Lors de sa dernière revue trimestrielle des marchés, le Chief Investment Officer (CIO) de Western Asset, Ken Leech, a pointé trois facteurs de risque généraux pour expliquer la chute globale des marchés au premier trimestre : le ralentissement de la croissance économique en Chine, la poursuite de la chute des cours des matières premières et les faibles performances des actions et obligations bancaires. Dans la mesure où l’impact de ces facteurs s’est considérablement réduit ces dernières semaines, il affiche un relatif optimisme pour l’avenir.
« Le marché s’était montré très pessimiste sur l’évolution de la croissance américaine et globale, affichant des performances très médiocres. Depuis lors, il a rebondi », fait observer Ken Leech, « tout simplement parce que ces trois facteurs ont perdu de leur intensité. Cela, combiné à certains changements dans la politique monétaire (et les déclarations des banquiers centraux), a vraiment changé le tableau d’ensemble. »
« Nous estimons que si les croissances américaine et globale ne sont pas fantastiques, elle sont tout de même d’un niveau satisfaisant », souligne Ken Leech. « Si l’on y ajoute le soutien puissant de la politique monétaire très accommodante des banques centrales, la reprise devrait se poursuivre. D’ici la fin de l’année », il prévoit « une tendance à l’amélioration ».
Les principales causes de l’instabilité observée au premier trimestre
Ken Leech a commencé par exposer les principales causes de l’instabilité observée au premier trimestre.
« Nous nous rappelons tous de la difficulté des conditions de marché globales ». Il les récapitule : « un triple coup de massue a secoué les marchés. Ces trois facteurs, naturellement, se recoupent partiellement et sont corrélés entre eux. Ils peuvent se résumer comme suit : la crainte d’une récession globale, provoquée par un éventuel atterrissage brutal de l’économie chinoise ; l’implosion des cours des matières premières, notamment une chute sévère des prix pétroliers ; et une mauvaise surprise significative du côté des actions et des obligations bancaires, qui souffraient déjà depuis la fin de l’année dernière mais dont la baisse s’est accélérée par la suite. »
« Les niveaux atteints faisaient craindre la résurgence de risques systémiques, certainement eu égard aux spreads obligataires sur les banques. Les obligations bancaires dans l’univers “investment grade” ont affiché les plus mauvaises performances au cours des six premières semaines, pires encore que les obligations des entreprises énergétiques. Ces chutes ne traduisaient pas seulement la crainte d’une récession globale mais également la peur de problèmes systémiques plus larges. Un environnement très difficile, comme nous le savons tous. »
Depuis lors, les marchés ont rebondi par rapport à leurs planchers inattendus du mois de février, ce qui nous a ramené vers le scénario de base de Western Asset : les croissances économique américaine et globale seront modérées.
« Le marché s’est montré beaucoup plus pessimiste que notre vision, qui est celle d’une croissance globale relativement stable, mais à un rythme lent », fait remarquer Ken Leech. « Le marché était en réalité très pessimiste. Et à présent, nous devons faire preuve de prudence : le marché ne redevient-il pas optimiste trop rapidement ? »
« Certains défis sont toujours là. Si la croissance globale est toujours positive, elle reste faible, à peine 3%, rien de très réjouissant. Quant à la croissance américaine, elle croît à un rythme très modéré. »
La politique de la Fed restera accommodante
« Le plus important est que la politique accommodante des banques centrales, qui a soutenu ce redressement, doit rester – et restera – très agressive. »
Dans ce contexte, Ken Leech et l’équipe de Western Asset, estiment que les bons du Trésor américains ainsi que les obligations d’État continueront à bénéficier de la faiblesse des taux directeurs.
« Les obligations d’État ne sont pas entrées dans une phase baissière », souligne-t-il. « De notre point de vue, il faut vraiment tirer parti des spreads. La situation actuelle, marquée par des valorisations déprimées, très favorables, une croissance raisonnable et le soutien des banques centrales, fait de ces produits une vraie occasion à saisir. »
L’action de la Réserve fédérale américaine a influencé également la direction des marchés américains et globaux.
« Le contexte a également évolué en raison du changement de ton de la Fed, qui est devenu plus conciliant », fait remarquer Ken Leech. « Tout le monde se demande combien de fois la Fed resserrera sa politique monétaire. Et va-t-elle commencer dans les prochains jours ? Demain ? Les questions sont simples en effet : quand, combien et quoi ? En réalité, la Fed s’abstient de relever à nouveau son taux directeur parce qu’elle a changé son fusil d’épaule. La Fed est désormais focalisée sur la gestion des risques. Elle ne se contente plus d’observer les données statistiques et de dire clairement au marché qu’elle va agir. »
Dans un contexte de demande globale faible et de chocs baissiers potentiels, Ken Leech estime que « la situation peut devenir très délicate en un laps de temps très court. Cette crainte est toujours présente en nous. Il ne s’agit pas d’afficher un optimisme béat. Mais nous voyons le verre plutôt à moitié plein en raison du fait que les banques centrales resteront très accommodantes dans cet environnement. Il n’y a aucune menace inflationniste à court terme qui les empêche de mener une politique monétaire très agressive. Les marchés l’ont bien compris et leur réaction positive s’est observée partout dans le monde. »
La présidente de la Fed, Janet Yellen, « estime qu’il n’y a aucune raison de brusquer les choses », souligne Ken Leech. « Elle a été très claire à cet égard : la Fed peut se permettre d’attendre parce que l’éventuelle menace inflationniste est tout sauf imminente. Alors que la demande globale est très faible. »
« Ce qui soulève la question suivante, qui peut introduire une divergence d’opinions raisonnable : les ÉtatsUnis sont-ils à ce point indépendants du reste du monde que la Fed puisse se contenter de se focaliser sur le taux d’inflation domestique ? Ou, devrait-elle considérer les États-Unis comme une partie d’un écosystème global particulièrement affecté par la faiblesse de la demande globale ? Ce vent de face continuera à mettre les États-Unis sous pression. »
Défis et opportunités sur les marchés obligataires
S’agissant des défis auxquels l’équipe de Western Asset a été confrontée pour ses investissements, le scénario de base au début de l’année misait sur les spreads.
« Le marché du crédit évolue dans un marché baissier depuis le mois de juin 2014 », explique Ken Leech. « Par rapport aux bons du Trésor et aux obligations d’État, les spreads des titres obligataires sont en réalité très attractifs. Nous le pensions déjà au début de l’année et nous le pensons toujours. Ces marchés baissiers ont produit des valorisations qui nous permettent de profiter de ces cours faibles. »
Ken Leech souligne également que « les crédits de type “investment grade” (IG) ont été stables jusqu’il y a peu alors que les obligations de type “investment grade” ont progressé fortement. »
« Nous avons observé un réalignement des titres “investment grade” et des bons du Trésor », relève-t-il. « Dans une reprise en cours, il est logique de voir les crédits de type “investment grade” afficher au fil du temps des rendements supérieurs aux bons du Trésor. Cette relation est désormais rétablie. » Ce qui n’a pas rendu le trading plus aisé pour autant durant le trimestre écoulé, selon Ken Leech.
« Comme il s’agissait de notre pari le plus affirmé, et dans la mesure où l’univers “investment grade” est un secteur de qualité supérieure, nous savions qu’en ajoutant un produit de spread au moment le plus déprimé du trimestre écoulé, les difficultés des titres à haut rendement s’aggraveraient si notre prévision de croissance s’avérait erronée et si certaines des craintes de l’époque se matérialisaient. »
Les marchés émergents ont été sous pression ces deux dernières années. Mais Ken Leech affiche son optimisme à leur égard.
« Nous pensons que le marché a peut-être touché un plancher », avance-t-il. « Si vous regardez la ligne supérieure, vous voyez le spread entre les rendements des marchés émergents et des marchés matures ».
« Un resserrement éventuel de la politique monétaire de la Fed aurait un impact beaucoup plus limité dans la mesure où toutes les banques centrales s’abstiennent désormais de toute déclaration visant à contrôler l’évolution des taux de change. Cette évolution est très positive et soutient les marchés des devises des marchés émergents. Mais elle est également favorable pour l’ensemble de l’univers des dettes des marchés émergents, qu’elles soient libellées en monnaie locale ou en dollar. »
« C’est un argument très convaincant, accréditant l’idée que les valorisations actuelles sont très attractives », souligne Ken Leech. « Même si un rebond s’est déjà produit dans ces secteurs, nous pensons qu’ils conservent encore un potentiel haussier. »
Les développements globaux
Revenant sur l’instabilité observée au cours du trimestre écoulé, Ken Leech s’est montré positif sur les développements globaux.
« Les conditions financières en Chine ont évolué favorablement, et certaines statistiques économiques tendent à montrer que la tendance baissière s’atténue », souligne-t-il. « Ce qui évacue une grande partie des craintes d’assister à un atterrissage brutal de l’économie chinoise. »
S’agissant des prix pétroliers, Western Asset table sur une stabilisation à terme. « Nous pensions que la fourchette de 40 à 60 dollars n’était pas déraisonnable comme zone d’équilibre », observe Ken Leech. « Nous avons donc retenu la limite basse de la fourchette, à savoir 40 dollars. Nous étions persuadés qu’elle serait atteinte d’ici à la fin de l’année. Nous avions vu juste. Et, comme beaucoup d’entre vous, nous avons été quelque peu surpris par la vitesse avec laquelle le pétrole a rebondi jusqu’à ce niveau de 40 dollars. »
« Nous sommes plutôt confiants dans l’idée que le pétrole a finalement son niveau plancher derrière lui. »
Les performances des grandes banques constituent la troisième pièce majeure du puzzle.
« Si nous sommes conscients des défis du système bancaire européen, nous sommes convaincus que les banques n’ont pas un problème de solvabilité mais un problème de rentabilité, c’est-à-dire de business model », explique Ken Leech.
« Nous avons misé principalement sur les banques américaines. Nous étions convaincus que l’affaiblissement considérables en termes de spreads et que les cours des obligations bancaires de type “investment grade” n’étaient pas justifiés. Nous croyons que le business model des banques n’est plus aussi risqué qu’avant : il s’agit désormais d’une activité très réglementée, reposant presque sur un business model de compagnie électrique. Si vous y ajoutez l’évolution impressionnante des capitalisations, la solvabilité de la composante obligataire des banques est devenue très élevée. »
« Nous pensons que les banques recèlent encore un potentiel haussier très significatif », ajoute Ken Leech. « Dès lors, nous avons renforcé sensiblement nos positions bancaires au milieu du premier trimestre. »
En réponse à une question sur l’opinion de Western Asset sur l’importante émission obligataire récente de l’Argentine, Ken Leech souligne la vision optimiste de Western Asset sur ce pays : « Nous pensons que les valorisations sont plutôt attrayantes dans un contexte de changement politique et d’engagement à rejoindre la communauté des nations. Nous avons été des participants de poids de l’émission obligataire argentine et nous sommes optimistes. »
S’agissant du Brésil, Ken Leech fait remarquer que « la paralysie politique qui menaçait de maintenir le pays en état de siège pendant des années s’éloigne peu à peu. Nous sommes encouragés par le fait que le nouveau gouvernement adoptera une approche plus positive. De notre point de vue, les valorisations ont été à ce point massacrées qu’elles constituent des opportunités. »
En réponse à une question sur les perspectives d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit), Ken Leech relève que « les intentions de vote s’orientent davantage vers un maintien du pays dans l’Union. Les marchés empruntent clairement cette direction depuis une dizaine de jours. »
« Mais le sentiment politique peut évoluer rapidement et les sondages peuvent se tromper. D’ici au mois de juin, l’écart peut se réduire. En cas de Brexit, le Royaume-Uni devrait relever des défis importants mais l’Europe au moins autant. Ce départ affaiblirait l’Union Européenne de manière significative. Il faut bien prendre conscience de ce risque baissier. Mais, pour l’heure, nous sommes un peu plus optimistes qu’auparavant. »