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Ode au long terme

Il est peut-être temps de s’intéresser aux obligations à long terme, car elles pourraient profiter d’une victoire démocrate aux élections américaines. L’analyse de Peter de Coensel, CIO Fixed Income chez DPAM...

Les rendements nominaux à long terme des obligations peuvent en théorie être calculés à partir des taux réels à court terme auxquels s’ajoute la prime de terme. Cette dernière sert pour l’essentiel à rémunérer les investisseurs pour le risque qu’ils prennent en détenant une obligation à échéance lointaine. Lorsque l’inflation est stable, la prime de terme varie en fonction de l’augmentation attendue des taux courts. Ainsi, la hausse du rendement du 30 ans américain, qui est passé de 2,10 à 3,45% entre juillet 2016 et novembre 2018 a résulté pour l’essentiel des perspectives de hausse des taux courts, la Fed ayant alors normalisé ses taux directeurs dans un contexte d’inflation systématiquement inférieure aux attentes.

Vers des rendements réels durablement négatifs

Mais dans l’environnement actuel, les anticipations de hausse des taux courts ne devraient pas avoir pour effet d’augmenter la prime de terme. Si l’on construisait une courbe des rendements à partir des échéances les plus courtes (Overnight index swap rates), le rendement du 30 ans américain serait de 1,02% et celui du Bund allemand de même échéance de -0,03%. Le rendement nominal actuel de 1,57% du 30 ans américain devrait permettre de compenser l’inflation attendue durant la période de détention de ce titre. En réalité, ce n’est pas le cas puisque vendredi dernier les prévisions d’inflation sur 30 ans s’établissaient à 1,86%, ce qui correspond à un rendement réel du 30 ans de -0,29 %. Or cette situation va perdurer et risque même de s’aggraver : les rendements réels à 30 ans pourraient tomber encore plus bas, comme cela a été le cas au début des années 1950 puis au cours des années 1970.

Le programme d’achat d’actifs de la FED a pour conséquence la réduction rapide du flottant en bons du Trésor américain. Ce flottant peut se calculer en soustrayant de l’encours total des bons du Trésor celui des titres détenus par la FED ainsi que par des institutions étrangères. A l’heure actuelle, ce flottant qui se situe entre 30 et 40 % est toujours susceptible d’exercer une pression à la hausse sur la prime de terme, car les perspectives de reflation sont haussières à court terme. Et la fourchette actuelle qui va de 1,90 % à 2,10 % pourrait être remise en question, même si cette probabilité est faible. Quoiqu’il en soit, cela ouvrirait une belle opportunité d’achat : la poursuite de la politique d’assouplissement quantitatif (et la réduction subséquente du flottant de titres de qualité et sans risque) ainsi que les réallocations induites par les rendements réels négatifs finiront par pousser les rendements nominaux du 30 ans en dessous de leurs niveaux actuels.

Au début juin, le rendement du 30 ans américain se situait à 1,75%. Or en cas de victoire de Joe Biden, il serait nécessairement révisé ce qui offrirait une première opportunité pour augmenter les positions à long terme. Il devrait être évident que si d’un côté la prime de terme est influencée par la politique monétaire, d’un autre côté les rendements à long terme subissent la pression de différents facteurs non monétaires. Il s’agit d’un potentiel de croissance économique réel qui tend à s’amenuiser, d’une démographie qui stimule la demande d’obligations ainsi que, dans un environnement d’inflation rampante des actifs financiers, de la préférence des investisseurs institutionnels pour la sécurité.

Le trou noir des Bunds

En Europe, les rendements des emprunts d’État à 30 ans de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce sont tombés à des niveaux historiquement bas la semaine dernière. Les BTP italiens à 30 ans ont clôturé à 1,61 % et les rendements des emprunts espagnols et portugais à 30 ans sont tombés en dessous de 1,00 % ! Pour leur part, ceux des emprunts grecs à 30 ans se sont établis à 1,35 %. Or, qui aurait pu envisager que les rendements des emprunts grecs à 10 ans qui avaient franchi la barre des 30% en février 2012, puissent clôturer à 0,86 % vendredi dernier ? Tout ceci témoigne à l’évidence d’une accélération de la convergence des taux à long terme au sein de l’UEM. Le rendement négatif de 10 points de base (pb) des Bunds allemands à 30 ans agit comme un véritable trou noir.

Alors que le flottant des bons du Trésor américain se contracte progressivement, celui des emprunts du gouvernement allemand est déjà inférieur à 10 % ! Certaines études montrent même qu’il a chuté à environ 3 % alors qu’en 2017, il se situait encore aux alentours de 15 %. De fait, la combinaison d’une réduction des émissions d’obligations allemandes (qui a découlé de la présence d’excédents budgétaires durant la période pré-Covid), des achats incessants des banques centrales et de l’intérêt accru des investisseurs « buy and hold » pour les obligations les plus sûres a abouti à une énorme pénurie. Tout cela maintient fermement le rendement de l’emprunt de référence allemand à 30 ans autour de zéro et à l’heure actuelle en territoire négatif, ce qui est autrement difficile à comprendre. Les Pays-Bas à -0,03% et la Suisse à -0,33% sont les deux autres pays qui peuvent se financer à des taux négatifs, donc pour ainsi dire avec un léger bénéfice, à l’horizon d’une génération.

Au vu de l’importance des déficits publics, le besoin d’emprunter va augmenter ce qui se traduira par un accroissement de l’offre de papier. Cette dernière sera absorbée par des investisseurs en forte demande de possibilités de réinvestissement ainsi que par des programmes d’achats d’actifs des banques centrales maintenus dans la durée et qui sont en expansion. En 2021, l’offre sera donc déficitaire, mais cela ne constitue pas pour autant un argument valable en faveur des hausses des taux.

Ce que disent les marchés

Comment les marchés ont-ils intégré le scénario d’une victoire écrasante d’un Joe Biden qui disposerait d’une majorité démocrate dans les deux Chambres ? Le rendement du 30 ans a progressé de 8,5 points de base à 1,57%, l’or a gagné 1% à 1930 dollars/once et le dollar s’est affaibli (-0,50% mesuré selon le trade-weighted US Dollar index) alors que la paire EUR/USD a terminé à 1,185. Les anticipations d’inflation à 30 ans ont progressé pour atteindre 1,86 % et donc tenter de franchir la barre des 2,00 % ces prochains trimestres. Une présidence démocrate devrait entraîner une forte hausse des dépenses publiques durant l’année 2021, ce qui s’est déjà traduit par une nette progression des performances de différents segments du marché actions d’une semaine sur l’autre : énergies renouvelables (+9,5%), infrastructures (+7,2%) et actions chinoises (+5,2%). Or, faut-il le répéter, l’inflation du prix des actifs financiers est un cercle vicieux dans lequel la hausse de la valorisation des actions va de pair avec un intérêt grandissant pour les obligations sans risque et de qualité, assorties d’échéances longues. Néanmoins, la corrélation des performances des obligations et des actions reste clairement négative et les emprunts d’Etat à échéance longue et notés « AAA » diversifient efficacement le risque dans les portefeuilles équilibrés. Cette corrélation négative se trouvera consolidée par une politique monétaire accommodante et des anticipations d’inflation modérées.

Des banques centrales prisonnières

En guise de conclusion, on peut affirmer que les décisions des banques centrales de l’OCDE de maintenir les taux à un niveau très bas ainsi que de continuer à procéder à des achats d’actifs vont se traduire par un déficit d’offre en 2021, et ceci nous renforce dans notre conviction d’une convergence des taux longs.

La combinaison des efforts de reflation tant monétaire que budgétaire pourrait favoriser une pentification de la partie courte de la courbe. Cependant, l’impact de la pandémie sur le potentiel de croissance économique à plus long terme tendra à réduire les primes de terme. Le débat autour de la hausse durable des taux d’intérêt à long terme deviendra caduc du fait de l’existence de facteurs tels que la démographie et l’accélération de la financiarisation de l’économie.

En effet, la tendance des entreprises à préférer les actifs financiers aux actifs productifs reste fortement encouragée et les banques centrales ne font qu’attiser ce feu de la financiarisation. En dépit de leurs objectifs rationnels, ces dernières sont devenues les prisonnières de leurs propres politiques, comme le constatait récemment un stratège reconnu. Dans ce contexte, une exposition diversifiée sur les marchés obligataires développés et émergents offre néanmoins encore des perspectives de rendement que l’on peut qualifier de « décentes ».

Peter de Coensel Octobre 2020

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