Tout d’abord les faits : une étude [1] révèle que les femmes gagnent en moyenne 27% de moins que les hommes en France.
Comment les salaires se fixent-ils ? Les entreprises les contrôlent-ils ? A moins que ce soit l’Etat ? Ou les syndicats ? S’agit-il alternativement d’un obscur mécanisme dont les hommes de l’ombre tirent les ficelles ? Pas du tout : à long-terme, c’est une autre (...)
Un économiste qui prendrait connaissance de cette étude demanderait si les auteurs ont comparé des situations comparables, c’est-à-dire des hommes et des femmes avec les mêmes qualifications, la même expérience professionnelle, les mêmes métiers, le même âge, etc. Des techniques économétriques simples permettent de répondre à ces questions (elle sont notamment expliquées dans le livre à succès Freakonomics).
Notre économiste nous expliquerait ensuite qu’a priori, il n’y a aucune raison pour qu’une entreprise discrimine selon le sexe de ses employés. Tentons donc l’exercice périlleux d’analyser les causes de ces disparités salariales hommes-femmes.
Statistiquement, une étude internationale révèle que les filles sont meilleures en lecture et écriture, tandis que les garçons sont meilleurs en mathématiques [2]. Si chacun se spécialise selon son avantage comparatif, les filles vont plutôt devenir historiennes, journalistes ou avocates, tandis que les garçons vont plutôt devenir comptables ou ingénieurs. Or ces deux dernières professions sont en règle générale plus rémunératrices que les premières.
Il peut également y avoir une part d’auto-sélection. Ainsi, les hommes auraient tendance à choisir les métiers pénibles, qui demandent de lourds horaires de travail, mais qui rapportent potentiellement beaucoup, type banquier d’affaire ou entrepreneur. Quant à elles, les femmes auraient tendance à choisir des métiers plus intéressants mais moins rémunérateurs, type enseignant, artiste ou écrivain.
Les mariages ne sont pas toujours très solides. Le taux de divorce d’environ 50% dans les pays développés en est la preuve. On en vient à se demander s’il est possible de former des couples stables. L’analyse économique peut répondre à cette (...)
Il est tout à fait possible que ces choix reflètent simplement des préférences différentes entre hommes et femmes. Certaines femmes privilégient ainsi des carrières qui sont davantage compatibles avec la maternité et la vie de famille. Notre fiche sur le mariage explique aussi pourquoi les hommes améliorent leur position sur le marché marital s’ils gagnent plus d’argent. Voilà sans doute la raison essentielle des disparités apparentes de salaires entre les sexes : il n’y a pas que le travail dans la vie, et les hommes et les femmes font face à des situations différentes.
Par exemple, lorsqu’une femme s’arrête de travailler pendant deux ans pour prendre un congé maternité, elle peut perdre deux fois 5% d’augmentation annuelle. Les femmes interrompent également leur carrière : la différence de taux d’activité homme-femme est ainsi plus marquée chez les 25-49 ans que chez les 15-24 ans (les différences sont respectivement de 13.3% et 7,4% selon l’INSEE). Cela signifie que les femmes jeunes représentent une plus forte proportion des femmes en activité que les hommes jeunes par rapport à tous les hommes en activité. Or on sait que le salaire augmente typiquement avec l’âge... L’implication est claire : quand bien même les mêmes trajectoires de carrière s’offriraient aux hommes et aux femmes, les choix d’activité au cours d’une vie peuvent expliquer une part significative des différences de salaire moyen entre hommes et femmes.
Mais ce n’est pas tout. Des études ont ainsi mis en lumière le fait que les femmes sont légèrement meilleures que les hommes sur des tests standardisés, en moyenne, mais que les performances des hommes sont plus variables que celles des femmes. En d’autres termes, il y a plus de génies chez les hommes, mais aussi plus de demeurés. Dans la mesure où les derniers ont un salaire minimum garanti (type SMIC ou allocations diverses), la distribution des salaires ne va significativement refléter les compétences intrinsèques que dans la "right tail", c’est-à-dire la partie droite de la distribution. Autrement dit, les demeurés et les gens normaux recevront un salaire à peu près similaire, tandis que les différences salariales significatives s’observeront entre gens relativement normaux et "génies". Par conséquent, même si les femmes sont en moyenne plus compétentes que les hommes, le fait que les compétences des hommes soient plus inégalement réparties fait en sorte que les hommes gagnent en moyenne plus que les femmes !
Voilà pour les explications possibles sur les disparités salariales hommes-femmes. Maintenant, que faire ? Fondamentalement, doit-on adopter un ensemble de principes, tels que "la discrimination n’a pas lieu d’être et doit être combattue", ou un ensemble de privilèges pour les femmes, tels qu’un système de quotas conçu de telle sorte qu’il les avantage ? Nous soutenons que la première solution correspond aux principes républicains et devrait prévaloir. Malheureusement, on observe des mouvements dans la seconde direction.
Pour combattre le manque de femmes dans certaines positions prestigieuses, la Norvège a ainsi mis en place un système de quotas. La règle est la même pour toutes les entreprises cotées en Bourse : elles doivent avoir au moins 40% d’administrateurs femmes, et qu’importe si ces entreprises opèrent dans un secteur majoritairement masculin. Plus généralement, dans un pays où les femmes représentent moins de 10% des cadres, ce n’est pas toujours évident de remplir les positions avec des personnes compétentes.
Paradoxalement, les dirigeants hommes semblent être favorables à de telles mesures. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’imposer un système de quotas, quel qu’il soit, assure que ce n’est pas forcément la personne la plus qualifiée et compétente qui accède à un poste, mais la personne qui remplit les critères imposés. Les dirigeants en place, pour la plupart hommes, ne se sentent pas directement menacés. Mais ils savent que la relève va être sélectionnée d’une façon qui n’est ni méritocratique ni équitable, et qu’ils feront face à des prétendants au trône en général moins qualifiés avec un système de quotas. De la même façon, ils ne sont souvent pas menacés eux-mêmes, mais savent que cela peut tuer dans l’oeuf des jeunes ambitieux qui ne remplissent pas les critères. Ces mauvaises mesures à base de quotas sont donc mises en place car elles bénéficient in fine au pouvoir en place.