Après plusieurs semaines de négociations, le directeur général de l’assureur britannique Prudential connaît son premier revers d’ampleur, en échouant à convaincre les actionnaires de payer 35,5 milliards de dollars pour American International Assurance (AIA), qui constitue la branche asiatique de l’Américain AIG. Tidjane Thiam, qui est en place depuis six mois seulement, a perdu le combat contre un investisseur qui ne possède que 0,2% des actions, Robin Geffen, fondateur et directeur du hedge fund Neptune Investment Management.
Ce dernier a créé un groupe de contestation qui avait presque rassemblé les 25% d’actionnaires nécessaires pour un rejet de l’accord, lors de l’Assemblée générale qui s’est tenue ce lundi à Londres. Le vote sur l’accord n’a même pas eu lieu, la direction de Prudential ayant retiré son offre en fin de semaine dernière, après que AIG eut refusé de renégocier le prix à la baisse (30,4 milliards de dollars, soit 5 de moins que dans l’offre initiale). C’est la première fois dans l’histoire de la City qu’une négociation d’une telle ampleur et aussi avancée échoue au dernier moment. Facture pour Prudential : 450 millions de livres.
Robin Geffen ne s’est même pas déplacé à l’AG. « Je ne me vois pas comme un agitateur de la City », explique-t-il. Je pense simplement qu’un grand nombre de sociétés aiment délibérer calmement et voter de façon conformiste ; l’idée que les débats soient publics ne fait pas partie de la tradition. Une grande partie des investisseurs de Pru n’avaient pas la possibilité de faire entendre leur voix pour s’opposer à l’accord. J’ai simplement fait fonction de paratonnerre. »
Il s’agit du principal succès médiatique de cet homme de 53 ans, qui était déjà monté au créneau récemment pour dénoncer le rachat du confiseur britannique Cadbury par l’Américain Kraft. Une démarche appréciée par le plus grand nombre, mais qui a finalement échoué. Il y a quatre ans, il s’était aussi opposé au rachat du groupe de prêt-à-porter House of Fraser par l’Islandais Baugur, au motif que ce dernier avait déjà acquis à prix bas le concurrent Debenhams deux ans plutôt, avant de lui faire porter de lourdes dettes et le réintroduire en bourse à un prix plus élevé. Baugur a bien réussi à acquérir House of Fraser à un prix dérisoire, mais ne l’a finalement pas réintroduit en bourse... et s’est écroulé trois ans plus tard dans la foulée de la crise.
Au-delà de ces coups d’éclat médiatique, Robin Geffen est surtout réputé dans la City pour être le directeur de l’un des fonds les plus performants de la décennie. Fondateur de NIM en 2002 avec ses fonds propres, il continue de diriger neuf des vingt-huit fonds qui en font partie. La plupart ont surperformé leurs secteurs respectifs sur des périodes d’1, 3 et 5 ans.
Les stratégies d’investissement menées par Neptune, sous l’impulsion de Geffen, sont assez particulières : elles consistent à sortir de l’analyse unique pour épouser un spectre plus large de données, en top down, sur une base plus macro-économique que d’ordinaire, en s’appuyant sur les titres les plus performants.
Les performances de Geffen par rapport au Peer Group Composite parlent d’elles-mêmes. 1 an : 24,7% pour Geffen, contre 20,8% pour le PGC ; 3 ans : 6% contre -6,3 ; 5 ans : 86,1% contre 34,2% ; 7 ans : 166,4% contre 75,2 ; 9 ans : 120,3% contre 36,5%. « Nous avons doublé notre volume d’actifs chaque année jusqu’à la crise, où nous n’avons progressé que de 20% dans la pire configuration de marché depuis 1974 », expliquait-il récemment dans le Financial Times.
Neptune, qui est en private equity, est propriété de ses employés et directeurs à 75%. Neptune a été récompensé l’année dernière par Investment Week Fund Manager of the Year Awards 2009. Le fonds est présent sur les marchés développés, les global funds, les fonds britanniques, l’investissement en multi-gestion et les marchés émergents.
Robin Geffen profite d’une expérience de trente ans. Parcours assez inhabituel, puisqu’il a d’abord été diplômé en philosophie, avant de rejoindre Oxford et de commencer en 1979 une carrière dans la finance à Charterhouse J Rothschild. Il a ensuite rejoint Eagle Star, d’abord au desk européen, puis Asie-Pacifique. Puis Senior Investment Manager à York Trust, avant de lancer le premier fonds de pension britannique sur les marchés émergents à Scottish Equitable. Et enfin Orbitex Investments Limited, en tant que directeur d’investissement.
Il est plutôt « hors milieu » puisque sa firme vit à l’écart de la bouillonnante City, et s’est installée dans les quartiers calmes et cossus d’Hammersmith, à l’ouest de Londres. Le surnom qui est lui souvent accolé est celui d’Anthony Bolton, l’un des gérants de fonds les plus performants de la City.