Quelle histoire que celle de la banque Lazard : une véritable saga familiale commencée au milieu du XIXème siècle. Au fil des années, la banque se sera imposée comme un acteur incontournable du monde des affaires. Enchaînant coups d’éclats et parfois faux pas, elle aura conquis le monde à force de travail et grâce à la vision des associés gérants qui se sont enchaînés à sa tête. Elle restera certainement au panthéon des banques qui ont eu le plus d’influence sur la vie des affaires et sur le capitalisme mondial. Chronique d’une saga.
Tout commence réellement avec Alexandre Lazard. Petit-fils d’Abraham Lazard, émigré en Lorraine, Alexandre prend dans les années 1840 la route des les Etats-Unis, suivant ainsi la grosse vague d’émigration juive vers l’Amérique de l’époque. Arrivé à la Nouvelle Orléans, il se lance dans le petit commerce. Coton, tissus, puis café, sucre, il fait de tout. Ses activités commencent à tourner et il est très rapidement rejoint par ses trois frères : Lazare, Elie et Simon, puis par leur cousin Alexandre Weil, qui vient leur prêter main forte. En 1848, l’activité est officialisée et Lazard Frères voit le jour. Après quelques années prospères, deux des frères Lazard, Alexandre et Lazare, rentrent à Paris tandis que les deux autres, Elie et Simon ainsi que leur cousin Alexandre Weil, ouvrent des bureaux à San Francisco. La guerre de sécession qui éclate en 1861 va complètement changer la donne : elle va faire croître considérablement le patrimoine de la famille.
En effet, l’activité de change sur l’or va permettre aux frères Lazard et à leur cousin de s’enrichir rapidement grâce à des arbitrages sur les différences entre le dollar or et le dollar papier. Le succès de la maison sera dû à la vision d’Alexandre Weil, reconnu comme le vrai artisan de cette réussite. Il avait très vite compris les bénéfices que pourraient tirer leur activité de la guerre civile et des variations du prix de l’or que cela a impliqués. Alexandre Weil prend définitivement les clés de la maison en 1864 et décide d’en finir avec les activités de petit commerce : le principal métier de Lazard sera désormais l’or, l’argent et la banque. Ce sera le début d’une ascension que rien ne pourra arrêter. En 1880, il ouvre un bureau à Wall Street et devient le premier transporteur d’or entre l’Europe et les Etats-Unis ainsi que le plus grand négociant d’effets commerciaux à l’intérieur des Etats-Unis. La banque conquiert rapidement sa place à Wall Street.
En 1884, Alexandre Weil décide de rentrer à Paris. Sur place, face à la domination des Rothschild et des autres banques qui ont pignon sur rue, Alexandre Weil ne revendique rien. Il attend son heure. Les Lazard et les Weil vont profiter de leur fortune en intégrant la haute bourgeoisie parisienne et en jouissant de la vie mondaine. En 1897, David Weil, le fils d’Alexandre Weil, intègre la banque. Elie, Simon et Alexandre Lazard, les pionniers, étant décédés entre temps, David prendra les rênes de la maison quelques années plus tard, désigné par son père en tant que successeur naturel. C’est d’ailleurs sous son règne que Lazard réussira sa première opération d’envergure sur le sol français : parvenir à « sauver » le franc après sa dégringolade au lendemain de la 1ère guerre. C’est cette bataille gagnée par Lazard en 1924 sur les marchés internationaux qui nouera des liens durables entre la banque et la fonction publique.
Malheureusement, quelques années plus tard, en 1931, les pertes (camouflées et accumulées au fil des ans) de la filiale belge explosent au grand jour et sèment un air de banqueroute pour Lazard. Avec la Grande Dépression survenue deux ans plus tôt, l’activité de la maison est largement compromise, en France comme aux Etats-Unis. Mais heureusement, un homme va faire son entrée dans le giron de la banque. Cet homme, c’est un certain André Meyer. Repéré en 1924 par David Weil pendant la période où Lazard manoeuvrait pour sauver le franc, Meyer était un courtier habile : il profitait déja des opportunités d’arbitrage sur les différences de cours du franc entre Paris et Londres. Son génie n’a pas échappé à David Weil. Définitivement recruté en 1929, son « arrivée va changer le destin de Lazard. Aucun associé gérant n’aura autant d’emprise, autant d’influence sur les destinées de la banque et, d’une certaine manière, sur la transformation du capitalisme de part et d’autre de l’Atlantique. » [1].
Fuyant l’horreur nazie débutée en 1940, il va remodeler complètement Lazard : investissements dans l’immobilier ou dans des petites sociétés, il installe la banque comme « la première maison puissante de fusion acquisition ». A cette époque, Pierre David-Weil reste à la tête de la banque même si André Meyer et Felix Rohatyn, son principal collaborateur, assurent la gestion de ses principales opérations. Les deux hommes sont au cœur de la retransformation de l’institution. Michel David-Weil, le fils de Pierre, et Bruno Roger vont les rejoindre dans le groupe en 1957 tandis qu’Antoine Bernheim y arrivera en 1967, au moment même où la banque sera en train de réaffirmer son influence et sa puissance sur le sol français.
Ces cinq personnages clés (André Meyer, Felix Rohatyn, Michel David Weil, Bruno Roger et Antoine Bernheim) seront les principaux artisans du mythe Lazard et de sa toute puissance qui va perdurer pendant de longues années. Ils seront à l’origine de nombreux bouleversements dans le monde des affaires : la création de grands empires tels LVMH, Danone ou Cap Gemini, la remise en ordre des finances de la ville de New York, et bien d’autres dossiers particulièrement délicats. Après de longues années d’attente, Michel David-Weil prendra le contrôle de la banque en 1979, à la mort d’André Meyer. Il continuera l’œuvre entamée par ce dernier. Ainsi, entre 1986 et 1989, Lazard se classe au premier rang des banques françaises pour les fusions acquisitions et Michel David Weil asseoit son influence dans les cercles d’affaires et les réseaux politiques. Il va aussi réaliser son rêve de toujours : fusionner les trois maisons, celle de Londres, de Paris et de New York, en Janvier 2000, pensant dans le même temps régler les problèmes systémiques grandissant au sein du groupe. Un choix qui sonnera le glas de la toute puissance de Lazard, diront certains, à postériori.
Car, le monde des affaires est ce qu’il est : les périodes d’expansion laissent souvent place à de grandes accalmies, voire à de terribles récessions. Et c’est ce qui arriva : les conflits d’interêt vont continuer de plomber le moral de la maison, la concentration de gros des profits va se perpétuer autour de quelques gros associés, le partage des dossiers va rester presque inexistant, la mise en commun des informations et des clients sera particulièrement difficile. Tous les problèmes qui avaient justifié la fusion vont demeurer intacts. Ce sera un échec. Dans le même temps, les activités de marché auront pris le pas sur les activités de conseil et de fusions acquisitions dans toutes les banques tels Goldman Sachs, Merrill Lynch ou Salomon Brothers, devenues des superpuissances. Lazard, qui avait voulu « éviter le marché » et garder son activité historique de conseil ne va plus faire le poids face à ces mastondontes. Elle ne saura jamais se renouveler dans le nouveau paysage.
Après quelques années de guerres intestines, Bruce Wasserstein, qui avait pris la direction de la banque pour lui redonner de l’impulsion, finit par avoir raison de Michel David Weil. Le 5 Mai 2005 à Wall Street, il signe l’ouverture de Lazard au marché . C’est la fin d’un mythe. Mais c’est surtout la fin d’une histoire : celle de la transformation du capitalisme mondial et du monde des affaires. Le Lazard historique est bien mort. Et il ne restera plus que ses larmes à Michel Davil Weil pour pleurer. Place au nouveau Lazard !