Les investisseurs du monde entier se frottent les mains à l’idée de pouvoir acquérir plus aisément des actions domestiques chinoises sur le marché dit « des actions A ». Le 31 mai prochain, celles-ci compteront pour 0,35 % des indices MSCI représentatifs des marchés émergents. À la fin du mois d’août, cette proportion aura sans doute doublé.
Les indices MSCI absorbent les actions A en douceur
La société MSCI intègre actuellement les actions A dans ses indices, mais elle procède en douceur pour pouvoir satisfaire une demande supposée pléthorique. Les investisseurs passifs du monde entier souhaitent en effet ajuster leurs portefeuilles à la nouvelle composition de l’indice de référence, mais les acquisitions quotidiennes d’actions A par des acteurs étrangers sont limitées par des quotas.
Les autorités chinoises font le nécessaire pour s’adapter aux changements en cours. Au début de mois de mai, elles vont quadrupler le volume de transactions du programme Shanghai-Hong Kong Stock Connect, par l’intermédiaire duquel les investisseurs étrangers sont autorisés à acheter des actions du marché domestique. Mais en ouvrant plus grand la porte aux investisseurs étrangers, le pays permet à des flux sortants d’emprunter le même canal en sens inverse.
Les capitaux continentaux affluent vers Hong Kong
Depuis quelques mois, les investisseurs de Chine continentale achètent des actions H chinoises cotées à la bourse de Hong Kong en plus grande quantité (voir la partie gauche du graphique), et ce pour deux raisons. Les actions H sont tout d’abord moins chères que les actions A depuis 2014 (voir la partie droite du graphique). Cette décote n’a pas échappé aux investisseurs domestiques chinois qui préfèrent, bien évidemment, détenir une action H bon marché plutôt que son homologue continentale plus onéreuse.
Deuxièmement, les actions de certaines grandes entreprises – comme Tencent ou différents groupes détenteurs de casinos à Macao – ne sont pas disponibles sur le marché des actions A. Les investisseurs chinois qui souhaitent disposer d’une exposition à ces entreprises sont donc contraints d’investir via Hong Kong.
Avec le temps, cette tendance pourrait modifier le comportement du marché des actions H. Détenues à 86 % par de petits investisseurs (voir le graphique), les actions de Chine continentale sont à la fois très volatiles et très inefficientes. Ces petits investisseurs sont, en proportion, deux fois plus nombreux sur ce marché que sur la plupart des grands marchés développés ou sur ceux des pays asiatiques en développement. Aux États-Unis, aucun marché actions n’a été à ce point dominé par les petits investisseurs depuis les années 1960.
Les petits investisseurs chinois pensent à court terme
En Chine continentale, les petits investisseurs sont inconstants et leurs réactions sont, en général, davantage influencées par les gros titres des journaux et les performances à court terme que par les prévisions à long terme. Les gérants de fonds communs ont eux aussi tendance à adopter ce type de comportement dans la mesure où ils ont généralement un intérêt financier à capter la performance à court terme.
Les marchés des actions A et H ont par exemple réagi très différemment quand l’un des groupes leaders du secteur chinois des télécommunications, China Unicom, a annoncé que ses bénéfices annuels allaient chuter brutalement malgré l’impact positif de la croissance du nombre de ses abonnés à la 4G sur son chiffre d’affaires. Entre le 18 octobre 2016, date de l’annonce, et la fin de l’année 2016, les actions H de l’entreprise ont perdu 5,8 %, mais le cours des actions A de sa société mère, China United Network Communications, a connu une hausse de 38 % (alors même que China Unicom était sa principale source de bénéfices).
Comment expliquer ce décalage ? Les détenteurs d’actions H de China Unicom ont adopté le comportement caractéristique des investisseurs actifs sur les marchés développés et ont pris en compte les conséquences de la faiblesse des bénéfices attendus. En revanche, les détenteurs d’actions A ont rapidement délaissé ces projections pour se laisser convaincre par la volonté de restructuration affichée par l’entreprise et par l’éventuelle introduction de nouveaux investisseurs stratégiques et de nouvelles mesures incitatives à l’intention des cadres. Toutes ces annonces avaient leur importance, mais nous pensons que le cours de l’action A s’est envolé sous l’effet d’attentes peu réalistes à court terme plutôt que sous celui des répercussions potentielles des changements annoncés.
À qui le tour ?
Hong Kong ne constitue qu’une première étape. Avec l’ouverture du marché chinois, nous pensons que, d’ici trois à cinq ans, les flux financiers en provenance de Chine continentale atteindront d’autres pays – notamment les États asiatiques voisins. On peut imaginer que les capitaux des petits investisseurs chinois formeront des flux suffisamment puissants pour modifier la composition de l’actionnariat d’autres marchés et, en fin de compte, leur comportement. Certains marchés relativement restreints pourraient connaître une mutation radicale – par exemple, celui de Taïwan dont les petits investisseurs ne détiennent que 37 %.
Les flux financiers chinois ne vont pas bouleverser les autres marchés du jour au lendemain, mais ils pourraient bien les influencer fortement sur la durée. Si les petits investisseurs chinois deviennent des acteurs importants dans d’autres pays, leur comportement pourrait faire école et augmenter la sensibilité des marchés concernés aux gros titres des journaux et aux impératifs de court terme. La Chine est d’ores et déjà « l’usine du monde », mais elle pourrait bien ajouter la volatilité des marchés actions à la liste des biens qu’elle exporte vers les pays de la région et au-delà.