Un pas supplémentaire pour une même politique
Cette décision est simplement un pas supplémentaire de la politique constante qu’a suivi la BCE. Depuis le début de la crise financière, contrairement à d’autres banques centrales comme la Federal Reserve ou la Bank of England, la politique de la banque Centrale Européenne se limite essentiellement à fournir de la liquidité abondante et bon marché aux banques. La BCE utilise essentiellement les repos pour leur prêter toutes les quantités de liquidité qu’elles désirent. Les opérations principales de refinancement et les opérations de refinancement à long terme sont à taux fixe et en quantité illimitée. Dans certains pays en détresse, le recours aux ELA, l’octroi de liquidités d’urgence, a été toléré de manière prolongée par le Conseil des gouverneurs de la BCE, en dépit des interrogations suscitées par la qualité du collatéral accepté et la solvabilité des banques bénéficiaires.
Les tentatives de mener d’autres types de politiques ont été très limitées dans leurs ambitions, comme le programme SMP, ou n’ont pas encore été appliquées en pratique, comme les OMT. L’annonce que des OMT pourraient être mises en place dans certaines conditions fut toutefois suffisante pour calmer la spéculation envers les dettes souveraines des pays de la périphérie de la zone euro et diminuer fortement leurs taux de rendement.
Les marchés semblent persuadés que la BCE activerait réellement les OMT en cas de remontée forte des taux obligataires des pays en détresse. C’est toutefois loin d’être certain au vu de l’opposition de la Bundesbank et des difficultés qu’auraient les pays bénéficiaires à respecter les critères de conditionnalité attachés aux OMT. Aussi longtemps que les marchés évitent de tester la détermination de la BCE à ce sujet, l’illusion peut encore persister temporairement.
Toutefois le canal de la liquidité bancaire est actuellement inopérant
Les nouvelles réductions des taux des MRO et la facilité marginale de prêt sont donc la continuation des actions traditionnelles de la BCE qui s’appuie sur le canal de la liquidité bancaire du mécanisme de transmission de la politique monétaire. Le raisonnement sous-jacent est que l’injection de liquidité dans les banques, à des taux d’intérêt très réduits, va stimuler l’offre de crédit bancaire à l’économie réelle. Ces crédits seraient offerts à des taux d’intérêt très attractifs. L’augmentation du crédit bancaire stimulerait la demande agrégée, particulièrement ses composantes volatiles comme les dépenses d’investissement, et donc relancerait la production et l’emploi.
Toutefois cette politique ne peut stimuler le crédit dans les conditions actuelles, puisque ne marchant que lorsque la demande de crédit est forte. Or c’est surtout la baisse de leur demande qui explique que les prêts bancaires au secteur privé diminuent dans la zone euro.
La raison, c’est que la demande de crédits est en baisse. Le secteur privé est encore surendetté dans la zone euro, et doit donc se désendetter. Par ailleurs, le taux d’utilisation des capacités est tellement bas dans beaucoup de pays de la zone euro, que les entreprises n’ont aucune raison d’emprunter pour de nouveaux investissements. En France la profitabilité réduite des entreprises ne les incite pas à investir, quel que soit le coût du crédit.
Même l’effet sur l’offre de crédit est extrêmement incertain. En effet les enquêtes récentes indiquent que les conditions de crédit continuent à être restrictives pour les PME en raison d’un perception de risque élevé par les banques de beaucoup de pays de la zone euro, en dépit de coûts de financement qui étaient déjà très bas pour les banques.
Les perspectives de dépréciation de l’euro sont également incertaines
Il est très incertain que cette nouvelle baisse des taux directeurs de la BCE suffise à provoquer une dépréciation de l’euro qui améliorerait la compétitivité de l’industrie. En effet cette décision est sûrement insuffisante pour inciter à des ventes massives d’actifs libellés en euros par des résidents de la zone euro, et des achats de grandes quantités d’actifs libellés dans d’autres monnaies.
Encore réduire les taux directeurs est donc inutile
En raison des commentaires qui précèdent, l’affirmation par la BCE que « les réductions des taux d’intérêt contribueraient à soutenir les perspectives de reprise ultérieurement dans l’année » ou « l’orientation de notre politique monétaire contribuerait à soutenir la demande domestique » sont très optimistes.
Que d’autre la BCE pourrait-elle décider ?
D’autres mesures sont possibles, à condition que la BCE accepte de dépasser le cadre étroit de ses actions actuelles.
La BCE pourrait nettoyer les bilans des banques en leur achetant de grandes quantités d’actifs toxiques, y compris les prêts qui comportent un gros risque de défaut, qui augmentent fortement dans les pays de la périphérie.
Cela diminuerait les besoins en fonds propres des banques, ainsi que le coût de ceux-ci, et diminuerait les taux d’intérêt qu’elles doivent payer sur les dettes qu’elles émettent puisqu’elles seraient moins risquées. Le coût de financement global de l’économie serait donc réduit. La BCE pourrait également acheter inconditionnellement de grandes quantités d’obligations souveraines émises par les états en détresse de la zone euro, dans le but de réduire encore fortement leurs taux d’intérêts. De cette manière les états de la périphérie pourraient relâcher la sévérité de leur austérité budgétaire. La qualité moyenne des actifs de leurs banques s’en trouverait améliorée, et elles pourraient reprendre une activité normale de prêt au secteur privé. Néanmoins ces mesures se heurtent à la politique pour plusieurs raisons. Elle serait perçue par les banques comme une assurance, qui les dispenseraient d’être prudentes dans leurs prises de risque. Ce serait également une incitation aux gouvernements de différer la remise en ordre de leurs finances publiques et les réformes structurelles qui s’imposent. Les pertes que pourrait subir la BCE sur ces actifs risqués seraient partagées entre les différents états souverains qui participent à l’euro. La BCE redistribuerait ainsi les risques et les pertes entre les citoyens des différents états souverains, sans en avoir reçu le mandat démocratique. C’est un problème qui ne se présente pas aux Etats –Unis qui sont, contrairement à la zone euro, un état fédéral. Evidemment il y a un débat pour déterminer si éviter ces problèmes potentiels mérite de se passer des avantages qu’apporteraient des achats massifs d’actifs risqués par la BCE. Mais aussi longtemps que l’Allemagne et d’autres pays créditeurs sont opposés à cette option, ce serait illusoire d’espérer qu’elle soit concrétisée.
De toutes manières la BCE ne peut résoudre les problèmes principaux de la zone euro
Même si la BCE acceptait de mener des politiques peu conventionnelles, les problèmes principaux de la zone euro sont structurels et ne peuvent être résolus par la politique monétaire de l’Eurosystème.
a) Si la volonté politique est de maintenir la zone euro avec tous ses états membres actuels, elle doit être réformée en profondeur pour fonctionner correctement. Il est maintenant bien compris que l’organisation légale de la zone euro était bancale dès le départ. En particulier il faudrait mener à bien les réformes suivantes.
Une mutualisation au moins partielle des dettes souveraines des pays membres de la zone euro
Une vraie union bancaire, qui implique une mutualisation de l’assurance des dépôts et un mécanisme commun de résolution des banques en faillite.
La possibilité pour le MES de recapitaliser directement les banques des pays en détresse, même quand les besoins en capital résultent de pertes subies avant l’union bancaire.
Une vraie coordination des politiques macroéconomiques entre les pays membres de la zone euro. Dans les conditions actuelles, une telle coordination imposerait que l’Allemagne stimule la demande intérieure en diminuant les taxes ou en augmentant les dépenses publiques. Cela pourrait compenser partiellement l’impact des mesures d’austérité budgétaire dans les pays surendettés.
En l’absence de telles mesures, il sera difficile de supporter la situation économique dans laquelle plusieurs pays européens s’enfoncent. En dépit de la hausse des impôts, des diminutions des dépenses publiques et de l’emploi public, le déficit public reste élevé et la dette augmente en proportion du PIB dans les pays de la périphérie de la zone euro, voire même dans d’autres pays comme la France. La cause en est la récession profonde provoquée par les mesures d’&austérité budgétaire, avec un multiplicateur fiscal très élevé. Les effets de réduction de l’activité causés par les mesures d’austérité prises simultanément dans tous les pays de la zone euro se renforcent mutuellement.
Toutefois, en raison de l’opposition de l’Allemagne et des autres pays créditeurs, la probabilité que de telles réformes soient entreprises est très réduite.
b) Même si ces réformes étaient entreprises, le manque de compétitivité des pays en détresse de la zone euro, et même de pays comme la France, resterait à solutionner. La politique monétaire de la BCE ne peut résoudre ce problème. En effet ce n’est pas seulement un problème de compétitivité de la zone euro par rapport au reste du monde, mais surtout un manque de compétitivité de certains pays de la zone euro par rapport à l’Allemagne et d’autres pays de la zone euro. Ayant perdu la possibilité de déprécier leur monnaie par rapport à celles des autres pays de la zone euro, plusieurs pays sont piégés. Il n’y a que la déflation interne qui leur reste pour essayer de restaurer leur compétitivité, mais cela provoque une récession qui persiste, sans stimuler fortement leurs exportations en l’absence des investissements dont ils auraient besoin pour reconstruire une capacité productive.
Pour toutes ces raisons les perspectives économiques de la zone euro sont un sujet de très grande préoccupation.
Dans les pays de la périphérie, mais également dans les pays du centre, une révolte générale contre les mesures d’austérité et la récession prolongée se prépare. Les troubles politiques pourraient conduire certains pays à quitter la zone euro et retrouver leur compétitivité par une dépréciation massive de leur nouvelle monnaie nationale. Le risque d’une dislocation de la zone euro persiste.