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Paris place financière

Paris pourrait à terme s’imposer en place financière complémentaire de Londres, ce qui générerait de larges externalités positives pour l’économie française. Pour cela, la France doit être plus ouverte sur l’international, améliorer son anglais, et accepter la finance au même titre que les autres secteurs. Les régulations économiques et financières devront être allégées, et les prélèvements obligatoires effectifs sur les hauts revenus atténués.

Faire de Paris une place financière mondiale : c’est l’objectif avoué du cabinet de Christine Lagarde, ministre de l’économie.

Il y a du travail. Paris ne fait pas partie des dix plus grands centres financiers mondiaux, selon The Global Financial Centres Index (GFCI). [1] Plus grave, Paris n’est dans le top 10 dans aucune des cinq sous-catégories du même classement, alors que des villes comme Luxembourg ou Dublin y parviennent.

Or il est bien connu que la vigueur de l’économie anglaise doit beaucoup au statut de centre financier Européen voire mondial assumé par Londres. Les revenus générés par la finance ont doublé ces 10 dernières années, si bien que le secteur financier génère maintenant 9,4% du PIB Britannique. [2] La finance est un secteur extrêmement productif : selon Goldman Sachs, la proportion du PIB Britannique généré par la finance est deux fois supérieure à la proportion de la population employée travaillant dans ce secteur. Si l’on prend également en considération les effets d’entraînement, on conclut que la finance a grandement bénéficié à l’économie britannique. Lorsque l’on sait en outre qu’environ 350 000 français (dont une grande partie issus des grandes écoles de commerce et d’ingénieur) sont installés à Londres, et que l’on parle plus français qu’anglais dans certaines équipes de banques londoniennes, on prend la mesure de la contribution des français au succès londonien.

Malheureusement, il n’y a de place que pour un seul centre financier par région du globe. Selon GFCI, seuls Londres et New York sont des centres financiers « globaux ». Londres bénéficie désormais des effets d’agglomération, avantage difficile à combattre. En particulier, chaque banque tend a centraliser toutes ses opérations pour la zone Europe-Middle-East-Africa dans une seule ville. Paris n’a pas les atouts nécessaires pour lutter dans une concurrence frontale. En effet, au-delà de ses atouts naturels, Londres bénéficie à la fois de l’inertie (il est coûteux de réorganiser/relocaliser une banque ou un fonds d’investissement) et du momentum (le business génère le business).

Il n’y a de place que pour un seul centre financier par région du globe.
Pierre Chaigneau

C’est pourquoi il n’est pas réaliste de penser que Paris puisse à horizon deux à dix ans s’imposer en tant que substitut à Londres. En revanche, Paris est depuis de nombreuses années déjà un centre très compétitif en asset management (ou gestion d’actifs), et compte une certaine expertise en assurance. Une stratégie de niche est dès lors possible. Aux Etats-Unis, nombre de hedge-funds sont basés dans le Connecticut ou dans le Massachusetts, pas à New-York. Similairement, Genève et Zurich se sont spécialisés avec succès dans le private banking (gestion de grandes fortunes). Il s’agirait de s’appuyer sur les ressources de Paris en asset management et assurance, et surtout de retirer les obstacles bridant l’expansion potentielle du secteur financier parisien.

Paris compte de nombreux atouts. C’est une ville très agréable à vivre. [3] Ensuite, la France bénéficie d’un réservoir considérable de talents formés par les écoles supérieures de commerce et d’ingénieur et les universités. Ainsi, le GFCI classe Paris en deuxième position mondiale (derrière Londres) pour son capital intellectuel. En outre, beaucoup de Français travaillent actuellement dans les banques à Londres. On peut imaginer que nombre d’entre eux rentreraient si Paris devenait une véritable place financière.

En outre, Paris a les bases solides sur lesquelles fonder un centre financier. Ainsi, le GFCI classe Paris en troisième position mondiale en « financial clout », grâce à la présence de nombreux sièges d’entreprises majeures, la disponibilité de services pour les institutions financières, et le développement du système financier français. Enfin, Paris est à 2h15 de Londres en Eurostar : les interactions avec le centre financier mondial sont faciles.

Londres a des faiblesses. Le coût de la vie élevé, qui ne cesse de croître ; le système de transport qui ne parvient pas à suivre la croissance de la ville ; et une qualité de vie qui laisse parfois à désirer. Par ailleurs, la Grande-Bretagne vient de réformer le régime de taxation des impatriés, afin de les imposer davantage. Nul doute que nombre d’entre eux vont alors reconsidérer les avantages associés à rester à Londres. C’est une opportunité à saisir pour vendre les mérites de Paris.

Cependant, dans cette compétition féroce mais aux enjeux colossaux, Paris a de nombreux handicaps

Paradoxalement, si Paris veut faire concurrence à Londres, Paris doit devenir davantage anglophone.
Pierre Chaigneau

Premièrement, l’anglais est la langue de la finance et les Français maîtrisent dans l’ensemble mal cette langue ; la communauté internationale de Paris est restreinte par rapport à des villes comme Londres ou Bruxelles. Il est dès lors difficile pour des expatriés étrangers de s’intégrer ou même de conduire leur affaires, quotidiennes ou professionnelles. De nombreux étrangers ne supportent pas ces barrières linguistiques. Plusieurs solutions sont envisageables. Un meilleur enseignement de l’anglais dans les écoles bien sûr ; mais également une diffusion plus large de l’anglais dans la société, notamment via des films ou séries en version originale à la télévision comme c’est le cas dans la plupart des pays du monde, améliorerait l’attractivité de notre pays. Autre exemple, attribuer des ondes FM à des radios de langue anglaise à Paris serait une avancée importante.. Paradoxalement, si Paris veut faire concurrence à Londres, Paris doit devenir davantage anglophone.

Deuxièmement, les réticences des banques et institutions financières françaises à embaucher des étrangers sont problématiques. La plupart des banquiers londoniens ne sont pas anglais, et n’ont pas étudié en Angleterre. Une grande place financière doit être capable d’absorber les talents du monde entier. Or de nombreux étrangers parfaitement qualifiés, ou même des Français ayant effectué de (brillantes) études a l’étranger qui veulent travailler en France tendent à systématiquement affronter des refus. Sans doute peut-on blâmer les procédures de recrutement françaises : entretiens avec les ressources humaines et non avec les opérationnels (contrairement à Londres), marché de l’emploi où le chômage constitue encore une force permettant aux banques de n’embaucher que dans certaines grandes écoles. De la Société Générale à JP-Morgan, on ne compte plus les banques se cantonnant pour certaines positions à des HEC ou des Polytechniciens. Malgré la qualité de ces étudiants, ces habitudes devront être bouleversées, et les banques devront étendre leurs horizons, si Paris doit devenir une grande place financière.

Troisièmement, le poids actuel des prélèvements obligatoires sur les hauts revenus en France est rédhibitoire. Les salaires et bonus constituent le principal poste de coût des banques et fonds d’investissement. Or en France, les taxes et cotisations sociales absorbent quasiment les deux-tiers du coût du travail d’un employé gagnant plus de 6000 euros par mois. C’est environ 25 points de pourcentage de plus qu’en Angleterre. [4] Dans ce contexte, soit un salarié coûte beaucoup plus cher à une banque à Paris, soit il est bien moins payé en net à Paris qu’à Londres. On ne peut sérieusement s’attendre à ce que Paris devienne une place financière digne de ce nom tant que la différence en prélèvements obligatoires pour les hauts revenus est telle. Surtout que Paris n’est pas seulement en compétition avec Londres, mais aussi avec des villes comme Bruxelles, Luxembourg, Genève, Francfort, etc.

Cela dit, Londres devient chère, ce qui laisse penser qu’un certain différentiel en matière de prélèvements obligatoires n’est pas insurmontable, si les mesures adéquates sont prises pour l’atténuer. L’objectif est de rendre la France compétitive en termes de coût du travail d’un banquier. Cela implique avant tout une réduction significative des prélèvements obligatoires effectifs pesant sur les hauts revenus (impôts sur le revenu et prélèvements sociaux).

On ne construit pas un centre financier mondial avec une attitude protectionniste et une lourde régulation.
Pierre Chaigneau

Une première mesure permettrait aux institutions financières basées à Paris d’attirer à bas coût des banquiers internationaux. Le régime de taxation des impatriés pourrait à ce titre être modifié afin de diminuer le fardeau fiscal pesant sur cette population.

Une deuxième mesure permettrait à tous les détenteurs d’emplois basés en France de placer une partie de leur salaire, défiscalisée, dans un certain type de fonds d’investissement. Par exemple, ces fonds d’investissement pourraient investir uniquement dans les entreprises françaises ou européennes, stimulant ainsi l’économie. Pour que cette partie du salaire ne soit pas sujette à l’impôt sur le revenu et prélèvement sociaux, l’employé en question devrait conserver cette épargne investie dans le fonds pour une durée minimale. Les avantages : favoriser l’épargne pour la retraite, faciliter l’investissement dans les entreprises (PME notamment) et augmenter la détention des actions par des investisseurs nationaux, mais également réduire le fardeau fiscal effectif pesant sur les hauts revenus qui épargnent typiquement davantage. Notons enfin que les avantages associés à cette défiscalisation seraient disponibles pour tous les employés : en principe, elle n’affecte pas la progressivité du système fiscal (même si elle la changera vraisemblablement en pratique).

Quatrièmement, les facteurs institutionnels ne doivent pas être négligés. En ouvrant la City à la compétition et en remettant en cause les positions acquises, le Big Bang (en 1986) a solidement établi Londres en tant que place financière européenne. Le régulateur britannique, la FSA (Financial Services Authority) est renommé pour sa compétence et sa régulation par objectifs, qui permet le développement de nouveaux produits financiers sans que ces créations ne nécessitent une autorisation a priori.

La FSA a su créer un environnement que les institutions financières apprécient – et avec lequel elles sont désormais familières. Malheureusement, dans le GFCI, l’indice de régulation administrative (pour la finance) de Paris est deux fois supérieur à celui de Londres. Beaucoup de contraintes pour de mauvais résultats : la qualité de la régulation française est bien inférieure à celle de ses concurrents selon le GFCI. Toujours dans le GFCI, la France obtient un très mauvais score en « liberté économique », du fait des nombreuses régulations sur les entreprises et l’emploi. C’est pourquoi Paris gagnerait à tirer les enseignements de ces expériences : on ne construit pas un centre financier mondial avec une attitude protectionniste et une lourde régulation. Ces deux attitudes ne sont pas nécessairement intrinsèquement mauvaises, mais il faut être conscient qu’elles ne sont pas compatibles avec la volonté de faire de Paris une véritable place financière.

Dernier point noir, les diabolisations de la finance en France, notamment par certains hommes politiques, ont inquiété les financiers. Il est nécessaire de les rassurer pour les attirer. Les politiques doivent veiller à ne pas s’imposer en moralisateurs de la finance mondiale, rôle obsolète et au final contre-productif pour la France. Tant que l’interférence politique sera possible en ce domaine, les hommes politiques devront choisir entre être ouvertement hostiles envers la finance (ne serait-ce qu’en paroles), et établir un centre financier à Paris. A cet égard, une certaine indépendance de l’AMF vis-à-vis du monde politique semble indispensable – mais loin d’être suffisante. En attendant, les financiers y réfléchissent à deux fois avant de s’installer à Paris. Et de nombreuses autres villes sont heureuses de créer le climat propice pour les attirer.

Pour conclure, Paris dispose des atouts nécessaires pour devenir une place financière complémentaire de Londres. Les mesures essentielles pour rendre cet objectif atteignable consistent à ouvrir la France sur l’international, l’anglais et la finance ; à atténuer les régulations économiques et financières ; et à diminuer les prélèvements obligatoires effectifs sur les hauts revenus. Autant de changements dont les effets bénéfiques ne se cantonneront pas au secteur financier.

EE , Pierre Chaigneau Juillet 2011

P.-S.

- The Global Financial Centres Index, The City of London, septembre 2007.

- Magnets for money, a special report on financial centres, The Economist, 15 septembre 2007.

- En décembre 2009, la Grande-Bretagne décide de taxer massivement les banques qui payent des bonus à leurs employés. Le lendemain, Paris annonce la même mesure, perdant ainsi une occasion de se démarquer de façon positive

Notes

[1] The Global Financial Centres Index, publié par The City of London, septembre 2007. Les dix premiers sont (dans l’ordre) : Londres, New-York, Hong-Kong, Singapour, Zurich, Francfort, Genève, Chicago, Sydney, Tokyo. Le rapport est téléchargeable à http://www.cityoflondon.gov.uk/econ...

[2] Source : The Economist, 1er décembre 2007, p.29-32.

[3] Parmi les concurrents, seuls Sydney et Londres font mieux dans les perceptions mondiales, selon www.citybrandsindex.com.

[4] Si l’on cumule l’impôt sur le revenu et les contributions de "national insurance", on arrive à taux de taxation proche de 40% pour quelqu’un gagnant 4 000 livres par mois, contre approximativement 65% en France.

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