dans les milieux financiers de critiquer ce bon Monsieur Draghi (vénéré aujourd’hui car market friendly) et de défendre le méchant Monsieur Weidman (honni car considéré comme un monétariste dogmatique). Comme pour beaucoup de sujets de société, il y a ce qu’il est bon de penser et ce qui ne l’est pas. Le discours officiel de pensée unique consiste à considérer que la BCE n’est jamais suffisamment accommodante.

Mais enfin quand arrêtera donc de croire que l’on peut résoudre des problèmes structurels de l’économie (compétitivité, innovation, ..) avec des taux toujours plus bas et toujours plus de liquidité. Ceci est une hérésie intellectuelle ainsi qu’une erreur stratégique qui coutera très cher un jour :

  • bulles d’actifs financiers de plus en plus délirantes qui repoussent dans le futur des crises financières encore plus violentes, complexes et incontrôlables,
  • distorsions crées par des niveaux de taux anti-économiques (compte tenu d’un nouvel environnement absurde et dangereux de taux courts négatifs en zone Euro) avec une allocation de liquidité absolument non optimale, un développement de l’ économie de la rente et non de l’économie du capital qui produit des richesses.
  • absence d’incitation au niveau de certains gouvernements à réformer et réduire les gaspillages publics et donc l’insoutenable surendettement public.

D’ailleurs, Jurgen Stark, ancien chef économiste de la BCE n’a pas hésité à proclamer officiellement que la politique monétaire actuelle de la zone Euro créait « une distorsion fondamentale des conditions de marché, par exemple en ce qui concerne la valeur des obligations des pays fortement endettés au sein de la zone Euro ». Et d’ajouter que les conditions d’ « une nouvelle crise grave » sont de plus en plus réunies (ce que nous pensons) et qu’un taux directeur négatif « ne produira pas un euro de crédit supplémentaire ».

Certains minimiseront ces propos en considérant qu’ils viennent d’un ancien banquier central « aigri » de ne plus être dans ses anciennes fonctions ; d’autres, au contraire, y accorderont une importance particulière en mettant en avant le recul, la lucidité et l’indépendance d’un expert des questions de macroéconomie monétaire. Nous nous rangeons dans cette seconde catégorie.

Finalement les banques centrales et l’ensemble de la communauté financière favorisent outrancièrement la préférence pour le présent et sont plus que jamais les adeptes du fameux adage de Keynes selon lequel « à long terme nous serons tous morts »

La préférence pour le présent est peut- être naturelle mais attention à ce qu’elle ne soit pas trop excessive. C’est « malheureusement » le mode de fonctionnement par excellence de l’économie moderne (agents économiques privés, état) en général et des marchés financiers en particulier. En effet, les marchés financiers sont constitués d’investisseurs et de gérants d’actifs avec un horizon finalement court-termiste et, comme les politiques, on ne préoccupe pas trop de l’héritage que l’on va laisser à son entreprise, son institution, ses successeurs,…

Cette préférence pour le présent, à nos yeux, destructrice pour la croissance économique future est aggravée par les banques centrales

Trois illustrations

1. Première illustration, les banques centrales dites modernes sont en train de transmettre leurs spécificités, privilèges et habitudes à l’ensemble des acteurs de l’économie privée et publique.

- Parmi les spécificités d’une banque centrale, il existe le non remboursement de la dette émise. En créant de la monnaie, la banque centrale émet une dette sur elle-même non exigible en tout cas tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve. On imagine mal qu’il en soit autrement dans une économie moderne. Eh bien, aujourd’hui beaucoup d’états se conduisent comme s’ils ne rembourseront jamais leurs émissions de dettes publiques (en se disant qu’elles finiront bien par être restructurées ou bien purement et simplement monétisées donc transformées en monnaie émise par la banque centrale)

- Autre spécificité de la banque centrale, celle-ci reste relativement indifférente au mark-to-market (valorisation) des actifs qu’elle possède car elle n’est pas liée par les règles comptables qui s’imposent aux banques. Ce qui signifie qu’il n’ y a pas de stress et de pression à se recapitaliser comme pour une banque normale en situation de baisse des fonds propres provoquée par des moins-values latentes ou réalisées sur certains actifs détenus. Les marchés et investisseurs rentrent également de plus en plus dans cette logique d’ « indifférence » vis-à-vis du prix auquel sont rentrés en portefeuille les actifs et vis-à-vis de leur variation de valorisation. Ils ont été et sont protégés par ce que l’on a appelé le PUT Greenspan puis le PUT Bernanke et aujourd’hui le PUT Draghi. Il s’agit d’une assurance implicite mais inconditionnelle de la banque centrale selon laquelle celle-ci interviendra dans des contextes de stress sur les marchés financiers (par des mesures conventionnelles de baisse des taux directeurs ou des mesures non conventionnelles d’injections exceptionnelles de liquidités ou encore très non conventionnelles d’achat d’actifs privés et/ou publics) ; toutes choses qui auront pour impacts de faire remonter le prix de tous les actifs financiers, quels que soient leurs fondamentaux. Alors oui, de temps à autre, des bulles d’actifs financiers éclatent à l’occasion d’événements extra-économiques qui mettent en lumière l’insoutenabilité de leurs valorisations ; mais ces anciennes bulles finissent, souvent 12 à 24 mois après à se reformer.

2. Deuxième illustration, les banques centrales donnent aux marchés financiers – tout du moins à leurs acteurs – l’illusion de l’immortalité

Il suffit de regarder comment certaines émissions sur des durées extrêmement longues sont sursouscrites par les investisseurs. L’abondance de liquidité ayant amené les taux longs des emprunts d’état jugés les plus surs sur des niveaux absolument très bas, la quête de rendement absolu a conduit nombre d’investisseurs à rentrer dans leurs bilans des papiers de moins en moins bien notés (corporate investment grade puis high yield et émergents) sur des maturités qui dépassent l’espérance de vie, y compris celle des plus jeunes d’entre nous.

On a ainsi vu durant cette année 2014 quelques exemples d’émissions qui méritent que l’on se pose quand même quelques questions de bon sens. Citons quelques exemples d’émissions

  • Emission en avril du Mexique pour 1 MdsGBP à 100 ans au taux facial de 5.75% ; ce fut une belle réussite compte tenu de l’engouement des investisseurs. Alors certes le Mexique affiche des fondamentaux solides dans le monde émergent, mais de là à recycler ses excédents de trésorerie sur des durées aussi longues !!!
  • Emission du souverain espagnol à 50 ans en aout dans un environnement de forte demande des investisseurs ayant vite oublié qu’en juillet 2012, le pays faisait face à une sévère crise de solvabilité. La promesse des OMT de la BCE aurait-elle subitement résolu les problèmes structurels d’endettement ?
  • Emissions à 100 ans de grands corporate comme GDF Suez ou EDF
  • Emissions à 7, 10 et 30 ans d’Apple en avril pour un montant global visé de 10 MdsUSD avec un taux de sursoucription hors normes de près de 4, soit près de 40 MdsUSD de demandes de la part des investisseurs

Un investisseur particulier ou professionnel normalement constitué ne devrait pas investir sur ce type de papiers même s’il a des passifs longs (car de toute façon, il faut aussi prendre en considération certaines lois d’écoulement de ce type de passif). Il devient dès lors nécessaire de faire évoluer des réglementations inadaptées qui déresponsabilisent l’investisseur voire l’obligent avec une répression financière qui ne dit pas son nom à investir irationnellement (le risque souverain est au-dessus de tout soupçon, les durées les plus longues et par définition les plus risquées ne sont pas correctement rémunérées puisqu’elles bénéficient d’une bonification réglementaire ou d’un aléa moral)

3. Troisième illustration, les banques centrales ont développé et renforcé un sentiment d’impunité chez les investisseurs.

Les marchés vivent depuis plus de 10 ans avec de confortables rentes de situation. Comme pour certains pans de la fonction publique (haute, moyenne et petite) pourtant « méprisée » par les prétendus libéraux qui peuplent les marchés financiers. C’est un peu comme si l’investisseur achetait des produits financiers structurés avec le rendement assuré et bonifié sur la période de court terme et les risques transférés dans le futur (à la collectivité avec bailout ou à un établissement qui reprendrait les actifs en cas de scénario catastrophe).

Combien de fois n’a-t-on entendu que si les choses se compliquaient sérieusement sur les marchés, il y aurait toujours un acheteur ou prêteur en dernier ressort.

Comment être crédible et ne pas favoriser populismes et extrémismes si ceux qui prennent des décisions stupides et dangereuses ne tirent jamais les conséquences de leurs erreurs. Il faudrait pourtant punir toute erreur (disons toute erreur systématiquement répétée) et récompenser tout effort.. Ce n’est que de cette façon qu’un système économique peut fonctionner de manière juste et efficace.

Mory Doré Septembre 2014

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