Co-auteur de l’étude et ancien responsable de l’activité hedge-fund solution au sein du groupe Société Générale (SGAM AI aujourd’hui intégré à Lyxor AM), Gideon Ozik nous apporte plus de précisions
Quelles ont été les motivations d’une telle étude ? Tout au long des dernières années, j’ai activement participé à la gestion de hedge funds. J’ai récemment développé un fort intérêt pour la recherche, intérêt soutenu par les perspectives intéressantes que mon expérience peut y apporter.
Pour ce qui est du thème de notre étude sur la couverture médiatique des hedge funds, Ronnie et moi avions deux objectifs. Premièrement, Internet a multiplié les flux d’information et modifié la façon dont les nouvelles sont transmises. Par conséquent, la compréhension de l’interaction entre les médias (surtout électroniques) et les processus de gestion de fonds est de plus en plus critique. Deuxièmement, nous étions motivés par l’existence de phénomènes similaires sur le marché action : les titres bénéficiant d’une couverture médiatique ont tendance à sous performer par rapport à ceux qui n’en ont pas. L’explication communément admise de ce phénomène serait que les investisseurs souhaitent payer moins (tout en attendant un meilleur rendement) pour les titres qui sont "hors radar". Nous avons réalisé que les fonds présentent des schémas similaires ce qui remet en cause l’explication ci-dessus. En effet, dans le cas des fonds, la valeur devrait être déterminée par ses actifs et non par sa notoriété.
Comment expliquez-vous vos résultats ?
Les résultats sont très intéressants. Bien que ceux-ci soient robustes, nous ne sommes pas parvenus à quantitativement identifier une cause unique. La conclusion principale est la tendance à la sous-performance des fonds à forte couverture médiatique. Mais nous avons aussi observé que la forte médiatisation est suivie par des sorties au passif et la liquidation de l’actif entraine une pression sur les prix. Toutefois, cela ne suffit à expliquer entièrement la sous-performance des fonds ayant une couverture médiatique importante. Notre étude révèle que les fonds aux performances extrêmes (très bonnes ou très mauvaises) sur une période récente sont ceux qui ont été les plus médiatisés. Il est intéressant de noter que les mauvais fonds comme les bons fonds présentent des résultats identiques : les deux catégories sous performent par rapport à des fonds similaires peu ou pas médiatisés.
Cette étude nous apprend une leçon. Dans le monde des entreprises par exemple, des travaux académiques montrent que les patrons super stars ont des rendements plus faibles après une forte présence média autour d’eux. Une étude montre même qu’à la suite de l’obtention de prestigieuses récompenses et trophées, les patrons d’entreprise améliorent leur handicap au golf (Ils y passent sans doute plus de temps). Dans l’univers des hedge funds où la gestion nécessite du temps, de l’attention et un suivi en temps réel des risques, les bons gérants qui deviennent des célébrités pourraient devenir distraits.
En plus de l'effet négatif sur les performances, nous avons montré que la couverture médiatique contribue à la prévision des flux futurs!Gideon Ozik
Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les effets des flux ? Quelles conclusions peut-on tirer pour les fonds avec lock-up ?
En plus de l’effet négatif sur les performances, nous avons montré que la couverture médiatique contribue à la prévision des flux futurs. Les investisseurs dans les hedge funds s’avèrent être attentifs aux medias et ajustent leur exposition en conséquence.
En constituant des groupes de fonds sur la base des flux antérieurs, la significativité des prévisions utilisant la couverture médiatique est correcte uniquement pour les fonds ayant eu des flux modérés. D’autres facteurs doivent être pris en compte pour l’analyse des fonds ayant fait face aux flux extrêmes.
Pour le cas des fonds à lock-up, notre étude s’intéresse principalement aux fonds long-short action (environ 1000) qui sont typiquement parmi les hedge funds les plus liquides. Néanmoins, nous avons trouvé que "l’effet média" s’observe pour le sous-groupe de fonds avec lock-up tout comme pour celui des fonds sans lock-up. Il serait intéressant d’étudier l’effet média sur des hedge funds moins liquides.
Votre analyse concerne essentiellement des fonds long-short nord américains. Pourquoi une telle localisation géographique ? Quelles conclusions pour les fonds long only ou les mutual funds ?
En théorie, on peut s’attendre à des conclusions similaires indépendamment de la géo-localisation ou de la maturité du marché. Toutefois, la base de données utilisée pour nos travaux recense essentiellement les news en anglais issues d’Amérique du nord. Il était donc logique de restreindre notre étude aux fonds nord américains. Nous effectuerons sans aucun doute des tests sur la France ou ailleurs dès disponibilité de données significatives dans la base.
La mention des mutual funds est très intéressante car elle suscite une interrogation sur l’éventuelle universalité du phénomène. Notre étude montre le lien entre la couverture médiatique et la faiblesse des performances relatives futures pour les fonds. Des études antérieures établissent un lien entre la couverture médiatique et la faiblesse des rendements relatifs pour les actions. De plus, des éléments confirment le lien entre la faible performance relative des dirigeants d’entreprises (non nécessairement financières) et leur forte exposition médiatique. Toutes ces observations regroupées laissent apparaitre un schéma universel et rendent probable un scenario similaire pour les mutual funds. Toutefois, nous ne l’avons pas encore formellement vérifié et l’inscrivons dans notre calendrier de recherche
Avez-vous pu isoler l’impact (s’il existe) des news diffusées à l’initiative des gestionnaires ?
Dans notre étude, nous avons évalué le nombre d’articles (news) par fonds en utilisant Google© News Archive. Cet utilitaire recense les news provenant de multiples sources. On y retrouve des articles de presse plébiscités par les gestionnaires ou des articles indépendants à l’initiative exclusive de journalistes. Etablir une typologie des sources est une approche naturelle pour de recherches complémentaires. Nous avons essayé de comprendre la source de l’exposition médiatique et avons réalisé que les gros fonds avaient une exposition plus importante que les petits, et que les fonds facturant des frais élevés bénéficiaient aussi d’une exposition relative importante. Deux points à retenir. Premièrement l’effet média est validé au sein de groupes établis sur un critère de taille. A titre d’illustration, à l’intérieur du groupe des fonds de petites tailles (et donc une exposition médiatique moyenne faible), les fonds ayant une exposition relative élevée sous-performent par rapport aux autres. Deuxièmement, les frais et la taille du fonds donne une indication du budget du gestionnaire. Il ne serait pas irréaliste d’imaginer que les fonds avec un gros budget dépensent plus en communication marketing et bénéficient d’une médiatisation additionnelle.
Au vue des récentes exigences de transparence demandées par les investisseurs, ne pensez vous pas que la communication, et dans une certaine mesure la couverture médiatique, est actuellement une composante clé du processus de gestion ?
Les gestionnaires de fonds ont des contraintes réglementaires aussi bien que des responsabilités dans la communication avec leurs clients. Notre étude ne donne pas d’avis sur la nature positive ou négative de la communication. Nous montrons simplement qu’une couverture médiatique intensive signale de faibles performances relatives futures.
La couverture médiatique est une pièce importante du puzzle. Par conséquent les analystes ne devraient pas la négliger!Gideon Ozik
Les analystes de fonds devraient ils utiliser la couverture médiatique comme un facteur discriminant dans leur processus de sélection ?
La couverture médiatique est une pièce importante du puzzle. Par conséquent les analystes ne devraient pas la négliger. Il est important de noter que nos travaux mettent en évidence une surexposition des fonds très médiatisés aux biais souvent observés au sein de l’univers hedge funds. On peut citer l’auto-corrélation positive des rendements qui est plus marquée pour les fonds très médiatisés. Ces résultats sont valables en moyenne et particulièrement robustes au sein du groupe des fonds affichant les pires performances passées. Ronnie et moi-même avions présenté dans une étude antérieure l’effet "smart money" (corrélation positive entre flux et performance) pour les hedge funds. Dans cette étude sur la couverture médiatique, nous montrons que l’effet "smart money" est encore plus marqué pour les fonds très médiatisés. Voila quelques éléments qui plaident en faveur d’une prise en compte par les analystes, investisseurs et gérants de fond de fonds de la singularité d’un investissement dans un fonds High-profile
Que peut-on dire alors des rumeurs et la manipulation des médias ?
Les notions d’information et couverture médiatique sont très larges. Afin d’étudier les rumeurs et manipulations de média, il faudrait disposer d’une base de donnée plus fine, avoir la possibilité de déduire la nature mais aussi l’origine de l’information (communiqués de presse initiés par le hedge fund ou articles indépendants). Pendant nos travaux, nous n’avions pas accès à tous ces paramètres et nous nous efforcerons d’améliorer notre technologie afin d’espérer pouvoir fournir des réponses à ces questions additionnelles.