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Les krachs traditionnels sont remplacés par des krachs furtifs ou des flash krachs

Voilà pourquoi, à l’énoncé de ce titre et en dépit de la mode du moment, il n’y aura pas de krach obligataire. Aujourd’hui, le nouveau consensus est de parier non seulement sur la fin du cycle de baisse des taux longs mais encore pour les plus excessifs sur un krach obligataire redoutable et violent.

Le catalyseur serait le changement politique intervenu Outre-Atlantique que certains appellent déjà la Trumpflation (j’emprunte le néologisme aux économistes de Natixis). Cette Trumpflation qui marquerait le début d’un cycle de remontée violente et durable des taux longs US (et dans une moindre mesure européens) s’expliquerait par la dégradation des fondamentaux suivants aux Etats-Unis :

  • Forte reprise de l’inflation : inflation salariale avec une main d’œuvre immigrée moins importante ; inflation importée avec la mise en place de droits de douane plus élevés avec les partenaires nord-américains au sein du NAFTA (North American Free Trade Agreement, en français ALENA pour Accord de libre-échange nord-américain), européens au sein du TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) et asiatiques (hors Chine) au sein du TPP ((Trans-pacific Partnersip Free Trade Agreement)
  • Explosion des déficits publics : baisse massive des impôts (avec le retour en grâce de la courbe de Laffer, ce qui parlera aux étudiants actuels et anciens en économie) ; hausse significative (sans que cela soit, à ce stade, clairement quantifié) des dépenses d’infrastructures. Au total, un mélange assez hétérodoxe d’économie de l’offre et d’économie keynesienne.

Mais voilà, quand tout le monde finit pat penser la même chose, c’est que plus personne ne pense, d’autant que l’on ne sait pas réellement quel sera le programme économique réel de Trump et donc quels en seront les impacts. Pour notre part, et au-delà des spéculations sur la future politique économique US, nous pensons que tout krach obligataire traditionnel est impossible, sinon interdit. Aujourd’hui, les krachs ne peuvent plus durer compte tenu des effets dévastateurs qu’ils pourraient provoquer sur les épargnants, les banques et l’économie en général. L’économie est devenue trop financiarisée.

Les krachs furtifs

En effet, l’on sait que ce qui a drivé la hausse des marchés toutes classes d’actifs confondues, c’est la croyance unanime depuis plusieurs années (surtout depuis septembre 2012) en une mise à disposition « éternelle » et « inconditionnelle » de liquidité par achat d’actifs ou injections de liquidités des banques centrales. Le problème c’est que cette situation a pu provoquer une forte déconnexion entre fondamentaux et liquidité et donc provoquer des chocs violents sur les marchés.

On peut en effet citer deux épisodes récents de mini-krachs dans l’histoire récente des marchés financiers.

On pense à la période du printemps 2013 avec une mise en perspective de la déconnexion fondamentaux-liquidités : craintes sur la poursuite de l’expansion de la liquidité par la FED (minutes FOMC de mai 2013) mais perception inchangée par les marchés sur les fondamentaux de l’économie. Cette situation va entraîner des baisses des marchés, toutes classes d’actifs confondues, et un renversement temporaire de la psychologie des marchés. De la même façon que les marchés ont été euphoriques en dépit des fondamentaux et à cause de l’abondance de liquidité, ils vont provoquer des mini krachs ponctuels sur toutes les classes d’actifs en dépit des fondamentaux (ni meilleurs, ni pires qu’auparavant) et à cause de craintes plus ou moins fondées de reprise de liquidité.

Dans cette configuration, il n’y a pas de détérioration des fondamentaux mais il y a des anticipations de politique monétaire moins accommodante de la part de la FED

On peut aussi citer la folle journée du 15 Octobre 2014 avec là aussi une mise en perspective de la déconnexion fondamentaux-liquidités. Mais cette fois-ci les craintes portent sur une détérioration brutale des fondamentaux (accident statistique sur les ventes de détail US, craintes du retour de crise systémique en zone Euro…) ; et non sur la situation de la liquidité mondiale créée par les banques centrales : on sait à l’époque que la FED va arrêter son QE fin octobre 2014, que la Bank of England est neutre, que la BCE va commencer son expansionnisme monétaire et que la Bank of Japan s’apprête à accroitre également son assouplissement quantitatif (les marchés l’anticipent pour la fin janvier 2015 et cet assouplissement interviendra dès la fin octobre 2014).

Dans cette configuration, il n’y pas de changement d’anticipation sur l’orientation des politiques monétaires mais il y a détérioration prétendue des fondamentaux de l’économie américaine.

A chaque fois que la déconnexion fondamentaux-liquidité est mise en lumière sous une forme ou sous une autre, il faut s’attendre à de violentes secousses sur les marchés et à des mini –krachs qui seront vite absorbés par une communication ultra-accommodante des banquiers centraux (remise en cause d’une hausse des taux directeurs anticipée ou absence de mise en place d’un vrai cycle de politique monétaire restrictive, création d’anticipations d’assouplissements monétaires, discours laissant entrevoir des actions non conventionnelles encore plus agressives : montants , diversité des actifs financiers devant faire l’objet de futurs QE,…). On a vu récemment en septembre dernier des actions encore plus non conventionnelles au Japon avec ce que l’on pourrait appeler le long terme targeting. De quoi s’agit-il ? La Bank of Japan (BoJ) a décidé lors de conseil de politique monétaire du 21 septembre dernier de mettre en place des mesures de contrôle de la courbe des taux en adoptant un objectif sur ses taux d’intérêt à long terme à 10 ans autour du niveau de 0%. Cette banque centrale est désormais prête à accroitre la base monétaire en quantité illimitée (création monétaire à volonté) pour empêcher les taux longs de monter. Nous pensons qu’un jour la BCE ou d’autres banques centrales suivront cet exemple en déployant une communication appropriée de stabilité ou de remontée graduelle et ordonnée des taux longs.

Le pire scénario serait que l’on ait à la fois des fortes anticipations de politique monétaire moins accommodante et une détérioration de la conjoncture (scénario peu probable car il mettrait un terme à notre théorie de la déconnexion).

En effet, on imagine mal la détérioration des fondamentaux et une liquidité restrictive…Ou bien s’il y a vraiment liquidité restrictive, on imagine mal que les fondamentaux soient médiocres.

Les flash krachs

Au-delà des krachs furtifs, nous avons de plus en plus affaire à ce qu’il est désormais convenu d’appeler les flash krachs. Ce type de situation est lié à une dégradation de la liquidité de marché.

Petite parenthèse dans ce paragraphe sur ce qu’il convient d’appeler le paradoxe de la liquidité. En effet, l’on entend souvent parler de la liquidité en économie et en finance. Mais cette notion est utilisée à tort et à travers. Il faudrait donc définir la liquidité de façon à ne pas tout confondre et à comprendre ce que l’on entend par risque ou crise de liquidité. Suivant la définition que l’on retient, l’on pourra dire que l’on est ou pas en crise de liquidité. Il y a quatre façons de définir la liquidité : 1/Il y a la liquidité bancaire au sens de l’ALM (pour "asset liability management" ou gestion de bilan ou encore gestion actif passif). On sait que les banques ont pour fonction traditionnelle de transformer les ressources court terme (des clients ou empruntées sur les marchés) en emplois et crédits à moyen et long terme. L’activité bancaire de transformation génère donc des risques naturels au rang desquels le risque de liquidité. 2/ Il y a la liquidité réglementaire. On entend par là le respect de normes édictées par le régulateur bancaire pour s’assurer que les banques sont capables de faire face à des chocs de sorties massives de trésorerie. 3/ Il existe aussi la liquidité macroéconomique, c’est-à-dire la liquidité banque centrale (la monnaie créée par la banque centrale et qui vient accroître le bilan de la banque centrale). 4/ Il y a enfin ce que l’on appelle la liquidité de marché. Il s’agit ici d’évaluer la capacité à transformer en liquidité (en cash) tel ou tel actif financier sans risque de variation brutale des cours de l’actif considéré.

C’est de cette dernière liquidité dont nous voulons parler dans le cadre de cet article.
Force est de constater que cette liquidité s’est détériorée. Pour au moins deux raisons :

  • Tout d’abord, il y a la disparition progressive du market making sur emprunts d’état avec l’évolution des contraintes réglementaires qui pèsent sur les activités de trading des banques de financement et d’investissement. Moins de liquidité de marché signifie donc plus de trous d’airs sur le prix des actifs et donc des décalages aussi violents qu’inexpliqués.
  • Il y a ensuite les nouveaux modes de négociation des instruments financiers via des plateformes de trading qui génèrent des décalages de prix là encore aussi brutaux qu’inexpliqués. Des ordinateurs ultra rapides fractionnent, achètent et vendent des titres en très peu de temps. L’intervention humaine se limite à choisir l’algorithme qu’il faut lancer puis à contrôler la machine. Le risque inhérent à la détention d’une position prise isolément est faible puisque celle-ci est très souvent tenue moins de 5 secondes, ce qui crée une volatilité inutile et indésirable. Mais le risque pour le système est considérable avec la multiplication de ce que l’on appelle les flash cracks.

Nous pouvons recenser certains exemples édifiants ces dernières années :

  • le krach financier éclair du 6 mai 2010 (Wall Street a plongé de 9% pendant 20 minutes).
  • Ce fameux 15 octobre 2014 dont nous avons parlé plus haut pas si médiatisé que cela mais qui est l’une des plus folles journées de marché de ces 20 dernières années (et l’explication déconnexion fondamentaux-liquidité ne suffit plus) avec ces 0,40% de variation des taux des emprunts d’état US à 10 ans en quelques minutes – soit une variation de près de 3% des prix de ces actifs, ceux qui travaillent ou ont travaillé sur les marchés de taux savent que c’est monstrueux).
  • Le flash krach lui aussi peu connu du 18/03/2015 sur le forex et plus spécifiquement sur la parité euro-dollar suite à un FOMC de la FED. Retour dans un passé pas si lointain :
    • Ouverture le 18/03 à 1,0590 sur la parité euro/dollar
    • Plus haut du 18/03 à 1,1030 post-FOMC sur une communication un peu plus accommodante de la FED (hausse aussi brutale que fondamentalement absurde de près de 4.5%)
    • Clôture le 18/03 à 1,0870
    • Mieux, clôture le 19/03 à 1,0660 (soit un niveau finalement pas très éloigné du niveau d’ouverture du 18/03)
  • Tout récemment, le flash krach sur le sterling. Certes celui s’inscrivait dans un contexte d’anticipations de hard Brexit. Mais rien ne permettait de justifier tant d’un point de vue fondamental que du point de vue des flux d’investisseurs les variations brutales de la nuit du 06/10/2016 au 07/10/2016 (d’autant que la parité GBP/USD avait déjà fortement baissé sur la semaine sous revue : baisse de 3,7% depuis le 30/09/2016). Qu’on en juge : alors que la parité GBP/USD se négociait autour de 1.26 le 06/10 vers 23 heures, un plus bas incroyable autour de 1,1450 fut enregistré dans la nuit (soit une chute surréaliste de plus de 9% en quelques heures) tandis que la parité clôtura le 07/10 à 1,2430 (soit une remontée tout aussi surréaliste de 8,5 % par rapport au point bas).

Ces détails sur ces folles variations montrent que la violence de ces mouvements est absurde puisque finalement après avoir beaucoup bougé, l’actif en question se retrouve proche de son niveau initial. Nous constaterons donc une volatilité considérable (inutile économiquement et seulement utile d’un point de vue trading) avec des gains, des pertes, des effets de richesse négatifs, positifs, des impacts en compte de résultat ou fonds propres positifs, négatifs.

D’autres flash krachs surviendront puisque le régulateur n’a pas encore pris la dimension du sujet. Celui-ci a malheureusement toujours un temps de retard sur les marchés et est aujourd’hui exclusivement préoccupé à éviter qu’une crise financière du type de celle de 2008 ne se reproduise (l’obsession du Comité de Bale est de renforcer les ratios de liquidité et de solvabilité, ce qui est nécessaire mais ne sera jamais une fin en soi). Ce n’est que lorsque le trading algorithmique des robots provoquera une catastrophe systémique (défaut d’une grande banque ou d’un grand corporate) que le régulateur fera évoluer la réglementation des activités financières.

On comprendra alors que le trading à la vitesse de la lumière via des robots repose sur un postulat absurde et dangereux : l’évolution du marché ne doit plus être aléatoire et il faut abolir le comportement humain face aux marchés qui est déterministe.

L’on doit, tout au contraire, comprendre qu’il faut se résoudre à accepter l’incertitude. On ne pourra jamais se soustraire à l’incertitude de ce monde et on ne pourra jamais modéliser la peur, le mimétisme et encore moins l’impact des contraintes réglementaires, prudentielles et comptables sur les comportements des investisseurs.

Mory Doré Novembre 2016

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