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La BNS préfère la déflation à l’instabilité financière

Le 15 janvier, la banque centrale suisse (BNS) a complètement supprimé le plafond de 1,20 franc suisse pour 1 euro, instauré il y a 3 ans et demi, marquant une évolution radicale de sa politique visant à juguler l’influence de la zone euro sur son économie. Dans cet article, nous expliquons les raisons qui ont poussé la BNS dans cette voie et les conséquences potentielles.

L’annonce de la BNS était largement inattendue. Le 15 janvier, la banque centrale suisse (BNS) a abandonné le plafond de 1,20 franc suisse pour 1 euro, instauré il y a 3 ans et demi, marquant une évolution radicale de sa politique monétaire. Après cette annonce, le taux de change EUR/CHF a réagi de manière excessive, atteignant 0,85 (soit un ajustement de 30 %), avant de renouer avec la parité (soit une correction d’environ 20 %), signes de la soudaineté de l’intervention de la BNS et du fait qu’elle n’était absolument pas anticipée par les opérateurs.

La BNS était de plus en plus acculée par l’évolution à sens unique du franc suisse qu’elle avait mise en place. Cette décision s’inscrit dans un contexte précis : après quasiment quatre années d’intervention sur le marché des changes pour acheter des montants élevés d’euros, le bilan de la BNS risquait l’hypertrophie ; il avait gonfl é de près de 30 points de pourcentage de PIB à environ 80 %, un niveau bien plus élevé que celui de la Banque centrale du Japon (environ 60 % du PIB). En 2013 et au 1er semestre 2014, la BNS n’a pas eu besoin d’acheter de l’euro pour maintenir le taux de change EUR/CHF au-dessus de 1,20. Mais depuis que la BCE a décidé d’accélérer sa stratégie monétaire en juin 2014, la monnaie unique subissait des pressions baissières, contraignant la BNS à acheter de nouveau massivement de l’euro. Si les pressions sur la parité EUR/CHF s’étaient accentuées, la BNS aurait dû augmenter son bilan dans des proportions excessives (100 % du PIB, 150 % du PIB ?), ce qui aurait menacé la stabilité financière de la Suisse.

La surévaluation du franc suisse avait diminué ces dernières années. Dans son communiqué, la BNS précise que la surévaluation du franc suisse avait fini par diminuer au fil du temps, ce que l’augmentation constante de l’excédent commercial ces dernières années permet de comprendre. Compte tenu des pressions baissières sur l’euro (dues à la menace déflationniste et au renforcement de la politique de la BCE) et des pressions haussières sur le franc suisse (excédent important de la balance courante, conversion de prêts immobiliers hongrois libellés en franc suisses), la surévaluation du CHF vis-à-vis de l’euro avait effectivement diminué. Pour maintenir la paire EUR/CHF au-dessus de 1,20, il aurait fallu des achats massifs d’euros (synonymes d’une nouvelle augmentation du bilan de la BNS), qui auraient des pertes de changes encore plus importantes à l’avenir pour la banque centrale suisse.

Des taux très négatifs pour décourager la fuite de capitaux que pourrait déclencher le risque politique en Europe. La stratégie de la BNS ne peut être comprise qu’en tenant compte de l’introduction de taux d’intérêt très négatifs censés dissuader les entrées de capitaux susceptibles de menacer la stabilité financière du pays. La BNS a ainsi abaissé le taux des dépôts à -0,75 % et la marge de fluctuation du Libor à 3 mois entre -1,25 % et -0,25 %. Le marché estime désormais que les taux du marché monétaire resteront fortement négatifs pendant une longue période. L’introduction de taux très négatifs peut être assimilée à un substitut de contrôle de capitaux. Même s’ils n’ont pas empêché l’appréciation soudaine du franc suisse face à l’euro, les taux négatifs joueront un rôle important à l’avenir. En outre, le risque politique sera plus prégnant en Europe en 2015 : la cote de popularité des partis populistes est aujourd’hui très élevée et plusieurs scrutins seront organisés en Finlande, France, Espagne, Royaume-Uni, Portugal, etc. Ceci combiné à la situation grecque pourrait entraîner des sorties de capitaux massives. L’introduction de taux très négatifs en Suisse est une bonne nouvelle pour la BCE, car cela permettra de limiter les sorties des liquidités injectées par le QE et de les laisser en circulation en zone euro. Certaines banques suisses ont déjà annoncé qu’elles appliqueraient des taux négatifs sur les comptes de leurs clients supérieurs à un certain montant. Les investisseurs seront moins nombreux à être tentés de placer leurs liquidités en Suisse.

Quel sera l’impact sur l’économie suisse ? La Suisse va sans aucun doute entrer dans une phase déflationniste plus prononcée, mais aussi en récession. Dans son dernier Bulletin trimestriel, la BNS a elle-même précisé : « Une nouvelle appréciation du franc serait lourde de conséquences sur les salaires et les prix et ferait passer le renchérissement largement dans la zone négative. Les entreprises suisses devraient une nouvelle fois réduire leurs coûts de manière radicale pour rester compétitives. Un tel scénario menacerait considérablement la stabilité des prix ». Après l’appréciation marquée du franc suisse face à l’euro en 2011, l’inflation importée est devenue largement négative et cela va surement se répéter en 2015. Il est peu probable que la BNS reste les bras croisés face à des perspectives d’inflation aussi mauvaises (d’autant que la baisse du prix du pétrole va aussi continuer à peser sur l’inflation). Enfin, il semble que le secteur manufacturier ait été sacrifié. En Suisse, l’emploi dans ce secteur reste déprimé (inférieur au niveau de 2008), alors qu’il est très dynamique dans le secteur des services. Cette divergence va être renforcée par la décision de la BNS.

La décision de la BNS est favorable à la BCE. Qu’elle soit intentionnelle ou non, l’appréciation du franc suisse face à l’euro a encore faire baisser le taux de change effectif de l’euro, le CHF représentant plus de 6 % du principal panier de devises suivi par la BCE. Il faut aussi garder à l’esprit que l’euro s’est déprécié surtout face au dollar et à la livre sterling en 2014, mais qu’il s’est apprécié face à plusieurs devises européennes (couronnes norvégienne, suédoise et tchèque, forint hongrois, zloty polonais). Cette nouvelle baisse du taux de change effectif de l’euro est un développement bienvenu pour la BCE.

Le franc suisse devient de nouveau la devise de financement privilégiée pour les opérations de carry trade (portage). Comme la courbe des taux suisses a encore baissé et puisque les taux courts resteront fortement négatifs pendant très longtemps, le franc suisse constitue désormais une source de financement très intéressante. Ces tendances ont aussi renforcé l’intérêt d’utiliser la devise suisse comme devise de financement dans les opérations de carry trade (portage). Qu’elle ait été coordonnée ou non, la décision de la BNS sera aussi favorable à la BCE car l’euro risquait de devenir la devise de financement privilégiée des cambistes.

Le dollar américain restera une devise refuge. Redevenu libre de ses mouvements, le CHF peut théoriquement reprendre son rôle traditionnel de devise refuge mais son appréciation marquée le rend peu attractif. En revanche, le dollar restera, lui, l’une des principales devises refuges. L’augmentation probable du risque politique en Europe en 2015 va probablement exercer des pressions baissières à court terme sur le taux de change EUR/USD. En outre, la moindre nouvelle négative en provenance de Chine déclencherait également une hausse du billet vert. Les incertitudes politiques pourraient faire tomber l’euro sous les 1,10 dollar de façon temporaire.

Bastien Drut , Nicolas Doisy Février 2015

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