REFLECHIR D’ABORD SUR LA NOTION DE BULLE
Qu’est ce qu’une bulle sur les marchés financiers ? En fait, sur le papier la réponse est simple. On peut parler de bulle lorsque la valeur d’un actif est totalement déconnectée de la réalité économique. Par exemple pour un actif boursier, il s’agira d’une déconnexion entre le prix de l’action et la croissance anticipée des bénéfices (puisque le prix d’une action n’est rien d’autre que la somme actualisée des bénéfices annuels anticipés dans le futur). Alors arrêtons-nous un instant sur l’actualité des valeurs technologiques aux Etats-Unis.
Au cours de ces cinq dernières années, presque tous les gains réalisés sur les marchés actions américains ont été générés par cinq valeurs technologiques : Facebook, Apple, Microsoft, Amazon, et Google. Ces cinq actions ont vu leur valeur tripler depuis 2012. Si la valorisation de ces cinq sociétés est si élevée, ce n’est pas parce qu’elles gagnent énormément d’argent mais tout simplement parce-que la nature des marchés est d’être incorrigible, de ne rien apprendre du passé et d’être en permanence à la recherche d’un nouvel eldorado. D’ailleurs, quand vous pricez Amazon avec un PER (ratio cours sur bénéfices) de 180, cela signifie que chaque dollar de bénéfice fabriqué par l’entreprise est valorisé 180 USD par les marchés.
Il n’est nul besoin d’être un étudiant en finance ou un prétendu professionnel des marchés financiers pour comprendre que ceci est une hérésie économique.
Mais vous trouverez toujours des économistes chevronnés pour vous expliquer que ces cours sont « normaux ».
A ce propos, j’ai été interrogé dans ma sphère privée à propos de l’actualité agaçante et infantilisante dans le monde du football en général et sur le prix de certains transferts de joueurs en particulier. Bien sûr, cette actualité concerne le transfert de Neymar du Barça au PSG. Quel rapport avec cet article ?
Le rapport est évident : compte tenu de l’absurdité dans l’absolu du montant des sommes en jeu, doit-on considérer que nous sommes dans une situation de bulle spéculative ? Avec beaucoup d’aplomb et de certitudes certains économistes du sport vous expliqueront doctement que des prix aussi élevés se justifient par les retombées attendues (comme s’ils étaient capables d’évaluer les bénéfices actualisés sur les 5 prochaines années de ce transfert et incapables de pricer les dégâts collatéraux). De la même façon que des analystes financiers justifiaient les cours de certaines valeurs télécoms en 2000 ou de certaines valeurs bancaires en 2006.
REFLECHIR ENSUITE A LA FACON D’IDENTIFIER LES BULLES
Alors bulle ou pas bulle ? Il serait intéressant de pouvoir disposer d’un indicateur permettant de mesurer la pensée unique et l’unanimisme sur des tendances de marchés et de backtester s’il est pertinent pour déceler des retournements de marché ou éclatements de « bulles ».
En tout cas, les bulles se sont surtout développées dans des environnements de politiques monétaires incontrôlées. Les quantitative easing des banques centrales OCDE (monétisation directe ou indirecte) ont créé de la liquidité en finançant les dettes publiques et en redonnant de la liquidité aux investisseurs pour se ruer sur ce que l’on appelle les actifs dits risqués au rang desquels les actifs émergents, les matières premières et aussi nos chères technologiques US.
En tout cas repérer une bulle revient à identifier des déviations significatives des prix des actifs par rapport à leurs fondamentaux.
La façon la plus naturelle d’évaluer ces fondamentaux est de mesurer l’endettement de l’émetteur/emprunteur par rapport à ces capacités de remboursement (solvabilité, capacité à générer des résultats et à accroître ses fonds propres).
Trois crises parmi les plus intenses de ces 15dernières années en témoignent avec dans chacun des cas des situations d’excès d’endettement se transformant en crises de solvabilité.
1. On se souvient des cours surévalués et délirants des actions des entreprises télécoms surendettées en 1999-2000 avec l’éclatement de bulle qui a suivi.
2. On se souvient aussi des crédits subprime aux ménages US surendettés et mal-endettés en 2004-2006 et des produits structurés adossés à ces crédits « pourris » avec comme aboutissement une crise sans précédent de la titrisation en 2007 et des effets de contagion impressionnants illustrés par la faillite de LehmanBrothers en septembre 2008.
3. A partir de fin 2009 et ce jusque durant l’été 2012, nous avons vécu un autre type de surendettement, celui de certains souverains de la zone Euro
REFLECHIR ENFIN A LA FACON DE DISTINGUER LES BONNES BULLES DES MAUVAISES BULLES
Si, comme nous l’avons vu, il est nécessaire de comprendre ce qu’est une bulle d’actifs financiers et nécessaire d’identifier les bulles, il ne faut pas oublier de faire la distinction entre les bonnes et mauvaises bulles, entre les bulles souhaitables et nécessaires ou les bulles inutiles et dangereuses.
Il est unanimement admis que les bulles sont dangereuses car déstabilisantes pour le système économique : une déconnexion significative de la valeur d’un actif financier par rapport à ses fondamentaux économiques se paie cher un jour ou l’autre (en destruction de valeur et malheureusement d’emplois..)
Mais, en fait, les choses sont souvent moins triviales et à côté des bulles dangereuses, il existe des bulles tolérables.
Tout dépend de la situation du taux de croissance de l’économie d’un pays et il faut savoir sur quel type d’actif porte cette bulle.
1. Si la bulle porte sur des actifs non productifs (type immobilier) dans des pays en situation d’excès de capital productif, comme cela est le cas de nombreux émergents, alors il n’y a pas de danger imminent (on assiste juste à un rééquilibrage des excédents d’épargne) et en ce sens les craintes sur les conséquences d’un krach immobilier en Chine sont ridicules.
2. Si à l’opposé, la bulle porte sur des actifs dits productifs dans des pays en situation de déficit de capital alors là aussi n’y a pas de danger imminent puisque la valeur des entreprises s’accroît et donc leur capacité d’investir.
3. Les bulles dangereuses sont donc celles qui consistent à investir dans des actifs improductifs dans des pays en situation de déficit de capital alors que le taux de croissance est faible et qu’il y a insuffisance de capital productif dans l’économie : Cf le Japon du début des années 1990 avec l’immobilier, les Etats Unis et certains pays européens (Espagne, Irlande…) avec différentes formes d’immobilier subprime entre 2005 et 2007.
La conclusion de ce papier est la suivante : si, par bonheur, vous identifiez avec succès une bulle sur tel actif financier avec de bons arguments liés à des fondamentaux microéconomiques ou macroéconomiques, n’hésitez pas à vous demander, en tant qu’économiste, investisseur ou trader,si cette bulle est utile ou non.