Il semble que les obligations vertes – des instruments de dette conçus pour réunir des capitaux pour des projets spécifiques et respectueux de l’environnement – soient bien plus qu’un effet de mode. Mais ce marché en émergence doit encore surmonter des défis importants.
Depuis la première émission d’obligations vertes par la Banque mondiale à la fin des années 2000, le marché a connu une croissance exponentielle. Selon la Climate Bonds Initiative, le montant total des émissions en 2019 devrait atteindre 250 milliards de dollars, contre 36,6 milliards de dollars en 2014.
Il est facile d’expliquer l’intérêt des obligations vertes. Elles permettent aux entreprises et aux gouvernements de financer des projets de lutte contre le changement climatique. Elles aident également les investisseurs à renforcer leurs compétences en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Cependant, il existe des problèmes fondamentaux qui empêchent ces obligations de devenir une classe d’actifs à part entière.
Par exemple, les émissions sont généralement relativement modestes – leur taille est en moyenne cinq fois plus petite en moyenne que les comparables « classiques » – et les émetteurs notés AAA prédominent, ce qui restreint le choix des investisseurs. Par conséquent, les obligations vertes sont moins liquides que les titres conventionnels affichant la même notation de crédit.
Du point de vue de l’émetteur, les coûts liés au temps dédié aux exigences de déclaration et à la vérification par un tiers signifient que les émissions d’obligations vertes peuvent être légèrement plus coûteuses à émettre.
Et bien que l’attention se porte sur les opérations très médiatisées qui sont largement sursouscrites, permettant aux émetteurs de réduire leurs coûts d’emprunt – l’émission d’obligations vertes du géant américain des télécommunications Verizon (1 milliard de dollars en février) est un bon exemple – la recherche de Standard & Poor’s a révélé peu de signes d’une « prime verte » globale.
Il existe également des problèmes persistants quant à la façon dont les obligations vertes sont identifiées et définies. Malgré les efforts d’uniformisation du marché, il n’existe toujours pas de cadre de définition sur lequel tout le monde s’entende. En 2018, 23,7 milliards de dollars d’obligations ont été émises avec des labels verts qui ne répondaient pas aux critères de sélection de la Climate Bonds Initiative, notamment par des entreprises exploitant des centrales thermiques au charbon en Chine.
Les normes actuelles ayant tendance à se concentrer sur l’utilisation des capitaux et non sur la globalité des activités de l’émetteur, les entreprises pétrolières et gazières peuvent légitimement émettre des obligations vertes, même si elles sont des contributrices nettes aux émissions de CO2.
Par ailleurs, les investisseurs ne bénéficient d’aucune protection juridique dans l’éventualité où un émetteur renoncerait à ses engagements en matière environnementale.
Pour s’attaquer à ces problèmes, des réformes s’imposent dans trois domaines.
Premièrement, les responsables politiques devraient encourager l’investissement
institutionnel dans les obligations vertes en octroyant des allégements fiscaux.
Certains observateurs soutiennent que les gouvernements devraient s’efforcer de rendre
les obligations vertes plus abordables pour les émetteurs, en considérant que c’est aux
investisseurs de supporter les coûts même si elles deviennent moins attrayantes pour
eux. Ce n’est pas une solution : loin de développer le marché, cette mesure ferait des
obligations vertes une classe d’actifs de niche propre aux fonds spécialisés à
thématique ESG (Environnement, Social et de Gouvernance).
Il vaudrait mieux encourager les grands investisseurs institutionnels à affecter une plus
grande partie de leurs milliards de dollars de capitaux aux obligations vertes par le biais
de structures fiscales favorables.
Il existe des précédents aux États-Unis, où les intérêts sur les obligations municipales
sont exonérés de la taxe fédérale ; les États-Unis offrent également des incitations
fiscales par le biais des programmes Clean Renewable Energy Bonds et Qualified
Energy Conservation Bonds.
Deuxièmement, les responsables politiques et les marchés devraient s’entendre afin de
définir précisément ce qu’est une obligation verte afin d’éliminer la confusion qui règne
autour de la notion d’obligation verte. Les récentes propositions de la Commission
européenne concernant une norme européenne pour les obligations vertes constituent
un pas dans la bonne direction.
S’inspirant des principes de l’International Capital Market Association sur les obligations
vertes, cette norme reposerait sur une vérification obligatoire par un tiers et le respect
des règles relatives à l’utilisation des capitaux levés.
Si l’adhésion est volontaire dans un premier temps, le soutien de l’UE devrait signifier
que le respect de la norme devient une exigence de facto pour les émetteurs, ce qui
favorisera l’harmonisation mondiale.
Troisièmement, les clauses des émissions d’obligations vertes devraient être assortis de meilleures garanties. La plupart des contrats ne comportent pas de dispositions visant à protéger les investisseurs en cas de manquement aux promesses de l’émetteur, et la procédure à suivre par les investisseurs demandant réparation est incertaine. Pour atténuer ce risque, les contrats devraient être normalisés, clarifiant la procédure à suivre lorsqu’il est établi que les capitaux levés ont été utilisés à mauvais escient. Cela permettrait aux intérêts des investisseurs et des émetteurs d’être correctement alignés. Les mécanismes de règlement des différends seront également importants.
Ces trois étapes contribueraient à dynamiser le marché des obligations vertes, à faire décoller les projets liés à la lutte contre le changement climatique et à faire en sorte que la finance verte devienne une classe d’actifs à part entière. Mais les investisseurs peuvent faire davantage pour lutter contre le changement climatique. Tout comme les actionnaires, les investisseurs obligataires devraient s’engager avec tous les émetteurs privés et publics pour garantir les meilleures pratiques en matière ESG, et pas seulement dans le cadre des projets isolés financés par les obligations vertes.
Ce n’est qu’en intégrant les obligations vertes dans ce mouvement plus large de reconnaissance des enjeux ESG dans tous les aspects de la finance mondiale qu’elles iront au-delà de l’effet de mode.