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La responsabilité historique des banques centrales : reprendre la liquidité tout en evitant les krachs

Point sur le rôle et les missions des Banques Centrales dans un contexte de crise financière persistante et de taux d’intérêt anormalement bas.

Les banques centrales commencent à parler tout haut – certes timidement - de sujets sur lesquels nous alertons depuis de nombreux mois. Ce n’est pas surmédiatisé et pourtant ces questions conditionnent les équilibres économiques et financiers de demain.

ON EN REVIENT AU DILEMME DRAMATIQUE DES BANQUES CENTRALES

Dramatique en effet car il s’agit de choisir – on va dire arbitrer pour dédramatiser notre propos - entre une politique monétaire « éternellement » accommodante et un risque de plus en plus fort de krach obligataire et de crise systémique bancaire ?

Pire que le krach obligataire de 1994 parce-que les positions de transformation accumulées par les banques (obligations d’état financées avec de la trésorerie court-terme peu coûteuse) sont autrement plus importantes qu’il y a 20 ans. Mais en même temps ce qui pourrait atténuer la violence d’un krach obligataire à l’ancienne serait la plus grande prévisibilité des banques centrales. Nous sommes loin des situations qui prenaient les marchés à contrepied. Les plus anciens se souviendront que le krach obligataire de 1994 était parti d’une décision totalement inattendue par les marchés de relèvement des taux directeurs US par le FED le 04/02/1994 et partant de mise en place d’un cycle de politique monétaire restrictive pour lequel personne n’était préparé. Aujourd’hui, la prévisibilité des banques centrales est, semble-t-il totale.

Il s’agit donc de gérer le dilemme suivant : mettre un terme progressif aux politiques monétaires non conventionnelles tout en évitant un séisme sur les marchés financiers.
Mory Doré

La FED a d’ailleurs bien changé depuis 1994 et a sérieusement amélioré sa prévisibilité avec la publication de ses compte rendu de réunion de politique monétaire (les fameuses minutes du Fédéral Open Market Committee – FOMC). Ainsi, et en dépit d’un discours encore accommodant d’un certain nombre de membres de l’institut d’émission au rang desquels son président Ben Bernanke, la publication des minutes du FOMC du 30/01 dernier devait faire comprendre aux marchés – même si ceux-ci n’ont pas encore forcément pris en compte l’importance des messages - les « complications possibles que des rachats d’actifs supplémentaires pourraient entraîner lorsque sera venu le temps pour la banque centrale de retirer son soutien monétaire ». Pour l’heure, il n’est pas pour autant encore question de remettre en cause les 85 MdsUSD de rachats mensuels par la FED de titres d’état US et de titres adossés à des créances immobilières.

Il s’agit donc de gérer le dilemme suivant : mettre un terme progressif aux politiques monétaires non conventionnelles tout en évitant un séisme sur les marchés financiers. Il est donc loin le temps de l’absence de communication des banques centrales. Aujourd’hui, une banque centrale qui voudrait rendre sa politique monétaire plus restrictive va devoir d’abord prévenir que son discours se durcira dans les 6-9 mois qui viennent , ensuite annoncer que les marchés et les banques auront 6-9 mois pour se préparer à la fin des mesures accommodantes et enfin que le relèvement des taux directeurs devrait intervenir dans les 6-9 mois qui suivent. Au total, la préparation à un changement de cycle de politique monétaire devrait prendre entre 18 et 27 mois. En considérant que ce travail de préparation a commencé en ce début d’année aux Etats Unis, la fin officielle de la politique monétaire laxiste se situera alors entre juillet 2014 et avril 2015. Si les marchés croient fermement à ce calendrier, alors il faut s’attendre dès maintenant à un réajustement plus ou moins violent à la hausse de la courbe des taux US 2 ans - 10 ans dans un scénario de forte repentification (hausse des taux 10 ans plus importante que celle des taux 2 ans). Malgré un décalage conjoncturel évident entre les Etats Unis et la zone Euro, la corrélation entre la courbe des taux US et la courbe des taux euro sera inévitable.

Aujourd’hui, économistes et marchés doutent de la capacité des banques centrales à remettre en cause leurs politiques monétaires devenues absurdement trop accommodantes.
Mory Doré

Aujourd’hui, économistes et marchés doutent de la capacité des banques centrales à remettre en cause leurs politiques monétaires devenues absurdement trop accommodantes. L’argumentation est simpliste : des politiques monétaires restrictives (hausse des taux) provoqueraient une hausse du prix de l’argent à long terme et donc une forte dévalorisation des portefeuilles obligataires des établissements financiers.

En principe dans un tel scénario, les moins-values d’une partie importante de ces portefeuilles ne devraient pas avoir d’impacts négatifs sur le compte de résultat des banques et sur le niveau de leurs fonds propres (donc sur leurs ratios de solvabilité) pour deux raisons : d’abord, ces positions obligataires sont généralement détenues jusqu’à l’échéance (soit un remboursement à 100% du nominal sauf événement de crédit) ; ensuite, le classement comptable d’une partie importante de ces titres en normes IFRS est la catégorie HTM pour « hold to maturity », les impacts négatifs des variations de valeur de marché des titres classés dans cette catégorie n’ayant pas d’impacts sur le compte de résultat (c’est ce que les comptables appellent la comptabilisation au coût historique)

Oui mais voilà, le monde a changé et toutes ces certitudes doivent être remises en cause

- Il n’est plus tabou d’envisager des restructurations de dettes souveraines, y compris celles de pays « too big too fail » ou de pays aux fondamentaux encore acceptables. On reparlera de ces nouvelles obligations souveraines avec clauses d’action collectives moins protectrices pour les investisseurs que les obligations souveraines traditionnelles. Et qui peut aujourd’hui avoir la certitude que les titres d’état espagnols, italiens voire français échéancés au-delà de 2020 seront remboursés au pair ?

- Ensuite, il n’est plus tabou d’imaginer un retour des crises de liquidité qui conduiraient certains établissements financiers à vendre en catastrophe et dans des conditions économiques insupportables des titres de dette souveraine dont l’intention de gestion initiale était de les détenir jusqu’à leur terme (d’où le classement comptable en catégorie HTM).

LES BANQUES CENTRALES VONT DE PLUS EN PLUS METTRE EN AVANT LES DANGERS DE TAUX COURTS DURABLEMENT BAS, PIRE DURABLEMENT PROCHES DE ZERO

Nous mentionnerons les dangers et risques suivants

1. Des taux d’intérêt bas pendant une longue période, couplés à une abondance de liquidités habituent les banques à des conditions de refinancement trop avantageuses, ce qui peut les conduire à relâcher leur vigilance au niveau de gestion de leur bilan (pourquoi se soucier du risque de remontée des taux courts et donc de baisse des marges nettes d’intérêt puisque l’on est persuadé que la banque centrale n’osera pas durcir sa politique monétaire avant très longtemps) . Ce point a d’ailleurs été évoqué explicitement par Mario Draghi récemment.

2. Chacun sait qu’une période prolongée de taux bas est propice à la formation de bulles spéculatives sur les actifs financiers et aussi naturellement dans l’immobilier. Le fait que les banques centrales n’aient surveillé que l’inflation des biens et services a conduit depuis la fin des années 1990 à des politiques monétaires trop accommodantes et donc à des taux durablement trop bas avec les conséquences que nous connaissons : bulles sur les prix des actifs, excès d’endettement. Certains diront qu’il ne relève pas des missions d’une banque centrale de juger et encore moins de corriger la surévaluation d’actifs financiers. Et pourtant, dans les économies modernes très financiarisées d’aujourd’hui, ce type d’objectif devrait être prioritaire pour une banque centrale. Les conditions monétaires trop accommodantes ont accentué les déconnexions des prix de certains actifs financiers par rapport aux fondamentaux et provoqué des chocs économiques récessifs lorsqu’il y a eu correction violente du cours d’actifs surévalués : effets de richesse négatifs ; purge des excès d’endettement lorsque l’on fait face à de violentes crises de solvabilité (entreprises télécoms en 2000, ménages américains subprime en 2006, états périphériques de la zone Euro en 2010-2012). Il est donc du devoir d’une banque centrale d’éviter ces crises de solvabilité étant entendu qu’un ajustement trop tardif du niveau des taux directeurs peut être contreproductif.

3. Le maintien de taux courts durablement bas est un des facteurs explicatifs (pas le seul) du niveau historiquement bas des taux longs – en effet si l’on anticipe pas de remontée imminente des taux directeurs de la banque centrale, il n’ y a aucune raison de vendre ses obligations à long terme financées à de taux courts très bas et anticipés le rester pendant longtemps– Cette situation peut conduire des entreprises à s’endetter pour réaliser des investissements pas forcément utiles et pas forcément très rentables.

4. Mais le pire des risques, qui pollue tout le système économique et l’empêche de s’assainir, est l’installation du risque de hasard moral. Ceci concerne aussi bien les banques (pourquoi s’inquiéteraient-elles et/ou feraient-elles des efforts, puisque la BCE fournit tout ce dont elles ont besoin à taux quasi-nul) que les Etats (les banques voire la BCE les finançant, ils ne sont pas inciter à mettre en place des politiques budgétaires et fiscales intelligentes – réduire les dépenses improductives et augmenter les impôts les moins pénalisants pour l’activité économique).

Nous rentrons aujourd’hui dans un nouveau type de crise inédite, une crise des actifs financiers et de défiance vis-à-vis de la monnaie.
Mory Doré

LA RESPONSABILITE DES BANQUES CENTRALES EST AUSSI D’EVITER LES CRISES DE DEMAIN

"La BCE est consciente des défis que soulève une longue période d’une politique de taux bas et d’une abondance de liquidités", déclarait Mario Draghi mi-février devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen à Bruxelles Et d’ajouter : "les faibles taux d’intérêt risquent d’affecter la capacité des épargnants et des investisseurs à générer des rendements"

On a connu depuis une vingtaine d’années trois types ou natures de crises sur les marchés financiers

-  Les crises classiques (crise de changes, krach boursier, krach obligataire) qui peuvent être « facilement » jugulées par les autorités monétaires (utilisation de la politique monétaire et/ou de la politique de change) ou les autorités politiques (utilisation de la politique budgétaire et/ou de la politique de change)

-  Les crises de surendettement (entreprises technos en 2000, ménages US subprime en 2006-2007, états souverains du sud de la zone Euro en 2010-2012). Là c’est plus compliqué et plus long car la résolution de ce type de crise s’inscrit dans une logique de désendettement des acteurs économiques concernés et cela peut prendre beaucoup de temps.

-  Les crises systémiques (qui peuvent coexister avec le deuxième type de crise) dont la résolution suppose des réformes institutionnelles fortes.

Nous rentrons aujourd’hui dans un nouveau type de crise inédite, une crise des actifs financiers et de défiance vis-à-vis de la monnaie. Ce type de crise n’est pas exclusif des trois catégories de crises mentionnées ci-dessous (et elle pourrait cohabiter naturellement avec un krach boursier ou obligataire, avec un retour de crise du surendettement et donc de solvabilité d’un état et par la force des choses avec un retour de crise systémique).

On sent depuis plusieurs mois – pour ne pas dire quelques années - les symptômes de ce nouveau type de crise avec une absence sans doute devenue structurelle de rentabilité des actifs financiers Les taux d’intérêt quasi-nuls dans les « grands » pays (Etats-Unis , Royaume Uni, Suisse, Japon , Zone Euro) et le sentiment que dans ces pays ou zones , la stratégie sera de poursuivre une politique de change agressive et inutile car non coopérative auront des conséquences déstabilisantes pour les systèmes bancaires : un risque aujourd’hui complètement passé sous silence est l’évolution du comportement des épargnants avec une substitution des actifs réels aux dépôts bancaires. Ce phénomène sera naturellement très lent et progressif et sera associé au sentiment de peur de la perte de pouvoir d’achat de la monnaie consécutive à la forte hausse des masses monétaires (et à la forte baisse de la crédibilité perçue des banques centrales).

L’univers de taux courts durablement bas aggraverait alors la crise des placements financiers traditionnels avec des espérances de rendement désespérantes : placements monétaires ne rapportant plus rien, placements obligataires menacés par l’inflation et l’insolvabilité de plus en plus flagrante d’émetteurs souverains, indices boursiers qui replongeront le jour ou ils se reconnecteront aux fondamentaux d’un monde occidental sans croissance mais avec inflation demain ou après demain.

EN PLUS LES BANQUES CENTRALES NE DOIVENT PAS PRENDRE A LA LEGERE LES RISQUES D’INFLATION FUTURE

Aujourd’hui évoquer les risques inflationnistes vous fait passer tout simplement pour un fou. Tous les économistes et prétendus experts – qui n’ont par ailleurs jamais vu venir les crises modernes des marchés financiers - nous tombent dessus en nous expliquant à coup de graphiques ou d’équations économétriques que l’inflation est impossible voire interdite.

Pour autant, il est vrai que les deux arguments souvent avancés pour écarter tout risque inflationniste sont aujourd’hui indiscutables

- Tout d’ abord le désendettement du secteur privé et le comportement des banques (facteurs de crédit crunch rampant) expliquent le fait que la forte création de monnaie banque centrale (l’agrégat M0 aussi appelé base monétaire) n’entraîne pas de dérapages de la croissance de la masse monétaire (l’agrégat M2 qui est la monnaie détenue par les agents économiques). Eh oui ! la forte liquidité créée par les banques centrales est stockée par les banques (trésorerie sur le compte courant des banques, réserves à la banque centrale) et ne fait pas redémarrer le crédit. Les remboursements partiels par anticipation de certaines banques européennes des liquidités obtenues lors des appels d’offres extraordinaires de la BCE (LTRO) n’y changeront rien puisque la liquidité récupérée ne circulera pas mieux dans la sphère réelle de l’économie. Donc effectivement aujourd’hui, le risque inflationniste est contenu

- Ensuite, il y a globalement en Occident encore un partage de la valeur ajoutée qui reste défavorable aux salaires et des niveaux de chômage explosifs, toutes choses qui ne sont pas de nature à provoquer un emballement de la demande et donc des prix.

Mais demain ? Sur ces questions, ce qui va intéresser les salariés, épargnants et autres investisseurs n’est pas de savoir ou de comprendre ce qui se passe aujourd’hui mais d’essayer – autant que faire se peut – de déceler les grandes tendances de demain. Surtout s’il s’agit de protéger son épargne dans les 10 à 15 ans qui viennent. Pour notre part, nous pensons que les risques de forte inflation demain (dans 5 ans, 7 ans, 10 ans …) ne doivent pas être sous-estimés

- Point 1 : Alors malheureusement, le chômage ne va sans doute pas brutalement reculer dans les pays OCDE. Mais, il faut s’attendre dans les économies émergentes à un changement de modèle économique de croissance : moins d’excédents commerciaux avec une croissance tirée par la demande domestique plus que par les exportations ; rattrapage des coûts salariaux ; tensions sur les capacités de production. Ces évolutions transmettront de l’inflation aux économies occidentales

- Point 2 : Les liquidités vont finir par circuler de plus en plus dans l’économie réelle (non pas immédiatement par le crédit et la croissance de M2) mais par le biais des marchés à terme des matières premières financiarisées.

Il faudra en tout cas surveiller de près l’évolution de M2 dans les « grands » pays et surtout le rapport M2/M0 car la transformation de M0 en M2 sera annonciatrice d’inflation future.

Mory Doré Mars 2013

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