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Regard sur la dette souveraine : pourquoi la Chine ne peut sauver le monde

Selon Robin Parbrook, responsable des actions asiatiques hors Japon chez Schroders, alors que la Chine affronte ses propres problèmes d’endettement, les investisseurs doivent se préparer à de la volatilité sur le marché chinois mais aussi à des opportunités.

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Lorsque les dirigeants européens se sont tournés vers la Chine pour contribuer au financement du plan de sauvetage de la zone euro, nous avons assisté à un tournant décisif dans la politique internationale et à la confirmation d’un glissement du pouvoir économique de l’Occident vers l’Orient.

Si la Chine est l’un des seuls pays pourvus de réserves de change suffisantes pour aider la zone euro à sortir de la crise, la deuxième économie mondiale a son propre problème d’endettement et un certain nombre de « cadavres dans le placard » qui l’empêchent de pouvoir se prévaloir du titre de sauveur du monde. Observateur de l’économie chinoise depuis 20 ans, j’aime à qualifier son système financier de cinquième dimension. Le secteur est entouré d’un tel secret que personne ne connaît réellement l’état de santé des banques chinoises. Les analystes se sont en effet résolus à accepter que l’imagination occupe une place importante dans leur modèle de valorisations ! Loin de pouvoir sauver le monde, la Chine se trouve de fait à un carrefour économique et pourrait bien être poussée à démanteler un certain nombre de mécanismes qui l’ont menée dans un tel bourbier.

Les marchés se sont finalement réveillés à la lecture du rapport de l’agence Fitch sur les véhicules d’investissement des gouvernements locaux (LGIV). Sociétés d’investissement mises en place par les gouvernements locaux, ces dernières ne peuvent emprunter directement. Au plus fort de la crise du crédit, les banques chinoises ont été encouragées à octroyer des prêts à ces établissements, finançant ainsi le boom du secteur de la construction qui a laissé le pays jonché de ponts à demi construits, d’immeubles vides, d’un réseau ferroviaire détérioré et de parcelles de terrains abandonnées un peu partout. Et nombre de ces créances sont si douteuses qu’elles mettent en péril le bilan des banques.

Pékin a annoncé que le montant de la dette des LGIV s’élevait à 10 700 milliards de yuans (soit 1 600 milliards de dollars) fin 2010. Selon nos propres estimations, il serait plus élevé, mais le chiffre de 10 700 milliards de yuans constitue déjà un énorme poids à porter pour le secteur bancaire. Une intervention du gouvernement s’annonce inévitable. Parallèlement, le marché commence à réaliser l’ampleur de la part du crédit réalisé « hors bilan » en Chine.

Si nous restons prudents sur la Chine, nous restons constructifs sur des sociétés solides et faisant preuve de transparence, car les perspectives de croissance à long terme restent très positives
Robin Parbrook

Il apparaît très clairement que la moitié du crédit en Chine est réalisée hors bilan. Les causes de l’explosion de cette « finance grise » sont simples :
- quotas de prêts (sur le bilan) stricts
- taux de dépôts très négatifs
- très forte demande de crédit
- volonté du secteur bancaire d’accroître ses bénéfices (revenus des commissions) à tout prix
- et réglementation laxiste

Ceci constitue un environnement parfait pour le développement du crédit hors bilan.

Plus nous prenons connaissance des détails – ampleur des prêts, pratiques en cause et importance des emprunteurs finaux (sociétés immobilières, PME en difficulté à Wenzhou, etc.) – et plus la situation apparait préoccupante. En particulier, l’aspect frauduleux des pratiques des emprunteurs fait légion. Scandales financiers et malversations font la une de tous les médias locaux : on ne compte plus les cas d’entrepreneurs de Wenzhou s’évanouissant dans la nature après l’obtention de prêts. Viennent s’ajouter à cela les preuves de plus en plus concrètes de la défaillance des LGIV. Selon l’agence de presse Xinhua, 156 LGIV sur 184 dans la province de Liaoning en Chine du Sud sont défaillants en raison d’un manque de cash-flows.

Avec un taux de défaut de 80 %, le trou dans le système bancaire pourrait représenter 25 % du PIB. Des chiffres affolants, mais que la Chine, heureusement, peut se permettre d’enregistrer au vu de son faible ratio de dette/PIB et de l’étalement probable des pertes sur plusieurs années – indulgence et déni obligent !

Mais alors que les premières faillites immobilières apparaissent, le tableau n’est pas si noir. Les autorités chinoises semblent avoir pris conscience du problème, tout comme les marchés qui ont chuté de 30 % au troisième trimestre 2011. Selon nous, c’est un signe positif qui montre que le marché a mis le doigt sur le problème. Pour autant, il ne faut pas oublier que les dettes sont généralement tenaces et nous nous attendons à ce que la situation se détériore. L’immobilier chinois est particulièrement vulnérable à l’heure actuelle en raison d’un fort excès d’offre, d’un accès facile au marché et d’une spéculation rampante (le tableau 1 montre que les taux de dépôt négatifs et le contrôle des capitaux impliquent que l’immobilier constitue l’essentiel de l’épargne des classes moyennes chinoises).

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Tableau 1
L’offre immobilière en Chine dépasse désormais largement la demande

Nous sommes également très préoccupés par les cash-flows des entreprises. Il apparaît très clairement que les conditions de crédit n’ont pas été resserrées comme annoncé en Chine. Ce qui a fait exploser le prix du crédit sur les marchés souterrains a été l’extraordinaire demande de crédit, résultat du niveau très élevé des dépenses d’investissement des entreprises malgré la détérioration des cash-flows.

Il est évident que dans tous les segments – gouvernement (LGIV), entreprises publiques (l’un des principaux prêteurs dans le système bancaire « gris »), entreprises privées (fort levier, faible cash-flow), immobilier – le pays fait face à des problèmes d’endettement conséquents. Selon nous, la situation pourrait se dégrader assez rapidement dans les trois ou six mois à venir (comme toute crise financière tend à le faire). La chaîne du crédit hors bilan a effectivement tendance, une fois cassée, à déclencher des défauts en cascade.

Tout n’est pas noir pour autant en Chine. Les problèmes du secteur financier pourraient sonner le glas de l’ancien modèle de crédit quasi étatique et du système de quotas. Nous devrions aller progressivement vers des taux déterminés par le marché, comme résultante de la confrontation de l’offre et de la demande de crédit. Ce serait un énorme pas en avant dans le processus de rééquilibrage réclamé depuis un certain temps par le marché et cela pourrait faire passer la Chine d’une économie de l’investissement à une économie plus orientée vers la consommation.

Quoi qu’il arrive, l’évolution de la Chine sera passionnante pour les observateurs mais très éprouvante pour les investisseurs. Cette crise se terminera très probablement par une « destruction créatrice » (mettant à mal escrocs et privilégiés). Mais le progrès n’est pas inéluctable. Nous pourrions aussi assister au retour des politiques de 2008-2009 (un programme d’investissement dirigiste des banques) fortement préjudiciables pour le marché boursier chinois à long terme.

Prochaine étape pour les investisseurs ?

Selon nous, l’agitation actuelle autour des banques chinoises et du système financier nous offrira dans les mois à venir des opportunités d’achats à des niveaux de crise en Asie. Cependant, nous ne croyons pas que les problèmes actuels, aussi sérieux soient-ils, entraîneront une récession en Chine ou une véritable crise financière.

Par contre, cela modifiera certainement les secteurs dans lesquels nous souhaitons investir à l’avenir en Chine et plus largement en Asie. L’investissement a atteint son plus haut niveau en termes de pourcentage du PIB et va probablement ralentir fortement, voire se contracter. La flambée de la consommation du ciment illustre parfaitement la folie de la bulle d’investissement chinoise. Le taux par habitant de consommation de ciment n’a jamais augmenté de manière aussi rapide dans aucun autre pays et comme nous l’a montré l’Espagne, la tendance pourrait vite s’inverser lors d’un retournement de cycle. Compte tenu de la situation, nous évitons donc toutes les sociétés liées aux secteurs de la construction, de l’immobilier, des matériaux, des infrastructures et toutes les sociétés de la région fortement exposées à ces secteurs (secteurs industriels et cycliques coréens et taïwanais, de même que le secteur des matières premières).

Nous voyons également peu d’intérêt à acheter les titres dépréciés (bottom fishing) des sociétés immobilières chinoises. Les bilans du secteur sont très faibles et les pratiques comptables de nombreuses sociétés très discutables. Le secteur a toujours été opaque et nous estimons qu’il est plus avisé de suivre le sens commun. L’un des plus grands et influents conglomérats de Hong Kong nous a confié récemment n’être aucunement intéressé par l’achat de sociétés immobilières chinoises en faillite (ou par l’achat de leurs actifs) car les titres et pratiques sont douteux et la valeur réelle des actifs reste impossible à vérifier.

Au fur et à mesure que la crise se développe, les opportunités de renforcement de nos positions en Chine se multiplient. Après la récente baisse des marchés, nous avons déjà commencé à ré-initier des positions sur quelques sociétés de qualité liquidées lors du marché baissier du troisième trimestre. Nous nous sommes tout particulièrement intéressés aux sociétés du secteur de la consommation et de l’internet, mais nous continuons de penser qu’il est encore trop tôt et que les valorisations sont trop élevées.
Si nous restons prudents en Chine, nous continuons néanmoins de construire des positions sur des sociétés transparentes avec de solides réseaux, équipes de direction et historiques de performance solides car, malgré les problèmes qui se profilent, les perspectives de croissance à long terme de la Chine sont toujours grandes.

Robin Parbrook Novembre 2011

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