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Les cygnes noirs… ça vole toujours en escadrille

Une adaptation de la célèbre formule de l’ancien président de la République Jacques Chirac, en langage plus châtié et centré sur les marchés financiers, pourrait illustrer les évènements de ce week-end, où une escalade géopolitique sur le pétrole est venue se greffer à la crise sanitaire du coronavirus.

La crise du coronavirus

La peur de la semaine dernière était notamment celle de la transition médiatique à gérer pour plusieurs pays occidentaux. Pour prendre le cas de la France, le stade 3 devait déboucher paradoxalement sur un contingentement moins important dans notre pays (discours du gouvernement français) à savoir : traiter les cas les plus graves par rapport au nombre de lits réellement disponibles et laisser une libre circulation en dehors des quelques départements fortement impactés. Or, dans un environnement où la parole publique peine à se faire entendre, le risque était de voir des salariés exercer massivement leur droit de retrait, en mettant en avant la différence de traitement et de contingentement entre la France et d’autres pays touchés, au premier rang desquels, la Chine. Nous avions alors pointé le risque croissant d’une crise politique vis-à-vis d’une démocratie qui « défendrait » moins sa population et qui viendrait s’ajouter à la crise économique. C’est bien l’effet de second tour, à savoir le traitement opérationnel de cette crise sanitaire, qui est susceptible de bloquer l’industrie et les services.

Au terme de ce week-end, le contingentement du nord de l’Italie complique la démarche du gouvernement français qui préparait le terrain depuis plusieurs jours et qui sera vraisemblablement obligé de s’aligner sur la politique du pays le plus prudent, ce qui devrait au final peser davantage sur l’économie.

Le marché réagit surtout en termes technique et de retracements, depuis la semaine dernière. Il se réfère aux plus bas de 2018, soit les niveaux de 4600 points sur le CAC 40 et de 3000 sur l’Eurostoxx pour les marchés européens. A l’approche de ces seuils, nous avons décidé de prendre position à l’achat sur les indices européens dans plusieurs portefeuilles en gestion. Ces niveaux sont validés par notre modèle qui valorise les indices européens à 13 fois les bénéfices (PER). Notons toutefois que les points bas de 2018 pris pour référence, notamment en termes de supports par les investisseurs, se situent 15% plus bas pour les indices américains.

La crise du Pétrole : l’égo des saoudiens piqué au vif

L’OPEP et ses alliés ne sont pas parvenus à un accord vendredi pour limiter la baisse à venir de la demande, ce qui a conduit le prix du baril à baisser à près de 30 dollars. Première à rejeter l’idée d’une baisse de sa production, la Russie a pris son temps pour répondre, ce qui a d’autant plus surpris les intervenants. En réaction, l’Arabie Saoudite a indiqué des remises sur ses prix à destination des raffineurs, avec notamment une baisse des tarifs de 10 dollars en faveur de l’Europe. Au global, la surproduction serait de l’ordre de 3 à 5 millions de barils/jours, ce qui pourrait fortement déséquilibrer les prix. L’objectif de l’Arabie Saoudite est simple : 1/ rappeler que son poids est toujours important sur le marché, 2/ affaiblir la position russe (son prix de revient est bien plus élevé que celui des saoudiens) pour la forcer à accepter de nouvelles coupes de production et 3/ pénaliser les producteurs de schistes américains (la fermeture de puits devrait prendre plusieurs semaines pour ajuster les coûts de production). Dans ce contexte, Mohammed ben Salmane, le prince héritier d’Arabie Saoudite, tente de revenir dans le jeu, dans un contexte qui depuis quelques années ne lui était plus favorable.

En termes d’équilibre offre/demande, les grandes tendances allaient déjà dans le sens d’une production américaine qui restait soutenue malgré les à-coups sur les prix de production. Du côté de la demande, une tendance de long terme sur la décarbonisation s’inscrivait de plus en plus nettement. Et dans ce contexte de long terme, la crise du coronavirus est venue peser ponctuellement sur la demande en rajoutant un nouveau facteur déstabilisant.

Sur les marchés du crédit High Yield (obligations à Haut Rendement), dont le secteur énergie représente 30% aux Etats-Unis contre 13% en Europe, les spreads (différentiel de rendement avec les taux sans risque) se sont écartés de près de 200 points de base, plaçant cette classe d’actifs sous tension.

Quelles sont les conséquences de la baisse du pétrole en termes économique ?

En réalité, elles apparaissent assez faibles au niveau global ; c’est surtout l’aspect psychologique qui prime dans ces configurations de marché. Si l’on se réfère aux seuls calculs économétriques, les effets nets de la baisse des prix du pétrole sur les économies européennes et asiatiques sont positifs (pays consommateurs). A l’inverse, les Etats-Unis, la Russie et une grande partie de l’Amérique latine devraient être pénalisés (pays producteurs). Avec une baisse de plus de 20% des indices, les marchés actions européens valorisent une légère récession de l’économie avec une forte hausse du taux de défaut des entreprises.

Le salut peut-il venir d’une réaction de la part des Banques Centrales ?

Lors de notre dernier flash marchés, nous nous étions montrés critiques par rapport à l’intervention de la Fed (baisse des taux directeurs de 0,5% le 3 mars dernier) qui semblait faire cavalier seul et dont l’action nous est apparue contreproductive par rapport à un choc d’offres. A contrario, la décision prise cette nuit par l’institution monétaire d’augmenter les injections de liquidités sur le marché du repo nous apparaît plus ciblée et avoir davantage d’impact dans le contexte actuel. Les opérations de repo permettent aux banques et entreprises de se refinancer à court terme, et constituent pour la Fed un autre outil de contrôle des taux.

De même, du côté de la BCE, des mesures non conventionnelles de refinancement de long terme des banques (TLTRO) pourraient être annoncées cette semaine afin de les inciter à accroître les prêts aux entreprises, et éviter ainsi une crise de liquidités.

Si de telles actions menées par les Banques Centrales seraient perçues favorablement, les investisseurs restent dans l’attente d’une véritable coordination sanitaire et budgétaire. Les dissensions apparues ce week-end autour du pétrole ont été particulièrement mal perçues dans ce contexte particulier de crise.

Jean-Jacques Friedman Mars 2020

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