A court terme, de nombreux facteurs d’ordre macroéconomique, réglementaire ou psychologique pourraient faire rebaisser les taux longs. La vraie rupture sur les marchés de taux longs de part et d’autre de l’Atlantique coïncidera avec le changement de modèle de croissance dans les économies émergentes.
Nous avions récemment écrit que les taux longs du cœur de la zone Euro (emprunts d’Etat allemands et français entre autres) ne pouvaient remonter à court terme pour des raisons fortes.
Raison psychologique avec un contexte d’aversion au risque favorisant les réallocations de portefeuilles vers les emprunts d’Etat du core Europe jugés – à tort ou à raison – peu ou pas risqués. L’histoire nous dira si les marchés avaient raison de surpondérer à ce point les emprunts d’Etat franco-allemands durant les périodes de crise des actifs dits risqués
Raison réglementaire avec l’anticipation du référentiel Bâle 3 qui incite tout investisseur à se goinfrer d’emprunts d’Etat parce que la consommation de fonds propres est faible pour ne pas dire nulle. Et en oubliant au passage de se demander si ces actifs sont risqués ou pas (on reviendra naturellement dans de prochains articles sur cette révolution en cours sur les marchés financiers avec le repricing et la réevaluation du risque souverain)
Raison macroéconomique très forte avec la persistance d’un excès d’épargne à l’échelle mondiale : entreprises des grands indices boursiers qui ne savent que faire de leurs profits et qui donc les épargnent ou les redistribuent aux actionnaires avec des taux de dividendes ridiculement élevés ; exportateurs d’Asie et du Moyen Orient qui réemploient leurs excédents commerciaux, tout du moins pour l’instant , en investissements en titres d’Etat (pour les pays asiatiques, il s’agit d’éviter des réevaluations brutales de leurs monnaies nationales et de continuer autant que faire se peut le dumping monétaire puisque les modèles de croissance reposent encore sur les exportations)
Enfin raison liée au maintien de politiques monétaires accommodantes par les banques centrales : on a assez écrit qu’il y avait une sorte d’irréversibilité qui empêchait les instituts d’émission de remonter leurs taux directeurs avant longtemps. Cette situation reste un puissant facteur de soutien pour le stock d’obligations d’Etat détenues par les investisseurs institutionnels et un facteur d’incitation pour continuer à en acquérir puisque ces obligations sont refinancées quasiment gratuitement et assurées de l’être également dans le futur. Il n’y aurait alors aucun risque- ou presque- à détenir des emprunts d’Etat des pays considérés comme les plus vertueux voire à en acheter de nouveaux puisque la marge de transformation (l’écart entre le taux de rendement de ces obligations et le coût de refinancement de ces titres à Eonia ou Euribor 3 mois est très rémunérateur et devrait le rester pendant longtemps)… Aucun risque sauf celui du non remboursement total ou partiel par l’émetteur souverain. Il y a longtemps que nous sommes persuadés que beaucoup d’Etats souverains de la zone Euro (et pas seulement les PIGS) seront dans l’incapacité de rembourser leur dette au-delà d’une certaine maturité (2018 ? 2020 ? , 2025 ?)… Ce sujet fera bien sûr l’objet d’analyses ultérieures.
En tout cas, pour l’heure, toutes ces raisons, même fragiles, artificielles et pouvant être remises en cause violemment durant les années futures, existent toujours et constitueront à court terme un véritable frein à une remontée durable et structurelle des taux longs des emprunts d’Etat franco-allemands, UK et US.
De même, les facteurs de remontée des taux longs à moyen terme et liés aux économies émergentes sont eux-mêmes très loin d’être en action
Les risques d’inflation salariale dans les économies émergentes liés à des tensions sur les capacités de production et aux revendications syndicales ne devraient pas se manifester à court terme ; donc pas de transmission d’inflation en Occident imminente et de vrai krach obligataire à court terme
Pas de changement de régime de changes imminent en Chine. Donc la situation d’accumulation de réserves de change consistant à émettre de la monnaie pour la vendre contre dollar et euro en achetant des titres d’Etat libellés dans ces devises devrait perdurer encore et empêcher les taux longs de monter significativement. Heureux ceux qui auront correctement anticipé cette rupture du régime de changes, donc le remplacement du modèle de croissance chinoise basé sur les exportations par un modèle basé sur la croissance domestique ; cela signifiera qu’ils auront su anticiper de violents mouvements directionnels sur le marché des changes et les marchés de taux longs
Alors finalement pourquoi les taux longs de la zone core Euro (on ne parle pas bien sûr ici des taux longs des dettes périphériques de la zone Euro) sont remontés si brutalement ces dernières semaines. Qu’on en juge : Bund 10 ans à 3.04% le 14/01/2011 contre un plus bas historique de 2.12% le 31/08/2010 ; OAT10 ans à 3.40% le 14/01/2011 contre un plus bas historique de 2.47% le 31/08/2010 ; de même CMS 10 ans à 3.28% le 14/01/2011 contre un plus bas historique de 2.33% le 30/08/2010
La forte pentification de la courbe des taux par remontée des taux longs ressemble à une pentification anglo-saxonne, associée à une perte de crédibilité anti-inflationniste de la banque centrale. C’est un peu comme si l’on anticipait que le comportement de la BCE allait converger vers le comportement de la FED et de la BOE en matière de quantitative easing. Mieux, les marchés anticipent sans doute une BCE qui lâcherait également prise sur la monnaie avec l’acceptation d’une dépréciation de l’euro et de l’inflation importée dans la zone. En d’autres termes, cela reviendrait à mutualiser l’appauvrissement grec, irlandais et portugais à l’ensemble de la zone et à accepter une remontée généralisée des rendements longs dans toute la zone y compris en Allemagne et en France, les non-résidents devenant plus exigeants sur la rémunération de leurs investissements en titres d’Etat de la zone Euro lié à un affaiblissement de l’euro,
Cette remontée des taux longs y compris en France et en Allemagne peut également trouver son origine dans l’anticipation d’une autre forme de mutualisation, celle de l’émission massive d’Eurobonds émis par le Fonds Européen de stabilité financière (FESF) ou le Mécanisme Européen de stabilité financière (MESF) dont la taille serait augmentée, et tout cela avec la neutralité bienveillante de l’Allemagne
Pour notre part, nous pensons que les marchés se trompent
Tout d’abord, nous ne pensons pas que la BCE se convertira au quantitative easing façon FED et qu’elle fera tout pour éviter une dévaluation implicite de l’Euro
Ensuite nous ne pensons pas également que l’Allemagne capitulera en acceptant une mutualisation des émissions de dette souveraine et encore moins une pérennisation du FESF
Pour ces raisons (et bien sûr pour toutes celles évoquées bien plus haut), le krach obligataire n’est pas encore pour aujourd’hui ; certains taux longs pourraient même rebaisser : le Bund allemand 10 ans et ses satellites (emprunts d’Etat finlandais, autrichien et hollandais) ; dans une moindre mesure les taux à 10 ans français, italien et belge ; par contre primes de risque persistantes sur le 10 ans espagnol et le 10 ans des PIGS ; incertitudes sur l’évolution du CMS 10 ans (référence interbancaire à long terme et baromètre de la qualité de crédit des banques)
De manière générale (et ceci fera bien sûr l’objet de prochains papiers), nous allons vivre un véritable repricing du risque de certaines signatures (souverains refuge, souverain sous tutelle, corporate et banques assez autonomes, corporate et banques dépendants de souverains en difficulté budgétaires…). La hiérarchisation du risque et du rendement entre différents types d’émetteurs va devenir de plus en plus complexe