La croissance montre des signes d’essoufflement. est-ce le résultat de la démonétisation intervenue brutalement en novembre 2016 ?
Les derniers chiffres de croissance sont effectivement en repli. La croissance du PIB n’a été que de 5,7% au 2e trimestre 2017 après 6,1% au premier trimestre. Bien évidemment le premier réflexe a été de mettre en cause la démonétisation… puis l’instauration de la taxe unifiée. L’honnêteté nous pousse toutefois à remonter un peu plus loin dans le temps et noter que le ralentissement est patent depuis le point haut du 1er trimestre 2016 (PIB à 9,2% en glissement annuel). Cette époque correspond au retournement du prix du pétrole, mais aussi à la montée en puissance de mesures de réglementation visant au désendettement des banques (identification des créances douteuses, hausses des provisions…). Tout ceci s’est traduit par un ralentissement de la croissance du crédit, et a eu pour conséquence un tassement de l’activité. L’annonce soudaine d’un retrait de la circulation des billets de 500 et 1000 roupies, représentant 88% de la monnaie fiduciaire dans une économie où 80 % des transactions se font encore en liquide n’a fait qu’amplifier une tendance bien amorcée.
L’annonce soudaine d’un retrait de la circulation des billets de 500 et 1000 roupies, représentant 88% de la monnaie fiduciaire dans une économie où 80 % des transactions se font encore en liquide n’a fait qu’amplifier une tendance bien amorcée.
Ainsi la politique du gouvernement aurait un coût immédiat non nul en matière de croissance économique ?
L’effet disruptif de l’opération de démonétisation est indéniable à court terme. Mais pour autant, il faut y voir une vision à long terme du gouvernement Modi, qui souhaite réduire la part informelle de l’économie et faire entrer l’Inde dans le XXIe siècle, notamment par l’augmentation de la bancarisation de son économie.
C’est également une partie des motivations qui sous-tendent l’introduction en juillet dernier du système de taxe unifiée sur les biens et services à l’échelon national, qui vient en remplacement de 15 régimes régionaux différents de taxes. Bien évidemment, il s’agit ici pour le gouvernement de faciliter les échanges à travers le pays, d’augmenter la base fiscale mais aussi de simplifier l’environnement pour l’investisseur étranger. Mais le nouveau régime unifié de taxes reste tout de même complexe, impliquant plusieurs taux, différents entre inputs et biens de consommation finale. Beaucoup d’agents ont anticipé le changement fiscal, en privilégiant la réduction des stocks afin de limiter les écarts de taxation. Ce changement fiscal majeur à l’échelle de l’Inde a donc vraisemblablement eu un impact négatif sur la production avant le mois de juillet.
Y a-t-il une réaction du gouvernement a ce ralentissement de l’activité ?
Le gouvernement s’est a priori ému des derniers chiffres publiés (production industrielle en hausse de 1,6% sur un an en juillet contre 7% en juin 2016). Il a annoncé certains ajustements techniques applicables au système unifié de taxe sur les biens et services. Il s’agit notamment d’en exempter un certain nombre d’entreprises, d’autoriser au plus grand nombre d’entre elles de procéder à une déclaration trimestrielle et non plus mensuelle, d’accélérer le remboursement par l’administration de la taxe aux entreprises exportatrices rencontrant des problèmes de liquidité, et pour finir de revenir sur le principe selon lequel le versement de la taxe revient au client quand celui-ci effectue un achat à une entreprise non déclarée ! Mais le gouvernement ne se contente pas de modifier l’application de sa mesure emblématique, obtenue au prix de débats législatifs sans fin, il annonce également quelques mesures de soutien à la consommation, réagissant à l’affaiblissement de celle-ci dans les dernières estimations. Ainsi, il indique un abaissement des taxes sur l’essence et le diesel et prévoit d’augmenter les dépenses du prochain budget. L’approche dans un premier temps des prochaines élections locales, puis des élections générales en 2019, n’est vraisemblablement pas étrangère à ces dernières annonces.
Ainsi la conjoncture indienne ne semble pas relever de la même dynamique que celle a l’œuvre dans le reste de l’Asie ?
En effet, alors que le FMI continue de réévaluer à la hausse ses estimations de croissance pour la plupart des pays d’Asie, la croissance indienne est revue à la baisse (-0,5 point pour 2017). Le FMI n’attend plus que 6,7% de croissance du PIB pour 2017 avant un léger rebond pour 2018 (+7,4%). Rappelons que l’Inde n’est que très peu ouverte sur l’extérieur, ses exportations représentant 15,3% du PIB, et surtout que l’Asie ne représente que 19% du total de ses exportations. En comparaison, la Chine a plus de 36% de ses exportations qui sont à destination de l’Asie, et ses exportations pèsent pour un peu plus de 20% du PIB. L’Inde se trouve donc beaucoup plus sensible à sa demande intérieure, et alors qu’elle doit encore faire face à un poids non négligeable du secteur agricole (15% de son PIB), ce qui lui donne une évolution conjoncturelle propre. On comprend mieux la volonté du gouvernement de soutenir cette demande intérieure.
Mais les politiques mises en place depuis l’arrivée de M. Modi ont-elles été globalement efficaces ?
L’une des grandes réussites est le contrôle de l’inflation exercé par la banque centrale. En effet, après qu’elle ait culminé à 12% en glissement annuel à la fin de 2013, la politique monétaire s’est centrée sur un objectif d’inflation. A l’aide d’un corridor de taux directeurs et surtout une clarification de sa communication, la banque centrale a permis le retour d’une hausse des prix à la consommation à 3,4% en glissement annuel en août, et donc rendu possible un assouplissement nécessaire de la politique monétaire. Il demeure néanmoins des difficultés dans la transmission de cette politique monétaire à l’économie réelle. En effet, les taux appliqués aux entreprises restent encore élevés, en particulier ceux pratiqués par les banques du secteur public, les plus concernées par l’accumulation des créances douteuses. Ces dernières représentent 7% du total des actifs bancaires, et ont progressé de 60% sur la seule année 2016 ! Le gouvernement envisage d’ailleurs dans ses récentes annonces de procéder à une nouvelle recapitalisation de certaines banques publiques.
Une autre réussite est sans aucun doute la réduction du déficit courant, engagée certes dès la mi-2013, mais qui perdure dans un environnement de prix de l’énergie un peu moins favorable pour un pays importateur. L’ouverture aux investisseurs étrangers par le biais d’assouplissement des mesures administratives permet aujourd’hui de « couvrir » en grande partie le déficit courant de 2,4% du PIB (fin juin 2017) par une nette progression des investissements directs, ce qui rend le financement externe du pays bien plus pérenne.
En conclusion, faut-il donc investir sur les actions indiennes aujourd’hui ?
Il nous semble que la conjoncture actuelle est un peu moins favorable qu’ailleurs en Asie. Si les mesures de démonétisation et d’instauration d’une taxe unique sur les biens et services ne sont que des phénomènes transitoires et plutôt positifs sur le long terme pour l’économie indienne, la baisse de la demande de crédit, la situation des banques et notamment la gestion d’une forte hausse des créances douteuses nous semblent être un frein à une relance très rapide de la croissance. Les perspectives à court terme sur le marché actions indien sont donc vraisemblablement moins favorables.
Ainsi nous sous-pondérons actuellement dans le cadre de notre gestion actions émergentes à travers le fonds CPR GEAR Emergents l’Inde en relatif par rapport au poids du pays dans le MSCI Emergents.
Nous pourrions néanmoins retrouver des opportunités sur ce marché fin 2017 ou début 2018, compte tenu de fondamentaux plutôt encourageants, avec la perspective d’échéances électorales, périodes souvent favorables aux diverses mesures de soutien de la demande d’une part, et, d’autre part, de l’ampleur de la correction d’ores et déjà intervenue sur ce marché.