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Pourquoi la BCE maintiendra coûte que coûte des taux bas sur toute la courbe ?

Hausse des taux, hausse des taux, hausse des taux… D’accord, mais à quel niveau en Europe ? A quel niveau pour l’Allemagne, pour l’Italie, la Grèce, la France ? Cela, on ne le voit quasiment jamais pour la simple et bonne raison qu’aucun modèle mathématique n’existe aujourd’hui pour les calculer tant la Zone Euro est dotée d’un système complexe et aux agrégats nombreux et parfois antinomiques.

Pourquoi la BCE maintiendra coûte que coûte des taux bas sur toute la courbe ?

Alors que les investisseurs continuent de se gargariser de la hausse des taux et des risques du marché obligataire, c’est bien des marchés actions que sont venus les secousses. Et pourtant… voit-on fleurir les papiers sur les chutes drastiques de bon nombre de sociétés du Nasdaq, entend-on parler de la dégringolade des actions naguère valorisées cinquante années de résultats ou même des pertes éclairs subies par les investisseurs sur les fameux ‘spacs’ ? Assez peu au regard de la volatilité sur ces actifs…

Et du fait que, en toute logique les hausses de taux somme toute modérées réalisées sur les taux longs ainsi que les anticipations de hausses des taux courts par la FED (puis, peut-être, dans un second temps beaucoup plus lointain, la BCE) ont eu un impact beaucoup plus fort sur les actifs actualisés sur des rentes de plusieurs décennies que sur la plupart des fonds obligataires, a fortiori corporates, aux sensibilités oscillantes entre 3 et 5…

Hausse des taux, hausse des taux, hausse des taux… D’accord, mais à quel niveau en Europe ? A quel niveau pour l’Allemagne, pour l’Italie, la Grèce, la France ? Cela, on ne le voit quasiment jamais pour la simple et bonne raison qu’aucun modèle mathématique n’existe aujourd’hui pour les calculer tant la Zone Euro est dotée d’un système complexe et aux agrégats nombreux et parfois antinomiques.

Le niveau des taux courts ? Eh bien il y a la règle de Taylor, me direz-vous !

Et pour les taux longs ? Ils sont définis par le marché mais sont fonction de l’endettement et de la capacité à rembourser cet endettement !

Si tel était le cas, les taux grecs seraient restés au-delà de 10% et les Grecs auraient restructuré leur dette à la méthode argentine, les taux courts allemands seraient à 5% depuis bien longtemps et les taux courts italiens auraient stagné en deçà de zéro pendant toute une décennie alors que leurs taux longs auraient probablement avoisiné les 4 à 6% sur la même période…

Et ces quelques exemples montrent que les formules traditionnelles de détermination des taux souverains ne fonctionnent plus pour l’Europe depuis la création de l’Euro, la mutualisation de la banque centrale et de la devise parallèlement à une conservation des budgets et dettes locaux.

Et nous nous retrouvons avec un consensus quasi unanime sur la hausse des taux alors même que personne n’est en définitive apte à élucider le mystère de la formule des taux courts européens et a fortiori celle des taux longs ! Difficile pour nous aussi d’asséner que le consensus ait tort sans justifier de quelques arguments qui ne constitueraient pas aujourd’hui la pierre philosophale des taux mais permettront à nos lecteurs de savoir comment nous appréhendons les taux depuis une décennie de gestion et quelles variables faire peser dans la balance pour s’offrir une estimation d’un niveau de taux envisageable.

Concernant la règle de Taylor :

« Taux = Croissance + Inflation » nous disent à longueur d’articles les économistes et autres rigoristes des formules mathématiques. Et on a beau leur montrer des années, voire bientôt des décennies d’historique prouvant que la formule ne fonctionne plus en Eurozone, ils arguent que le phénomène se corrigera… Effectivement, les courbes ont toutes les chances de se recroiser à un certain moment, mais doit-on raisonner à l’échelle des civilisations (car c’est bien à celle-là que nous pensons que les équilibres de l’Eurozone déraperont) ou bien nous suffirons-nous de l’échelle d’un investisseur ?

Si on raisonne à l’échelle d’un investisseur, on peut observer les deux graphes suivants qui appliquent strictement la courbe de Taylor pour l’Allemagne et l’Italie depuis 2002, date de la création de l’Euro.

Nous noterons les points suivants :

1. La BCE a connu deux phases différentes depuis 2002 : une première phase durant laquelle Monsieur Trichet appliquait assez strictement les règles de politique monétaire, jusqu’à monter les taux à la veille de la crise des périphériques ; puis une deuxième symbolisée par Monsieur Draghi qui a fait fi des formules monétaires pour sauver l’Euro.

2. On peut observer un comportement totalement différent du Taux Taylor » de l’Allemagne et de celui de l’Italie, à se demander si les deux pays ont un point commun, ce qui montre bien la difficulté pour la BCE d’une politique de taux commune. Actuellement, le différentiel de taux Taylor entre les deux pays est de près de 9%, différentiel ahurissant au regard du niveau absolu des taux et des différentiels habituels qu’on trouve au sein de la sphère obligataire. Rappelons ici que les pays émergents ont actuellement des rendements moyens autour de 4/5%...

3. La corrélation, bien que très faible, est plus significative entre le taux Taylor Italien et le taux directeur européen, ce qui montre la politique du nivellement par le bas – ou par le ‘sud’ - de la BCE

Ainsi, depuis 2010, la BCE a -t-elle clairement privilégié le sauvetage des pays périphériques et des motivations politiques et géopolitiques de stabilité de la zone Euro, par une politique de taux zéro qui a permis :

• De sauver l’Euro dans un premier temps

• D’offrir aux pays endettés du Sud une chance de réduire leur déficit budgétaire à court terme, leur endettement à long terme et de dynamiser leur économie

• D’offrir à l’Allemagne et aux pays core une décennie de dumping monétaire hors norme, propre à accentuer encore leur avance et leurs réserves face au reste de la Zone. Ces réserves se matérialisent aujourd’hui par le solde à la BCE, largement excédentaire pour l’Allemagne et largement déficitaire pour l’Italie, la Grèce, l’Espagne ou le Portugal.

Cette motivation politique est une variable qui n’est aujourd’hui pas incluse dans la fameuse formule de Taylor alors qu’elle prime largement sur les deux autres variables, croissance et inflation, qui ne sont finalement que des effets collatéraux que les Etats tout comme les institutions observent comme chacun de nous, puis tentent de gérer par des ajustements marginaux – comme le taux du livret A ou la sanction financière unilatérale décidée contre d’EDF - mais ont bien du mal à piloter… La mondialisation de la consommation, des investissements, des flux financiers, l’unité de la devise non complétée d’une unité budgétaire, fiscale et politique, les soldes commerciaux largement négatifs de bon nombre de pays européens créant une dépendance aux prix, le manque de relais industriels et commerciaux pour l’avenir, sont autant de manques des institutions et Etats européens pour reprendre la main sur leur économie, leur croissance et leurs agrégats financiers. Alors la BCE agit-elle en amont de la formule de Taylor, considérant que la seule action possible est décorrélée de l’économie, créant évidemment des déséquilibres majeurs comme des bulles financières multiples, mais assurant que l’Eurozone perdure, pour assurer à ses membres un semblant de puissance face à la Chine ou les USA.

En résumé, la formule de Taylor pourrait être modifiée ainsi :

Solution 1 : Taux BCE = Croissance du pays le plus faible + Inflation du pays le plus faible

Solution 2 : Taux BCE = Croissance + Inflation – Facteur de poids de la dette sur l’économie

Solution 3 : Taux BCE = (Croissance Euro + Inflation Euro) / Facteur de « politique intérieure »

Le taux de la BCE dépendra donc de la capacité de l’Italie, la Grèce ou le Portugal, voire la France à sortir de leur marasme « endettement + mononucléose économique + déficit budgétaire structurel », et de la capacité de la Zone Euro à homogénéiser les politiques nationales et les budgets ce qui n’est clairement pas à l’ordre du jour.

Le taux BCE restera donc extrêmement bas, quelle que soit l’inflation, si la croissance structurelle ne revient pas dans l’ensemble de la Zone et si les déséquilibres sociaux, géographiques et sectoriels restent trop prégnants, ce qui est clairement le cas aujourd’hui et prévu pour plusieurs années. Au vu de la prudence des investisseurs et des stocks de liquidité qui cherchent encore à se positionner sur des actifs à quasi 0% de rendement, même le taux zéro serait un frein majeur à l’investissement que ne peut pas encore se permettre la BCE.

Concernant les taux longs :

Les taux d’un émetteur sont traditionnellement déterminés par sa solvabilité, c’est-à-dire sa capacité à rembourser, ou à refinancer, un montant de dette à une date donnée. Cette capacité à rembourser peut venir de deux vecteurs : les flux financiers entrants ou la capacité à céder des actifs. Pour un Etat, il s’agira donc de la capacité à lever des impôts, dépendants de l’activité économique et de la création de richesse du pays, tandis que les cessions d’actifs resteront marginales et de dernier recours, comme on a pu le voir en Grèce ou dans certains pays émergents.

Pas besoin de développer un argumentaire très long pour affirmer que la situation de budget et d’endettement des pays européens est très hétéroclite et que l’Italie ou la Grèce, voire la France, devraient emprunter à des rendements largement supérieurs à ceux de bon nombre d’Etats mondiaux comme les USA ou certains états émergents dont la situation d’endettement, les réserves et les cash flows sont plus favorables au créancier.

Là encore, deux autres forces interviennent pour contrecarrer les formules traditionnelles de création des niveaux de taux :

• Les achats quasi discrétionnaires de la BCE qui permettent de créer une demande artificielle sur les obligations d’Etat et d’abaisser leur taux au niveau souhaité.

• La géopolitique mondiale : l’Eurozone bénéficie aujourd’hui d’une sorte de rente de situation de zone sécurisante pour les liquidités mondiales. Ainsi, tout investisseur souhaitant mettre quelque patrimoine à l’abri pense aujourd’hui à deux zones dans le monde - USA et Eurozone – acquérant ainsi devise et actifs locaux qu’il s’agisse d’obligations, d’immobilier ou de fonds monétaires, eux-mêmes investis dans des obligations et autres TCN.

Ces deux forces sont à la fois politiques, relatives aux autres zones du monde, évolutives, indépendantes de la puissance de l’économie ou des équilibres financiers de court terme et seul un affaiblissement de très longue durée de la zone couplé à l’émergence de nouvelles zones de sécurité et de stabilité politique pour les investisseurs parviendra à casser cette logique de taux longs proches de zéro souhaitée par les gouvernements européens pour maintenir leurs déficits budgétaires en deçà de 4 à 5% tout compris.

Plus l’endettement augmente, plus les taux longs deviennent systémiques pour la Zone Euro et plus la BCE se sentira contrainte de les maintenir au tapis pour assurer l’avenir de la Zone. Ce n’est donc pas par une volonté de la BCE ni des gouvernants européens, ni des investisseurs européens en mal de rendement que les taux monteront mais uniquement par des scenarios de crise : crise de confiance vis-à-vis de la Banque Centrale, attaque massive de spéculateurs sur les primes de crédit de certains pays fragiles ou, le plus probable, une dépréciation de la devise lorsque les fondamentaux financiers et monétaires de la zone ne seront plus compensés par l’attrait de la sécurité pour les investisseurs internationaux et que ces derniers auront trouvé un « coffre-fort » moins cher et plus solide.

Pas d’inquiétude donc, les mouvements récents sur les taux ne dureront pas et ne créeront pas l’envolée des taux qu’on peut lire deci-delà… A moyen terme, chaque épisode de volatilité sur les taux européens est une opportunité de se positionner. Quant au long terme, il n’est pas le même en géopolitique qu’en finance…

Matthieu Bailly Février 2022

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