Trois situations, notamment, sans intervention étatique ou dispositif de secours, peuvent mettre en danger l’existence d’une banque :
1. une crise de solvabilité ; ceci signifie que suite à de fortes dépréciations d’actifs, l’établissement bancaire enregistre une baisse significative de ces fonds propres et se retrouve en situation de sous-capitalisation (ratio de solvabilité en deça des minima réglementaires requis par le Comité de Bale)
2. une crise de liquidité (le fameux « bank run » ou fuite des dépôts) matérialisée par l’incapacité de la banque à refinancer son activité courant. Quoi qu’il en soit, l’une de ces crises entraîne l’autre qui aggrave ainsi la première : la crise de liquidité que connaît une banque va la conduire à vendre dans l’urgence des actifs dans des conditions économiques très défavorables et donc à constater des moins values importantes, synonymes de destruction de fonds propres ; lesquelles vont nettement dégrader la solvabilité et aggraver la perte de confiance des marchés et des déposants, donc la crise de liquidité.
3. enfin un accident spectaculaire type « scandale » de trading à grande échelle qui aurait pour conséquence(s)
- de transformer cette situation en crise de solvabilité compte tenu de pertes abyssales il peut réduire les fonds propres
- ou/et de la transformer en crise de liquidité car la confiance des épargnants et des marchés pour continuer à financer l’établissement serait sérieusement entamée.
Ce troisième cas est le sujet dont nous voulons parler ici et puisqu’il est quelque peu éclipsé aujourd’hui, reparlons-en dès à présent et essayons de comprendre six raisons majeures pourquoi ces scandales de trading surviennent et surtout pourquoi ils pourraient encore se produire.
Entendons-nous bien, il n’est pas question de faire le procès de marchés financiers comme. On pourrait « facilement » montrer à quel point les thèses démagogiques sur la séparation dogmatique entre les activités liées à la banque de dépôts et les activités liées aux marchés financiers étaient aussi simplistes que naives
Je connais depuis maintenant plus de 20 ans les marchés financiers pour y avoir pratiqué les 4 types d’opérations de marché que l’on peut rencontrer
- opérations de trading et d’arbitrage qui, au-delà de leur dimension dite « spéculative » sont censées favoriser la liquidité des marchés et corriger les anomalies de valorisation de certains actifs financiers
- opérations d’investissement qui doivent permettre de replacer sur les marchés les excédents de liquidités inutilisées pour financer l’économie
- opérations de refinancement pour lever de la liquidité dans des conditions économiques et financières les moins défavorables possibles
- enfin les opérations de couverture pour préserver les équilibres financiers de la banque et pour couvrir les risques financiers
Dès lors, l’on doit aussi pouvoir comprendre pourquoi et comment des dysfonctionnements qui ont défrayé la chronique (fraude, manipulations, positions avec levier sans commune mesure avec les limites de risque, défaillances dans l’organisation des activités de marché) peuvent-ils encore se produire ?
RETOUR DANS LE PASSÉ
Attention, ne confondons pas fraude, escroquerie et ysfonctionnements majeurs dans l’organisation des activités de marché. Parmi les escroqueries les plus célèbres, on citera l’affaire Madoff et l’affaire Stanford
Fraude pyramidale organisée par Bernard Madoff qui a fait perdre quelque 50 Mds$ à des banques, des particuliers, des universités ou des organisations caritatives
L’affaire Stanford (2009)
Escroquerie du milliardaire Allen Stanford portant sur 8 Mds$ (dont 1,6 milliard pour son bénéfice personnel), de blanchiment d’argent et d’obstruction à la justice. L’escroquerie a commencé en septembre 1999 et a concerné essentiellement des investisseurs américains.
Ce sont les scandales de trading ou dysfonctionnements dans l’organisation des activités de marché des banques qui nous intéressent ici
Souvenirs, souvenirs…
En février 1995, la plus ancienne banque d’affaires britannique, Barings fait défaut suite aux pertes accumulées de 1.3 Mds$ sur les futures Nikkei par son trader Nick Leeson basé à Singapour. Ce trader assurait tout à la fois les opérations d’engagement (front office) , de contrôle des opérations (middle office) et de comptabilisation de ces opérations (Back Office). La séparation des fonctions est pourtant la base d’une organisation sécurisée des activités de marché.
L’affaire Sumitomo (1996)
Yasuo Hamanaka, patron du trading sur le marché du cuivre au sein de la société japonaise de négoce Sumitomo Corp., a quant à lui fait perdre 2,6 Mds$ à son entreprise en réalisant des transactions frauduleuses durant 10 ans jusqu’en 1996. Tout ceci rend naturellement perplexe quant aux complicités et à l’absence cruelle de contrôles.
Moins connu mais tout aussi époustouflant , le scandale Allfirst (2003) John Rusnak, trader devises pour la banque irlandaise Allfirst Financial, avait réussi à « cacher » 691 M$ de pertes de trading. Sur un marché comme le forex, ceci paraît assez hallucinant.
L’affaire Kerviel de la Société Générale (2008)
Le 24 janvier 2008, la Société Générale annonce avoir été victime d’une perte phénoménale de 4,9 Mds€ suite aux prises de positions démesurées sur les contrats à terme sur indices boursiers d’un de ses traders Jérôme Kerviel (50 Mds$ en équivalent nominal). Deux éléments surprendront de prime abord tous les professionnels qui ont ou ont eu une pratique des marchés financiers : que cette affaire ait pu se produire malgré
la réputation de la Société Générale sur les dérivés actions
la liquidité des instruments financiers utilisés qui entraînaient des appels de marge au sein des très respectables chambres de compensation plutôt visibles en termes de trésorerie ; une variation défavorable de « seulement »1% des indices sur une journée devait signifier des appels en trésorerie de 1% des positions ouvertes pour couvrir les pertes latentes, soit 500 M€.
Boris Picano-Nacci, trader au sein du compte propre de la Caisse nationale des Caisses d’épargne fait perdre jusqu’à 750 M€ en octobre 2008 à son employeur. Juste un mois après la faillite de Lehman Brothers le 15/09/2008 et au moment même de la mise en œuvre du sauvetage de Dexia, de Fortis et du plan d’aide à destination des banques. Surprenant car les activités compte propre de l’établissement étaient officiellement gérées en extinction. Par ailleurs, contrairement à l’affaire Kerviel, les prises de positions au-delà des limites de risque autorisées portaient sur des instruments complexes illiquides, rendant ainsi le débouclage des positions très coûteux.
La banque suisse UBS annonce le 15/09/2011 des pertes de trading évaluées à 2,3 Mds$ au sein de son activité « Global Synthetic Equity ». Ces pertes sont imputées à un trader en fonds indiciels ou ETF (exchange-traded Fund) Kweku Adoboli. Les ETF sont des produits cotés qui répliquent des indices boursiers ou d’autres types d’actifs.
L’affaire JP Morgan ou de "la baleine de Londres" (2012)
Le trader Bruno Iksil, travaillant pour le chief investment office (CIO) de JP Morgan , est officiellement à l’origine de pertes estimées à 4.4 Mds$. Ce qui étonne là encore dans cette affaire est le fait que ce CIO avait pour mission principale de couvrir via le marché des CDS (pour credit default swaps) l’ensemble des risques de contrepartie de la banque. On voit là encore que la frontière entre spéculation et couverture est loin d’être objective.
POURQUOI CES SCANDALES ?
Nous pouvons recenser six types de raisons permettant d’expliquer l’origine de ces scandales. Il ne s’agit pas ici de vouloir refaire le monde mais de chercher à comprendre si d’autres dérives de ce type peuvent encore se produire.
1. Des dispositifs de contrôle des risques qui ont toujours un temps de retard sur ce que l’on va appeler l’ingénierie financière
Par ingénierie financière, il faut entendre la capacité à créer et structurer de nouveaux produits financiers à partir de produits existants à des fins spéculatives ou à des fins de couverture des risques ou tout simplement pour répondre à des besoins clientèle plus ou moins sophistiqués. Dans ces conditions, Le structureur (enfin aujourd’hui ce qu’il en reste) et le trader sur les marchés financiers ont un temps d’avance en matière de compréhension des produits et techniques sur le contrôleur des risques (ou, ce qui revient au même, le contrôleur a un temps de retard).
Certes, le contrôleur des risques ne doit pas être un opérationnel des marchés mais devrait avoir une connaissance et une maîtrise aussi parfaites des produits et techniques que les pseudo-ingénieurs financiers (je ne doute pas que l’association ingénieur et financier risque de faire « hurler » un certain nombre de lecteurs)
2. Complexité des instruments financiers et l’effet de levier
Il y a souvent deux problèmes quant à la gestion des positions sur les marchés financiers
La complexité des instruments financiers qui a tendance à rendre ceux-ci illiquides dans des périodes de marché perturbées (encours faibles sur ce type de produits, valorisation quasi-impossible et donc négociabilité interdite, et donc absence de teneur de marché pour assurer la liquidité du titre)
L’effet de levier qui va permettre de gonfler les volumes traités (puisque le cash mobilisé est de plus en plus faible) et amplifier les variations de marché et donc les pertes potentielles.
On se souvient tous des propos de Warren Buffet qualifiant les produits dérivés d’« armes financières de destruction massive ». En tous cas pour bien fixer les idées, on rappellera que ces encours de produits dérivés sont aujourd’hui estimés entre 700 000 Mds$ et 1 500 000 Mds$ (l’amplitude de l’estimation achèvera de convaincre tout le monde de la dangerosité de la situa tion), soit entre 10 et 20 fois le PIB mondial estimé autour de $70 000 Mds. Pour être plus précis, si l’on s’en tient aux statistiques de la BRI, la concentration des encours de produits dérivés est excessive puisque 4 banques américaines représenteraient 93% du total des montants notionnels du monde bancaire et 81% de l’exposition nette actuelle.
JPMorgan Chase :
- Total de bilan : 1 714 Mds$
- Exposition aux produits dérivés : 70 150 Mds$
- Levier : 41
Citibank :
- Total de bilan : 1 444 Mds$
- Exposition aux produits dérivés : 52 100 Mds$
- Levier : 36
Bank Of America :
- Total de bilan : 1611 Mds$
- Exposition aux produits dérivés : 50 100 Mds$
- Levier : 31
Goldman Sachs :
- Total de bilan : 698 Mds$
- Exposition aux produits dérivés : 44 200 Mds$
- Levier : 63
On comparait plus haut l’exposition aux produits dérivés et le PIB mondial (rapport de 10 à 20). Les chiffres ci-dessus sont encore plus affolants lorsque l’on rapporte ces expositions à la taille du total des actifs au bilan des établissements cités (entre 36 et 63 fois !)
On imagine facilement comment des dysfonctionnements dans l’organisation des activités de marché ou/et une course folle aux résultats et bonus peut conduire à des catastrophes de trading. Le Rapport Liikanen préconisait de cantonner les activités de trading « sensibles » dans des entités légales séparées si elles étaient de taille trop importante au dessus de 15 à 25% du total de bilan de la banque ou de 100 Mds €).
La séparation de ces activités de trading ou de spéculation pour compte propre des autres activités bancaires ne résoudra pas tout. Des banques comme Northen Rock (faillite en 2007) Lehman Brothers (faillite en 2008), Dexia (« sauvetage » en 2008, « resauvetage » en 2011 et re-re-sauvetage en 2012), Crédit Immobilier de France (« sauvetage » en 2012) sont des banques sans dépôts et peuvent cependant être un catalyseur de crise grave.
En fait, les prises de positions purement spéculatives sont liées à la forte création monétaire et donc à l’excès de liquidité et aux insuffisances des exigences de fonds propres sur certaines positions de marché. On en revient éternellement à nos idées malheureusement préférées : l’inconscience actuelle des banques centrales ; l’irresponsabilité et l’incompétence de certains économistes, de la majeure partie de ce que l’on appelle les hommes politiques et de certaine s organisations internationales qui leur demandent de faire encore plus en matière d’injections de liquidités et de baisse de taux (on ne voit pas ce qu’il reste à baisser et surtout à quoi cela servirait)
3. Des modèles de risque « complaisants »
J’espère que nous sommes tous aujourd’hui convaincus que les marchés financiers sous-estiment systématiquement les événements rares.
Il y a une explication technique que nous connaissons bien : l’hypothèse selon laquelle les facteurs de risque suivent une loi statistique normale ou log-normale n’est jamais vraiment vérifiée. Cette méthodologie ne permet pas de bien prendre en compte les produits dont le prix n’évolue pas linéairement avec les facteurs de risque, c’est-à-dire aujourd’hui un nombre incalculable de produits financiers : dérivés classiques ou plus exotiques ; titres structurés avec achat d’options implicites (vous achetez par exemple un titre indexé sur la performance d’un panier d’actions) ; titres structurés avec vente d’options implicites (vous achetez ici un titre qui verse périodiquement un coupon élevé à condition qu’un indice action de référence ne baisse pas de plus de X%).
Finalement, le système repose sur la sous-estimation du risque et donc sur des limites de prises de positions trop importantes au regard des risques portés. Pourquoi ? Eh ! bien, il faut continuer à faire croire à une certaine efficience des marchés et à une bonne mutualisation du risque (on a pourtant vu avec la crise des subprime à quel point cette mutualisation pouvait être dangereuse puisque le risque n’était plus correctement localisé et identifié). Et surtout, il faut faire du business en surestimant les espérances de rentabilité et en sous-estimant les risques.
Michel Piermay, président de Fixage, l’écrivait déjà en 2008 « Quel vendeur de produits financiers préférez-vous écouter, celui qui vous explique qu’il n’est pas possible de gagner plus que le taux sans risque (de 2 à 4 %) ou celui qui vous promet du 10 % sans risque » Et Michel Piermay de poursuivre : « Qu’est-ce qui peut inciter l’établissement financier ou l’assureur qui transfère intégralement le risque à des tiers à être prudent ? Quel actuaire choisira le conseil d’administration du fonds de pension, celui qui applique un taux d’actualisation modéré, une prévision de performance financière faible et une table de mortalité prudente, ou celui qui propose des hypothèses plus laxistes qui permettront de diminuer de 20 % la provision à financer par l’employeur »
4. Des gains récompensés mais des erreurs non assumées
Finalement, pourquoi y-a-t-il prise de risque anormale ? Parce que dans des régimes d’actionnariat à responsabilité limitée, une banque ne peut pas perdre plus que ses fonds propres. En fait les activités de marché relèvent d’un fonctionnement complètement anti-libéral et anti-économique alors que ces activités prétendent contribuer à un fonctionnement plus efficient de l’économie : le transfert de risques assumé par les traders, le financement de l’économie au meilleur coût, la liquidité pour se couvrir, les arbitragistes pour corriger des anomalies des prix d’actifs etc.. On nous parle de création de valeur mais on passe sous silence les destructions de fonds propres supportées par les actionnaires, clients, salariés voire demain les déposants
En effet tout ce discours idéologique ne sert à rien dans les modèles d’actionnariat dans lesquels nous vivons. Nous aimons bien cet exemple simple emprunté à Patrick Artus, directeur des études économiques de Natixis dans un papier de novembre 2011 intitulé « Les risques que subissent les banques sont de plus en plus des risques "extrêmes" : quelles conséquences ? » Une banque a 900 de dépôts et 100 de capital. Elle peut investir 1000. Pour une mobilisation de capital de 100, elle peut opter pour un investissement dont le revenu total attendu est soit 100 (avec probabilité ½) soit 1500 (avec probabilité ½). Le revenu total anticipé est donc de 800 (la moitié de 100 + 1500) ; économiquement, il n’est pas sûr que la banque doive l’entreprendre. Mais les actionnaires vont exiger que cet investissement ait lieu. Pourquoi ? Eh ! bien si le projet échoue, ils ne perdent que 100 mais si le projet réussit, ils gagnent 500 (1500 moins 1000 de ressources). Ceci montre bien les conséquences de la limited liability : la prise de risque souvent irrationnelle au regard des fondamentaux.
Mais allons plus loin : puisque la perte possible peut dépasser le capital de la banque, accroître le capital ne réduit pas l’effet de responsabilité limitée et les risques de faillite de la banque si le risque extrême se réalise. Actualisons l’exemple ci-dessus en cas d’augmentation de capital. La banque a toujours 900 de dépôts mais cette fois-ci 200 de capital. Elle peut investir 1100 pour un revenu total anticipé de soit 100 (avec probabilité ½) soit 1 500 (avec probabilité ½) : le revenu total anticipé est donc toujours de 800 (1/2 de 100 + 1500) pour un investissement de 200. Là encore les actionnaires de la banque n’hésiteront pas : si le projet échoue, ils ne perdent que 200 ; si le projet réussit, ils gagnent 400 ((1500 moins 1100 de ressources).
Même en cas de hausse des fonds propres, le régime de la limited liability conduit encore à une prise démesurée de risque
5. La rentabilité court-termiste est contre-productive de même que les modes de rémunération
Certes, il faut être efficace et rentable mais pas n’importe comment et au prix de dégâts collatéraux payés par tout le monde sauf souvent les auteurs du « crime »…Bon on trouvera lorsqu’il le faudra des boucs émissaires. Il n’est pas exagéré de dire que les normes de rentabilité restent excessivement élevées au regard des fondamentaux économiques et privilégient la profitabilité à court terme. Le modèle même d’organisation des activités de marchés peut expliquer les scandales de trading
Je lisais récemment une étude intéressante mais inquiétante du cabinet Labaton Sucharow
Presque 25% des cadres dirigeants du secteur financier interrogés se disent convaincus que les professionnels des salles de marchés peuvent être conduits à mettre en œuvre des pratiques illégales ou contraires à l’éthique pour atteindre leurs objectifs.
60 % des sondés vont même jusqu’à affirmer qu’ils commettraient un délit d’initié s’ils ne risquaient pas de sanctions.
Enfin, 30 % des répondants jugent que leur système de rémunération variable les incite à outrepasser leurs délégations. Les spécialistes de la finance comportementale ont du pain sur la planche…
Dans ces conditions, l’adage « stop your losses and let run your profits » (coupez vos pertes et laissez courir vos profits) reste très théorique. Et puis de toute façon, la nature humaine – et les traders de salles de marché n’y échappent pas – nous porte à faire le contraire, c’est-à-dire à ne pas couper nos pertes et à prendre rapidement de « ridicules » petits profits. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut jamais prendre ses profits et dans la pratique des prises de profits partielles sont indispensables dès que certains objectifs auront été atteints pour reconstituer des marges de manoeuvre ou pour diminuer la pression psychologique. Mais c’est la coupure des pertes qui est douloureuse… Éviter les crises et les accidents de trading ce serait admettre qu’il existe un monde idéal dans lequel :
- la cupidité n’existe plus.
- les normes prudentielles et comptables soient préventives et efficaces
- les banques centrales laisseraient faire la sanction du marché
6. Des exemples récents de fraude qui viennent malheureusement d’en haut et qui ne sont pas là pour montrer le bon exemple
Le scandale BARCLAYS sur le LIBOR en 2012
Le Libor dans une devise type (London Interbank Offered Rate) est le taux interbancaire faisant l’objet d’un fixing quotidien par une quinzaine de grands établissements bancaires sur les prêts qu’elles s’accordent les unes aux autres. C’est une procédure auto déclarative, sans vérification indépendante. Il existe un Libor pour chaque grande devise et pour des maturités allant de 1 mois à 12 mois. Ce taux sert de référence à quelque 350 000 Mds$ de produits dérivés de taux et également à de nombreux crédits immobiliers. Il s’agit d’un taux révisé par exemple tous les 3 mois pour le Libor 3 mois, en fonction des conditions de fixing du moment.
Barclays a admis avoir manipulé le Libor durant la crise financière, dévoilant au grand jour un scandale qui pourrait impliquer des dizaines d’établissements. L’établissement a accepté de payer une amende de 290 M£ (soit 465 M$ ou 355 M€) mais l’accord ne le met pas à l’abri des poursuites. Les investigations sur le scandale du Libor menées par les autorités nord-américaines, européennes et japonaises concernent désormais une dizaine de grandes banques internationales, mais Barclays est à ce jour la seule à avoir reconnu des agissements répréhensibles. La Royal Bank of Scotland (RBS) est notamment impliquée dans ce scandale et pourrait devoir s’acquitter d’une amende d’environs 190 M€ pour les mêmes raisons. D’autres banques seraient concernées : Citigroup, UBS et HSBC.
La tentative de manipulation du Libor, qui s’est déroulée entre 2005 et 2009 a des manifestations diverses
- des millions d’emprunteurs ont pu payer un taux d’intérêt majoré sur leur dette
- mais ce taux d’intérêt pouvait selon les circonstances être minoré s’il s’agissait de montrer au marché qu’il n’y avait pas de problème de confiance entre banques
- des traders de Barclays ont aussi manipulé dès 2005 le Libor pour gonfler les profits du groupe sur les instruments dérivés. Par exemple, je suis payeur d’un taux fixe à 3% sur un swap 3 ans GBP et vais recevoir le Libor 6 mois GBP, je vais donc être tenté lors des dates anniversaires de fixing du Libor chaque semestre de le fixer un peu plus haut que la « normale » ; il faut savoir qu’il a du exister aussi sur d’autres familles de produits dérivés que les swaps (options , forward rate agreement) des manipulations permettant à des tricheurs en col blanc d’afficher des gains de trading malhonnêtes.
Le scandale DEUTSCHE BANK 2012, moins médiatisé que BARCLAYS
Trois anciens salariés de Deutsche Bank ont engagé des procédures auprès des autorités financières américaines, accusant la banque d’avoir caché des pertes latentes (mais peut-être aussi un peu de pertes réelles) de 12 Mds$ (9,2 Mds€) pendant la crise financière (pas de dates précises) selon des sources du Financial Times. Ces plaintes, déposées entre autres auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), accusent Deutsche Bank d’avoir volontairement sous-évalué une importante position des produits dérivés adossés à du crédit (ce que l’on appelle plus précisément des "leveraged super senior loans")
Eh !oui des faits répréhensibles attribués à des traders officiellement « isolés » pouvaient être également le fait d’états-majors fort respectables de grandes banques de financement et d’investissement. Décidément le poisson pourrit souvent – pour ne pas dire toujours - par la tête.
En « conclusion » de ce passage en revue des raisons qui peuvent expliquer les catastrophes de trading, nous dirons que pour éviter ces crises et accidents, il faudrait admettre qu’il existe un monde idéal dans lequel :
- La cupidité n’existe plus.
- Les normes prudentielles et comptables soient préventives et efficaces
- Les banques centrales laisseraient faire la sanction du marché
ALORS EXISTE-T-IL DES GARDES-FOUS ?
Il y a eu en France peu après la révélation de l’affaire Kerviel en janvier 2008 la mise en œuvre du rapport Lagarde (du nom du ministre des finances de l’époque) obligeant les établissements financiers à mettre en place un reporting de recommandations assurant que l’organisation des activités de marché était aussi sécurisée que possible. Aujourd’hui, ce reporting réglementaire fait intervenir au sein d’un établissement tous les acteurs en prise directe ou indirecte avec les opérations de marché : front office de salle des marchés, Middle office du contrôle des risques de marché, Back office et services de révision comptable Le rapport Lagarde porte sur un certain nombre de principes (15 à ce jour) déclinés en points de contrôle (46 aujourd’hui) Parmi ces grands principes, on mentionnera
1. Le suivi des engagements sur les montants nets des positions, mais aussi – très importants -sur les montants notionnels bruts.
2. le recensement et l’analyse des anomalies et des erreurs de traitement des opérations de marché ainsi que des annulations.
3. l’organisation du contrôle des activités de marchés pour permettre un suivi global et individualisé des transactions, de façon à déterminer les profils d’activité et identifier des comportements « étranges ».
4. l’organisation des systèmes d’information afin d’éviter les fraudes et les intrusions.
5. le repérage des comportements atypiques (absence de prise de congés depuis un certain temps par un trader)
Tout ceci est fort louable mais pour faire en sorte que les accidents de trading soient évités, il faudra s’attaquer radicalement aux racines du mal, à savoir les six explications que nous avons évoquées
Nous les rappelons en conclusion de cet article
- Dispositifs de contrôle ayant un temps de retard sur ce que l’on va appeler l’ingénierie financière
- Complexité des instruments financiers et l’effet de levier
- Des modèles de risque « complaisants »
- Des gains récompensés mais des erreurs non assumées
- Des normes de rentabilité irréalistes et des modes de rémunération inadaptés
- Des exemples récents de fraude qui viennent malheureusement d’en haut et qui ne sont pas là pour montrer le bon exemple