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Faire preuve d’attentisme le temps que les marchés surmontent la nouvelle vague déflationniste

Les perspectives des marchés actions américains font l’objet de deux préoccupations principales de la part des investisseurs : les bénéfices et les valorisations. Mais, ni les bénéfices, ni les valorisations ne sont susceptibles pour le moment de mettre un terme au marché haussier qui a commencé il y a six ans. Bien au contraire, les perspectives pour le second semestre 2015 et pour l’année 2016 sont positives.

Compte tenu de la nouvelle vague déflationniste qui déferle dans le monde entier, les autorités monétaires américaines et britanniques devraient opter pour l’attentisme et différer tout resserrement monétaire prévu. Relever les taux d’intérêt à ce stade serait une grave erreur. Une telle décision ne manquerait en effet pas de pénaliser encore un peu plus les pays émergents et la croissance mondiale, ce dont pâtiraient les marchés actions.

Tout comme en 1997, la crise actuelle que traversent les marchés trouve son origine dans les pays émergents. Mais, cette fois-ci, son impact sur les pays développés sera plus prononcé. La baisse des prix va faire ressentir ses effets via les marchés des matières premières et des autres produits, tandis que la diminution du pouvoir d’achat dans les pays émergents va avoir des répercussions négatives sur le commerce mondial.

Tenter de prévoir la volatilité des marchés revient à essayer de rattraper un couteau en train de tomber ; généralement, il est préférable de faire le dos rond le temps que prennent fin les épisodes de turbulences. Toutefois, dans une perspective à moyen terme, les investisseurs seraient bien avisés de privilégier les entreprises peu endettées, générant d’importants flux de trésorerie dans les secteurs innovants et qui resteront des leaders au sein de leurs marchés respectifs.

Une troisième vague déflationniste

Les économies mondiales se trouvent actuellement aux prises avec une troisième vague déflationniste en moins de 10 ans. Il s’agit là de la conséquence d’un environnement qui a changé et est caractérisé par une baisse en valeur nominale et réelle des taux de croissance économique et des taux d’intérêt, sous l’effet d’une « stagnation » qui s’inscrit dans la durée. Les marchés actions se font lentement à l’idée que l’économie mondiale demeure « embourbée » dans une croissance nominale définitivement faible comme l’atteste la baisse des anticipations inflationnistes (Graphique 1), d’où de considérables turbulences et une forte volatilité.

Les précédents épisodes de tensions déflationnistes avaient trouvé leur origine dans les pays développés : tout d’abord aux États-Unis en 2008-2009 suite à l’effondrement des marchés immobilier résidentiel et financier, puis en Europe en 2011/2012 lorsque la zone euro avait semblé être menacée d’implosion. Quant à la crise actuelle, elle ressemble à bien des égards à une crise classique des marchés émergents et à celle de 1997 : elle prend naissance sur le marché des changes où une devise ne fait qu’emboiter le pas à la chute d’une autre, puis fait ressentir ses effets négatifs via les marchés des matières premières sur les marchés actions et, enfin, sur l’économie réelle.

GRAPHIQUE 1 : Des anticipations inflationnistes à nouveau orientées à la baisse (taux d’inflation anticipé à 5 ans)

Ce qui dans un premier temps a pu sembler n’être qu’une modeste dévaluation du yuan suite à la décision de la PBoC à la mi-août n’était finalement pas un évènement isolé. Au contraire, il se doit d’être replacé dans un contexte plus large. La dépréciation des devises dans des pays tels que le Brésil, la Russie, l’Indonésie et la Malaisie, et bien évidemment la Chine, met en évidence le ralentissement de la croissance économique dans les pays émergents. La croissance du PIB mondial va rester bien en-deçà de son potentiel et les pressions baissières sur les prix vont persister jusqu’à ce que l’offre dans les pays émergents se soit considérablement contractée. Le marché haussier de 2003-2007 qui avait été le fait des marchés émergents et des matières premières va rapidement être reconnu comme une époque bénie. Il pourrait bien en effet se passer de nombreuses années avant que les marchés actions émergents ne renouent avec leur leadership.

Une crise nominale dans les pays émergents

Les pays émergents sont confrontés à un nouvel environnement pour lequel beaucoup d’entre eux n’étaient pas préparés. Après des années marquées par des taux nominaux de croissance du PIB et d’inflation élevés, l’économie réelle montre des signes d’essoufflement dans tous les pays émergents (Graphique 2) sur fond de désinflation, voire dans certains cas, de déflation. Par exemple, les taux de croissance nominaux sont inférieurs aux taux de croissance réels en Chine.

Il existe des différences avec la situation de 1997. Les pays émergents disposent de réserves de change plus importantes, la plupart d’entre eux possèdent des taux de change flexibles et présentent ainsi de moindres déséquilibres extérieurs, de même que la dette souveraine n’est plus une source de préoccupation aussi vive. Aussi, des défauts souverains et des interventions du FMI sont beaucoup moins probables qu’au lendemain de la crise de 1997.

Pour autant, l’impact de la baisse des prix des matières premières et des produits sera prononcé et la diminution du pouvoir d’achat dans les pays émergents fera ressentir ses effets dans le monde entier via des révisions à la baisse des prévisions de croissance. De nombreuses entreprises dans les pays émergents n’ont pas l’habitude de gérer leurs bilans dans un contexte de ralentissement de la croissance et de hausse modérée des prix. Si de nombreuses autorités monétaires ont essayé de remédier à la situation à l’aide de dévaluations compétitives, de telles initiatives ne contribuent toutefois guère à résoudre les problèmes structurels. En effet, nous savons que, historiquement, il faut plusieurs années de pénurie de capitaux afin de rétablir une stricte discipline en matière de capitaux et de coûts après une période prolongée de surinvestissement. Seuls les pays à même de lutter contre les tensions désinflationnistes et la faiblesse de la croissance grâce à des réformes structurelles ont toutes les chances de devenir plus forts sur un horizon à moyen terme. C’est pourquoi la sélectivité est bel et bien de mise dès lors qu’il s’agit d’investir sur les marchés émergents.

GRAPHIQUE 2 : Baisse du taux de croissance du PIB nominal dans tous les pays émergents

La croissance mondiale va souffrir

L’activité économique mondiale va être plus éprouvée par cette crise que par celle de 1997, date à laquelle les pays émergents étaient moins intégrés dans l’économie mondiale. La crise des marchés émergents de 1997 avait éclaté suite à la baisse des prix des matières premières et des produits qui avait conduit à une augmentation des revenus réels et de la consommation dans les pays développés, créant ainsi des conditions « idéales » qui avaient favorisé la hausse des marchés actions par la suite. Toutefois, la crise actuelle tient plus d’une arme à double tranchant dans la mesure où la croissance mondiale est susceptible d’être affectée par les prix et les volumes. Cette fois-ci, la crise aura comme conséquence pour les pays développés d’inscrire encore un peu plus dans la durée ces conditions « d’âge glaciaire » caractérisées par des taux d’intérêt nominaux et réels au plus bas.

Les effets déflationnistes (les prix) de la crise actuelle des marchés émergents vont contribuer à tenir à distance toutes tensions inflationnistes pendant encore 12 mois au moins. Les marchés du travail aux États-Unis pourraient montrer des signes de tension, on pourrait observer une certaine croissance des salaires dans quelques segments du marché et l’inflation sous-jacente pourrait se stabiliser. Mais, ce n’est pas pour autant le moment de relever les taux d’intérêt. La Fed doit prendre conscience qu’une troisième vague déflationniste arrive. En 2014, la baisse des prix des carburants et des autres matières premières a empêché la « normalisation » de la politique monétaire. Mais, le pire est encore à venir sous la forme d’une baisse des prix des produits manufacturés fabriqués en Asie et des produits alimentaires. Relever les taux d’intérêt dans le climat actuel ne ferait qu’intensifier le choc déflationniste.

Dans la mesure où la crise des marchés émergents de 1997 s’est révélée être globalement limitée à des effets déflationnistes sur les prix, l’impact sur les pays développés a généralement été modéré. Mais, cette fois-ci la situation est différente : le PIB mondial est aujourd’hui beaucoup plus dépendant des marchés émergents qu’il y 20 ans de cela comme l’illustre la part grandissante des exportations dans le PIB mondial (Graphique 3). En conséquence, le commerce international risque d’être affecté, pas uniquement en raison des effets de change, mais également et surtout, en raison du ralentissement de la demande. Une contraction de la production dans les pays émergents est désormais inévitable et la baisse de leur pouvoir d’achat va peser sur l’activité économique mondiale. Il est crucial que la balance commerciale des États-Unis soit autorisée à se détériorer afin de compenser une partie de cette baisse de la demande. Resserrer la politique monétaire dans les circonstances présentes serait une grave erreur qui ne ferait qu’accroître l’impact négatif lié au commerce international sur la croissance mondiale.

GRAPHIQUE 3 : Une interdépendance mondiale grandissante

Le dilemme des investisseurs

Dans ces conditions, les investisseurs se trouvent confrontés à un dilemme. La baisse persistante des taux d’intérêt nominaux et réels va avoir tendance à favoriser des valorisations élevées dans toutes les classes d’actifs, mais également une diminution des rendements. Dans ce contexte déflationniste, les investisseurs seraient bien avisés d’éviter les entreprises très endettées et de privilégier les sociétés qui génèrent de la trésorerie, ayant su démontrer leur capacité à allouer judicieusement leurs capitaux et à même de distribuer des dividendes à leurs actionnaires. Le leadership parmi les marchés est clairement revenu aux États-Unis et les meilleures performances au sein des secteurs ont été le fait des valeurs synonymes d’innovation. Il s’agit là de deux tendances qui, selon moi, devraient se poursuivre. La seule façon d’échapper à la « monotonie » de l’environnement boursier actuel est d’investir dans l’innovation, en particulier dans la santé, la technologie et les médias.

L’épicentre de la crise se situe dans les pays émergents, non à Wall Street. Une fois cette volatilité apaisée, les investisseurs devraient à nouveau pouvoir faire la distinction entre, d’un côté, des problèmes de plus en plus importants au sein des marchés émergents et, de l’autre, une croissance qui se poursuit à un rythme satisfaisant aux États-Unis (et au Royaume-Uni). La baisse des prix des produits va avoir un impact positif sur les revenus réels et la consommation aux États-Unis, mais à condition que les autorités monétaires ne fassent pas obstacle à ces effets. Carburants moins chers, moindre endettement des banques, solidité de la situation financière des ménages et des entreprises, meilleures conditions budgétaires sont également autant de facteurs favorisant une plus grande résistance des États-Unis par comparaison avec le dernier choc déflationniste de 2011.

Surmonter la volatilité des marchés

Tenter de prévoir l’évolution des marchés durant des épisodes de volatilité revient à essayer de rattraper un couteau en train de tomber : il y a plus de risques de ne pas y arriver que le contraire. En règle générale, il vaut mieux patienter jusqu’à ce que la volatilité s’atténue et revenir progressivement à une approche de sélection de valeurs basée sur les fondamentaux des entreprises.

Selon moi, la volatilité va persister sur les marchés au mois de septembre, et ce, jusqu’à ce que, en particulier, la Fed fasse connaître son avis sur la trajectoire à venir des taux d’intérêt. Quant aux marchés émergents, il est fort probable que leur stabilisation prenne encore plusieurs mois. Il y a encore quelques mois de cela, les marchés auraient pu vivre sereinement un relèvement des taux d’intérêt outre-Atlantique. Mais, ce n’est plus le cas. Les marchés ne sont pas disposés à accepter des erreurs de politique et la Fed se doit de clairement faire savoir qu’elle se gardera de prendre une telle initiative pour le moment. Une fois la volatilité apaisée, la confiance fera son retour et, d’ici la fin de l’année 2015, la tendance haussière du marché américain a toutes les chances de revoir le jour.

Dominic Rossi Septembre 2015

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