Fiat, Unicredit, Pearson ou encore le club de football de la Juventus de Turin : depuis sa création, en 2006, et en seulement cinq ans, la Libyan Investment Authority (LIA) a pris une influence considérable dans les milieux financiers, servant ainsi de passerelle avec les milieux intellectuels. L’objectif était double : diversifier les actifs économiques en sortant de la dépendance excessive au pétrole, et laver plus blanc que blanc à travers la construction d’un réseau constitué de personnalités de haut rang – en l’occurrence quelques-unes des principales figures de l’intelligentsia britannique.
En devenant partenaire de la London School of Economics de Londres, la Libye a aussi précipité la démission de Howard Davies, le directeur général de la vénérable institution, qui en échange formait des étudiants libyens aux hautes fonctions de l’économie et de la finance. Dès le déclenchement du conflit en Libye, les noms sont tombés un à un. Ceux qui considéraient que les Libyens étaient finalement devenus fréquentables sont à leur tour devenus infréquentables.
Mais le nerf de la guerre réside dans les circuits financiers, qui ont été gelés dans la plupart des pays occidentaux. Au Royaume-Uni, c’est la reine Elizabeth II qui a signé de sa propre main le décret ministériel empêchant la banque centrale de Libye de reprendre possession “physique” des huit cents millions de livres (un milliard d’euros) investis au Royaume-Uni en pétrodollars depuis 2004. Londres est en effet devenu la principale plaque tournante des investissements libyens, au bénéfice de l’esprit arabic-friendly y ayant court dans les milieux financiers, et que l’incident libyen ne remettra pas en cause (influence considérable des qataris).
Les actifs libyens au Royaume-Uni sont en fait beaucoup plus importants que le contenu du décret signé par Elizabeth II ne le laisse entendre. Selon les estimations de spécialistes, la totalité des investissements présents au Royaume-Uni, gelés ou non, s’élève à quelque 20 milliards de livres. Les avoirs sensibles et aisément identifiables ont été vite suspendus : c’est le cas par exemple de la participation de la Libyan Investment Authority – 65 milliards de dollars d’actifs au total -, dans Pearson (qui édite le Financial Times ainsi que les éditions très reconnues Penguin -, mais aussi deux immeubles dans des quartiers très exposés de Londres, notamment celui d’Oxford Street, et le manoir du deuxième fils du dictateur, Saif al-Islam, le principal acteur de la finance libyenne, dans le quartier cossu d’Hampstead). La LIA possédait aussi des actions dans Royal Bank of Scotland et Finmeccanica (Italie).
La LIA avait investi 800 millions de dollars dans FM Capital Partners, un hedge fund géré par deux Français : Frédéric Marino et Aurélien Bessot!
L’un des exemples les plus récents et les plus spectaculaires de l’influence grandissante de l’argent de la famille Khadafi dans la finance était celui de FM Capital Partners, un hedge fund géré par deux Français : Frédéric Marino et Aurélien Bessot. Le premier avait auparavant été directeur du marketing – hedge funds pour Merrill Lynch après avoir travaillé pour Bear Stearns, le second directeur des produits dérivés exotiques chez Bank of America. La LIA avait investi 800 millions de dollars dans ce hedge fund nouvellement créé en septembre 2009. Ce fonds d’investissement s’apprêtait à lever des fonds avec la garantie libyenne pour la première fois cette année.
L’accord avec FM Capital Partners, qui est situé au 1, Knigthsbridge, à Londres, à l’angle de Hyde Park et de Bukhingham Palace, dépassait le cadre purement financier, puisque un programme de formation de professionnels de la finance, sur trois ans, était destiné à fournir à la Libye des professionnels next generation en matière d’analyse financière. Une quarantaine d’étudiants, en partie venue de Libye, formaient une équipe en formation de traders spécialisés dans la gestion du risque et les exécutions d’ordre, dans la recherche et dans la stratégie. Les stratégies de FM Capital Partners avaient en partie été approuvée par la FSA, la Financial Services Authority, avec du equity-long-short, du “event-driven-, de l’arbitrage statistique, de la volatilité et un fonds global macro.
Pour FM Capital Partners, cette participation libyenne – 55% de ses actifs, via le Libya Africa Investment Portfolio - constitue une véritable entrave à des développements ultérieurs. La situation est bloquée du fait que c’est la LIA qui supervisait ce fonds. Chacun des acteurs refuse de s’exprimer sur la question, même si le site internet est restée inchangé, et que le HM Treasury, le ministère des finances britannique, a donné à FM Capital Partners l’autorisation de continuer ses activités de trading après que l’Union européenne eut gelé les cinq entités libyenne existant dans la finance – dont la LIA et sa participation dans FM Capital Partners. Concrètement, le HM Treasury a donné le droit à FM Capital Partners le droit de trader comme d’habitude dans les marchés, à partir du moment où ils ne transfèrent par l’argent à l’une des parties bannies. Notamment l’actionnaire principale du hedge fund...
Ce blanc-seing donné aux activités de FM Capital Partners n’a pas dissipé les inquiétudes des marchés. “Du fait de la difficulté de lever des fonds actuellement, ces liens avec la Libye vont probablement créer des interrogations et des problèmes, notamment en matière de réputation”, estime Jerome Lussan, fondateur de Laven Partners LLP, à Londres, qui scrute les hedge funds pour les investisseurs.
Une grande partie des positions de FM Capital Partners est en effet coté en bourse, ce qui fait qu’elles concernent de près ou de loin un grand nombre d’investisseurs et qui expose les banques à un plus grand risque, notamment dans le cas d’un grand volume de trading over-the-counter. Depuis l’adoption de la directive européenne, le mois dernier, un certain malaise existe chez les traders par rapport à FM Capital. Les victimes collatérales à ces sanctions financières sont nombreuses, et très rarement impliquées à l’origine dans l’écheveau politique libyen.