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Les marchés ne devraient pas sous-estimer le downgrading de la France

S&P a abaissé le vendredi 08/11 d’un cran la note de la France, à AA/perspective stable. Jusqu’à présent, la dette française n’était pas très impactée par les dégradations de rating mais cette fois on pourrait observer, dans les mois qui viennent, un écartement significatif du spread OAT- BUND

On se souvient des quasi-non événements que furent le downgrading de S&P le 13/01/2012 de AAA à AA et celui de Moody’s le 20/11/2012 de AAA à AA1.

A l’époque, nous avions déjà expliqué cette impassibilité par les raisons suivantes :

- 1. les investisseurs institutionnels ont des limites d’investissement par tranches de rating et la dégradation de notation d’un émetteur de AAA à AA-, soit quand même trois crans, a peu d’incidence sur leur comportement en matière d’allocation crédit. Nous ne sommes donc pas confrontés à des phénomènes de ventes forcées sur la signature dégradée dès lors que son rating se situe dans ce range.

- 2. Par ailleurs d’un point de vue réglementaire (sur le volet solvabilité du Comité de Bale), il n’est pas plus pénalisant pour une banque ou un assureur d’être investi sur des notations AAA ou AA puisque la consommation de fonds propres exigée sera la même, à savoir aujourd’hui nulle.

- 3. Enfin, toujours d’un point de vue réglementaire, les nouvelles règles de liquidité Bale 3 obligent les banques à constituer une réserve d’actifs liquides (numérateur du Liquidity Coverage Ratio). Parmi ces actifs liquides dits de haute qualité, on trouve les titres d’État et supranationaux notés au-dessus de AA-. Ainsi la dette publique française est encore protégée.

Oui mais il faut rester très vigilant malgré tout. Car les raisons invoquées par S&P pour cette nouvelle dégradation mettent en avant l’incapacité du pouvoir politique à mettre enfin en place les réformes de structure de nature à renforcer la compétitivité et la création de richesses, conditions indispensables pour une hausse de la croissance potentielle et une baisse de l’endettement.

L’agence de notation affirme également : « Il nous semble que les pouvoirs publics disposent désormais d’une marge de manoeuvre réduite pour augmenter les recettes (…) Nous considérons que les mesures de politique économique mises en oeuvre depuis le 23 novembre 2012 (date à laquelle S&P avait confirmé la note du pays) n’ont pas réduit de manière significative le risque que le taux de chômage reste au-dessus de 10% »

Et l’agence de poursuivre en soulignant « que le niveau actuel du chômage amoindrit le soutien populaire en faveur de nouvelles réformes structurelles et sectorielles et affecte les perspectives de croissance à plus long terme (sans faire référence explicitement à l’amateurisme et à la cacophonie gouvernementales sur nombre de sujets économiques, financiers et fiscaux) »

Voilà tout est dit. Il y a ici sanction de l’incapacité désormais pour la France de lever plus d’impôts et donc de réduire sa dette dans le contexte politique et social que l’on connait. Alors les irréductibles optimistes viendront vous dire que les impacts de la décision de S&P sur les taux longs français et sur le spread OAT-BUND sont ridiculement insignifiants et que de toute façon la dette publique française sera éternellement protégée. De quoi déresponsabiliser encore et toujours un peu plus nos chers gouvernants sur le sujet de la rigueur budgétaire. Après tout, pourquoi s’inquiéter puisqu’il y a

  • La répression financière organisée par la réglementation qui incite encore et toujours les banques et assureurs à acheter de le dette publique française ;
  • La répression financière organisée par le gouvernement lui-même [1]
  • Un acheteur en dernier ressort avec une banque centrale qui pourrait monétiser telle ou telle dette publique en tant que de besoin.

Le faible impact de la dégradation de la France sur les taux des emprunts d’état s’explique aussi pour des raisons « techniques ». Ainsi le jeudi 07/11 (premier jeudi du mois ) correspondait à l’adjudication mensuelle d’OAT et l’on sait que les desk de trading OAT des spécialistes en valeurs du trésor (SVT) n’ont en général pas trop intérêt à ce que les taux montent après une adjudication afin de pouvoir bénéficier de ce que l’on appelle les offres non compétitives. En effet, les SVT bénéficient de la faculté de pouvoir présenter des soumissions non compétitives, servies au taux ou prix moyen pondéré de l’adjudication (ce qui permet d’engranger des plus-values si les taux ont baissé le lendemain de l’adjudication ou, à tout le moins, de ne pas matérialiser de moins values si les taux remontaient)

Il faudra donc attendre les semaines prochaines pour mesurer l’impact réel de la dégradation de la note française sur les taux longs français. Je ne suis pas persuadé que les marchés restent de marbre et je pense même qu’ils vont décortiquer la sanction de S&P (qui n’est pas un non-événement contrairement au downgrading de janvier 2012 car il y a ici sanction du modèle français de gestion publique). Vous savez les marchés ont à la fois cette capacité à anticiper voire à sur-anticiper longtemps à l’avance des événements (changements de cycle de politique monétaire par exemple) ; mais ils ont aussi la fâcheuses habitude de réagir souvent avec beaucoup de retard à des crises de confiance sur tel ou tel actif financier. Je ne serais pas surpris que l’on assiste dans les mois qui viennent à un significatif écartement du spread OAT- BUND dans la zone des 100-120 bp (zone entrevue au T4 2011 lorsqu’il y eut contagion de la crise de la dette publique italienne à certaines dettes publiques de la zone Euro hors hard core). On rappellera que ce spread est stabilisé aujourd’hui dans un range 45-60 bp.

Faut-il anticiper alors une mini crise de la dette publique française ? Même si l’on est dans un monde économique , monétaire et financier radicalement différent d’il y a 20 ans, il existe beaucoup de similitudes aujourd’hui avec les années 1990 ; et les crises du franc de 1992-1993 pourraient être remplacées en 2014-2016 par de violents krach obligataires sur les papiers d’état français avec les mêmes « prétextes » pour les marchés financiers : le manque de crédibilité des pouvoirs publics (il y a 20 ans pour parachever la construction monétaire européenne, aujourd’hui pour réduire la dette publique)

Si la dette publique française est, pour l’instant protégée (comme on l’a vu par les règles des investisseurs, par la réglementation bancaire et aussi par l’abondance de l’épargne domestique encore investie en assurance vie obligataire d’état), n’oublions pas qu’elle reste dépendante pour les 2/3 des comportements d’épargne des investisseurs non résidents. Et personne ne sait comment finiront par réagir certains d’entre eux. Si un jour prochain, un grand investisseur institutionnel non résident se retrouve dans l’incapacité de vendre des actifs pourris et illiquides et est confronté à des besoins de liquidités pour des raisons diverses et variées (respect de ratios réglementaires, seuil d’alerte atteints sur stop loss, anticipations de demandes de cash de la part de clients), celui-ci sera alors forcé de vendre des actifs réputés sains et liquides. Et dans ce contexte, qui pourrait l’empêcher de réduire significativement le poids des titres d’état français dans ses portefeuilles financiers. Nous ne souhaitons naturellement pas que ce jour arrive brutalement mais, à l’instar de ce qu’aurait dit il y a déjà fort longtemps Confucius, ne faut-il pas se préparer au pire tout en espérant le meilleur ?

Mory Doré Novembre 2013

Notes

[1] cf les relèvements de plafond du Livret A en octobre 2012 et janvier 2013 qui ont accru les possibilités pour la CDC d’investir en titres d’état français même si depuis l’été 2013 une partie des encours du Livret A centralisés à la CDC ont été rétrocédés aux banques

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