De toute évidence, je ne suis pas la personne idéale pour rédiger ce bulletin. Après tout, la grande nouvelle de la semaine aura été l’annonce par la Réserve Fédérale américaine d’une troisième vague d’assouplissement quantitatif (QE3) et il existe bon nombre de personnes mieux placées et plus qualifiées que moi pour commenter cette décision. L’ancien Chancelier de l’Echiquier, Nigel Lawson, avait pour habitude de libeller les commentateurs de la City d’« écrivaillons pré-pubères », donc je ne pourrais pas dire que je n’étais pas prévenu.
Compte tenu de la réaction positive des marchés d’actions aux dernières nouvelles de part et d’autre de l’Atlantique, il nous semble pertinent d’essayer d’identifier les facteurs communs à cette évolution. L’annonce de la Banque Centrale Européenne (BCE) et celle de la Fed partagent une caractéristique commune, dans la mesure où leurs interventions sont, en théorie, illimitées. L’évolution des politiques monétaires depuis 2008 a été non conventionnelle, afin de contenir les dommages liés à l’éclatement de la bulle du crédit qui a failli mettre à terre le système financier mondial. Faute d’une hypothèse nulle (en d’autres termes, nous ne savons pas ce qui serait arrivé si les banques centrales n’avaient pas agi de la sorte), le fait que les défauts des entreprises aient été contenus suggère que les politiques mises en oeuvre ont permis d’éviter un effondrement systémique.
Ces politiques quantitatives n’ont cependant pas réussi à stimuler la demande : la croissance est plutôt atone dans la plupart des régions et n’est pratiquement nulle part au-dessus de son potentiel, si bien que le taux de chômage reste extrêmement élevé dans de nombreux pays. S’il y a encore un endettement excessif dans des secteurs spécifiques de certains pays (les gouvernements à la périphérie de la zone euro, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Japon, les ménages au Royaume-Uni, en Espagne et en Irlande, le secteur bancaire dans la zone euro et au Royaume-Uni), il y a d’autres acteurs qui continuent d’accumuler du cash (les ménages en Allemagne et dans les autres pays d’Europe du Nord, les entreprises non financières dans de nombreux pays, sans oublier les footballeurs de la Premier League).
Le problème est que ceux qui ont les moyens préfèrent amasser de l’argent plutôt que de le dépenser, comme l’atteste sur le plan macroéconomique le niveau toujours faible de la vélocité de la monnaie. Or, on sait bien que la croissance peut se définir comme étant le résultat de la masse monétaire multipliée par sa vélocité.
Peu importe donc la quantité de monnaie injectée dans le système si elle s’accumule dans les réserves au lieu d’innerver l’ensemble des secteurs économiques. Pourquoi les détenteurs d’actifs sont-ils aussi adverses au risque ?
Les spreads interbancaires au sein de la zone euro – Proches des niveaux d’avant-crise
Il y a une théorie qui tente d’expliquer ce phénomène : à chaque fois que les banques centrales ont assoupli leur politique au cours des quatre dernières années, elles précisaient qu’elles pouvaient revenir sur cet assouplissement à tout moment. Cela a fortement contribué à dissuader les investissements à moyen et long terme. Or, durant ces deux dernières semaines, les banquiers centraux se sont pour la première fois engagés à maintenir leur politique accommodante tant que la croissance ne se sera pas redressée durablement et de manière certaine. Ce sera le cas aux Etats-Unis tant que l’écart de production ne se sera pas considérablement réduit.
Il y a par ailleurs une amélioration manifeste des conditions monétaires en Europe (cf. le graphique), comme en témoigne la réduction des spreads interbancaires revenus proches de leur niveau d’avant-crise, à l’image des swap spreads et des CDS. La baisse des spreads interbancaires ne sert pas à grand-chose sans volumes échangés sur le marché interbancaire, et il convient de noter que les banques périphériques font toujours l’objet d’un stress de financement important. Cependant, cette évolution des spreads, est une certaine mesure du caractère risqué de la structure de la zone euro, et constitue un changement important en soi.
En termes de portefeuille, cela peut très bien produire un changement significatif du comportement des investisseurs. Il semble en effet que le discours de Mario Draghi déclarant que la BCE ferait tout pour préserver l’euro, et que l’annonce du lancement du programme OMT (Transactions Monétaires Directes) ont achevé de convaincre les plus sceptiques, notamment à l’extérieur de l’Europe, que l’euro n’était pas prêt d’éclater. Il en résulte que la prime de risque supplémentaire associée aux entreprises européennes, dont la moitié de l’activité se situe en moyenne à l’extérieur de la zone euro, devrait diminuer.
Le fait que l’Europe hors Royaume-Uni ait surperformé l’indice MSCI Emerging Market en euro durant les douze derniers mois met également une pression sur les investisseurs qui ont sous-pondéré l’Europe.
Il convient également de noter que les investisseurs sous-pondérés en Europe sont très probablement sous-pondérés sur la périphérie et très probablement sur les valeurs financières des pays périphériques. Même s’ils ne faisaient que réduire leurs sous-pondérations, les afflux résultants pourraient avoir un impact significatif sur le prix des actions des entreprises qui n’ont probablement jamais été si peu détenues.
N’oublions pas cependant de noter que le rebond récent des actions a été concomitant à la baisse des estimations de bénéfices. Cette reprise boursière se traduit donc par une réappréciation significative, tant et si bien que la valorisation n’est plus le facteur de soutien favorable observé en mai et juin dernier.
Nous savons tous que les marchés anticipent le futur, mais il y a une règle intangible selon laquelle une telle divergence entre les prix et les fondamentaux ne dure jamais très longtemps – dans le cas présent, soit le marché corrige afin d’être en ligne avec l’évolution des bénéfices, soit les bénéfices sont revus à la hausse de manière à rattraper les cours boursiers.
Or, les nouvelles sur ce front ne sont guère encourageantes, compte tenu de la poursuite de la détérioration des indicateurs avancés.
Ainsi, bien que nous ayons assisté à un pas décisif en matière de politique monétaire, les effets sur l’économie réelle sont encore loin d’être évidents.
La perception que les risques les plus immédiats ont diminué est susceptible d’entraîner le marché à la hausse mais, si l’économie ne se redresse pas, nous prendrons probablement des profits durant les prochains mois.