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Retour de la contrainte budgétaire ou abandon partiel du durcissement monétaire ?

Lors de la décennie 2010, les questions sur la soutenabilité de la dette publique ont souvent été écartées en raison de la faiblesse des taux d’intérêt, qui a parfois fait croire qu’il n’y avait pas de limite à l’endettement public. Mais la question va rapidement se poser, en raison de la forte...

Lors de la décennie 2010, les questions sur la soutenabilité de la dette publique ont souvent été écartées en raison de la faiblesse des taux d’intérêt, qui a parfois fait croire qu’il n’y avait pas de limite à l’endettement public. Mais la question va rapidement se poser, en raison de la forte hausse des taux d’intérêt en contexte de dette publique élevée. L’exemple récent du Royaume-Uni constitue un premier avertissement.

L’endettement public était bien plus faible lors de la « Grande inflation » des années 1970

Dans le sillage de la « Grande inflation » des années 1970, les banques centrales des principaux pays développés ont adopté des politiques monétaires restrictives (cela est souvent décrit comme le « choc Volcker », du nom de Paul Volcker, président de la Fed à partir de la fin des années 1970) et elles ont nettement relevé leurs taux directeurs. Ces derniers sont restés plus élevés qu’auparavant sur la décennie 1980, et ont baissé tendanciellement par la suite. Le fait que les taux d’intérêt soient devenus nettement supérieurs à la croissance du PIB (le premier fait grossir le numérateur du ratio dette-sur-PIB et le second le dénominateur) a contribué à l’augmentation de la dette publique sur les décennies 1980 et 1990. Ainsi, le ratio dette-sur-PIB des Etats-Unis est passé de 41% en 1980 à 62% en 1990 et il est par exemple passé de 45% à 74% au Canada.

La crise financière de 2008 a eu un impact économique considérable, qui a fortement creusé les déficits publics : en conséquence, le ratio dette-sur-PIB a fortement augmenté dans tous les pays développés. Mais ce ratio s’est stabilisé un peu partout durant la décennie 2010 (à l’exception notable de l’Allemagne où il a baissé, en bonne part en raison de l’austérité prônée par les gouvernements lors de cette période) car les banques centrales de ces pays ont gardé des taux directeurs aux alentours de zéro et ont mené pour certaines des politiques d’achats de titres, qui ont comprimé les taux d’intérêt de long terme. Le fait que les taux d’intérêt aient été proches de zéro alors que la croissance économique était non nulle a contribué à stabiliser les ratios de dette publique malgré les déficits.

En 2022, les banques centrales des pays du G7 (à l’exception remarquable du Japon) ont toutes relevé leurs taux directeurs, de façon plus ou moins forte, la Fed ayant été plus loin que les autres. Deux remarques s’imposent par rapport au choc Volcker de la fin des années 1970 :

  • Ce resserrement vigoureux de la politique monétaire intervient alors que le ratio dette-sur-PIB est au moins 2 fois plus élevé qu’en 1980 dans les pays développés (3 fois dans le cas des Etats-Unis et même plus de 5 fois dans le cas de la France). Selon les chiffres du FMI, il dépasse 125% aux Etats-Unis. La hausse des taux d’intérêt s’applique désormais à une quantité de dette publique bien plus importante.
  • Le passage à une période de taux d’intérêt élevés et de croissance plus faible (voire négative) marque une rupture avec la décennie 2010 où les taux d’intérêt étaient inférieurs à la croissance du PIB. Cela va contribuer à une hausse du ratio dette-sur-PIB.

L’exemple des Etats-Unis

Avec la hausse des taux de la Fed en 2022, le service de la dette publique fédérale des Etats-Unis a fortement augmenté et a atteint 465 Mds $ sur les 12 mois allant jusqu’à août 2022, ce qui représente environ 1,9% du PIB (au plus depuis la fin des années 1990).

Dans ses projections de juillet 2022, le CBO prévoyait un service de la dette publique fédérale qui remonterait progressivement à 3,3% du PIB en 2032, à cause d’un taux 3 mois vu un peu au-dessus de 2% et d’un taux 10 ans convergeant lentement vers 3,8% sur les prochaines années (hypothèse inférieure à 3% en 2023). Mais ces projections de taux d’intérêt étaient trop optimistes : en effet, le taux 3 mois est désormais proche de 3,30% et le taux 10 ans vers 4%.

Si l’on prend en compte le fait que 15% de la dette fédérale est constituée de T-bills et que les taux T-bills 6 mois sont actuellement vers 3,90% et les taux 12 mois vers 4,20%, il est très probable que les dépenses d’intérêt augmenteront très rapidement sur les prochains mois. En prolongeant les tendances des derniers mois, on pourrait imaginer que les dépenses d’intérêt atteignent assez facilement 3,5% du PIB en 2023, ce qui n’a jamais été vu après la seconde guerre mondiale. Surtout, cela pourrait arriver dès l’an prochain alors que le CBO n’anticipait pas cela avant 10 ans.

Durant les années 1990, une solution vis-à-vis du service de la dette élevée avait été… la constitution d’excédents budgétaires sous la présidence de Bill Clinton, qui avaient permis de faire baisser le ratio dette-sur-PIB. Le problème auquel fait face les Etats-Unis actuellement est que le CBO prévoit une lente augmentation des déficits publics sur les 10 ans à venir à cause du vieillissement de la population (d’environ 4% du PIB en 2023 à 6% en 2032). Une augmentation beaucoup plus rapide que prévu du service de la dette aggraverait fortement la trajectoire de dette publique.

Vers la dominance budgétaire ?

De manière plus générale, un resserrement monétaire rapide dans un contexte de dette publique déjà élevée et alors que les dépenses publiques sont amenées à grimper (politiques de soutien aux ménages et aux entreprises face à la hausse des prix de l’énergie, transition énergétique, vieillissement de la population, etc.) va fortement détériorer les trajectoires de dette publique dans les pays développés.

Cela va inéluctablement amener des débats sur « la dominance budgétaire » (fiscal dominance). Pour rappel, les économistes Thomas Sargent et Neil Wallace ont introduit en 1981 les notions de « dominance monétaire » et « dominance budgétaire ». On parle de « dominance monétaire » quand les autorités monétaires sont entièrement focalisées sur le contrôle de l’inflation, alors que les autorités fiscales doivent ajuster la politique budgétaire pour rester solvables. Et on parle de « dominance budgétaire » lorsque la politique monétaire est soumise à la contrainte de garder le gouvernement solvable, c’est-à-dire de garder des taux d’intérêt suffisamment bas pour que le gouvernement puisse se refinancer. La membre du Directoire de la BCE Isabel Schnabel a rappelé récemment que l’euro avait été créé avec le modèle de « dominance monétaire ».

Dans le contexte actuel d’inflation élevée, presque toutes les banques centrales des pays développés sont en train de remonter très fortement leurs taux directeurs. Dans le cas de la Fed, la hausse des taux directeurs est même tout simplement la plus rapide depuis celle qui avait eu lieu sous la présidence de Paul Volcker au début des années 1980. L’effet négatif sur l’activité que cela cause, couplé à l’effet récessif de la hausse du prix de l’énergie, produit une configuration rappelant la stagflation des années 1970/1980 et où les taux d’intérêt vont être nettement supérieurs à la croissance du PIB : cela va rapidement contribuer à la hausse du ratio dette-sur-PIB. Cela pourrait d’ailleurs s’installer dans la durée puisque certaines banques centrales ont fait savoir qu’elles comptaient garder des taux d’intérêt en territoire restrictif dans la durée (des membres du FOMC indiquent qu’il ne faut pas compter sur des baisses de taux directeurs en 2023).

Grossièrement, deux scénarios s’opposent :

  • Les banques centrales abandonnent tout ou partie de leurs politiques de resserrement monétaire à cause de la détérioration de la trajectoire de finances publiques.
  • Les banques centrales persistent dans la voie d’une politique restrictive, ce qui contraint les gouvernements à davantage de rigueur budgétaire.

Chaque contexte est spécifique mais l’exemple récent du Royaume-Uni montre que la dette publique élevée ne permet pas la coïncidence d’une politique monétaire restrictive et d’une politique budgétaire explicitement expansionniste… et qu’elle peut amener les banques centrales à revoir leurs programmes de durcissement monétaire (dans le cas de la BoE, report des ventes d’actifs et retour temporaire d’achats de titres).

Lors de la décennie 2010, les questions sur la soutenabilité de la dette publique ont souvent été écartées en raison de la faiblesse des taux d’intérêt, qui a parfois fait croire qu’il n’y avait pas de limite à l’endettement public : les taux d’intérêt étaient effectivement inférieurs aux taux de croissance de l’économie, ce qui contribuait à la stabilisation du ratio dette-sur-PIB. Le fait que les taux d’intérêt aient été relevés alors que l’activité stagne, voire se contracte, est très défavorable pour la trajectoire de ratio dette-sur-PIB. On pourrait schématiser la situation par l’alternative : retour de la contrainte budgétaire ou abandon (partiel ?) du durcissement monétaire ? L’exemple récent du Royaume-Uni constitue un premier avertissement et a montré qu’il était bien plus compliqué désormais d’opter pour des politiques non-financées dans un contexte de dette élevée et de resserrement monétaire rapide. Ce type de questionnements devrait être de plus en plus prégnant dans les mois à venir, lorsque les nouvelles trajectoires de dette publique publiées seront nettement plus défavorables.

Le besoin existentiel de lutter contre le changement climatique couplé aux autres grands défis tels que le vieillissement de la population impliquera probablement que les banques centrales devront se montrer moins offensives sur le long terme et accepter un régime d’inflation plus élevé et volatil. Un questionnement sur le relèvement de la cible d’inflation des banques centrales des pays développés pourrait également voir le jour.

Bastien Drut Octobre 2022

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