La visibilité sur cette sortie de crise est encore assez faible, ce qui entretient une volatilité élevée. Comme à chaque grande crise il y a, et il y aura, des opportunités d’investissement, et nous nous posons également la question de « l’après ». L’émotion qui affleure souvent dans ces moments difficiles engendre parfois des sentiments excessifs. Il convient de s’en méfier : combien de fois avons-nous entendu « cette fois, c’est différent » ! Pourtant, il nous semble que le monde « post Coronavirus » verra émerger quelques thèmes majeurs…
La vitesse des marchés est actuellement très impressionnante : l’indice phare des actions américaines, le S&P 500, vient d’enregistrer sa meilleure semaine depuis près de 45 ans avec un gain de +12 %. Cela fait suite à une première baisse de près de -35 % en moins de 5 semaines. Les actions américaines ont ainsi regagné près de +25 % depuis les plus bas du mois de mars, effaçant ainsi la moitié des pertes initiales. Le cheminement des actions européennes a été pratiquement similaire.
Nous avons déjà fait part de notre analyse. La soudaineté de ces mouvements s’explique, dans un premier temps, par la stupéfaction des investisseurs face à l’arrêt brutal des économies lié au confinement généralisé des populations ; dans un second temps, le rebond est lié à la rapidité et l’ampleur des mesures prises par les Banques Centrales et les gouvernements.
Nous pensons qu’une phase plus incertaine et moins linéaire va s’ouvrir à court terme et qu’il est aussi temps d’essayer de penser à l’après-crise.
À court terme, les marchés évolueront au gré des annonces macro et micro-économiques qui sont désormais diffusées en nombre. Sur le plan économique, les statistiques sont chaque jour un peu plus impressionnantes : des contractions comprises entre 5 % et 10 % des PIB des grandes économies développées sont désormais annoncées. En revanche, il n’y a pas d’unanimité sur les scénarios de sortie, en « V », « U », « L »… Les avis entre stratèges diffèrent de plus en plus, ce qui devrait de ce fait alimenter une phase de marché plus heurtée. Par exemple, la banque américaine Goldman Sachs vient de revoir son scénario et pense désormais que le point bas des marchés a déjà été atteint. Elle envisage un S&P 500 à 3 000 points en fin d’année sous l’effet de la baisse des taux et des plans de relance qui vont stimuler l’économie alors que le pic de l’épidémie va bientôt être atteint. D’autres pensent, au contraire, que cette crise aura un impact durable et marqué, et que les conséquences sur les bénéfices des entreprises n’ont pas encore été totalement intégrées. La saison des publications des résultats des entreprises va s’ouvrir cette semaine aux États-Unis. Il sera intéressant d’écouter les perspectives données par les chefs d’entreprises (s’il y en a !). Nous estimons pour notre part que les impacts sur les résultats des entreprises seront très importants, c’est la raison pour laquelle nous sommes prudents sur les actions à court terme, avec une appréciation « neutre ». En effet, avec des récessions de cette ampleur, nous pensons que les bénéfices en masse des entreprises peuvent baisser de l’ordre de 30 % à 40 %, mais surtout, avec peu de visibilité sur les perspectives 2021 et un retour à des « bénéfices normaux »… En admettant que l’on y revienne assez rapidement, le PER [1] des actions américaines serait alors de 16, celui des actions européennes de 13, ce qui n’est pas donné compte tenu de cette hypothèse aléatoire, surtout avec des dividendes qui seront globalement coupés de moitié cette année. Nous pensons qu’à court terme, il vaut mieux tirer parti du manque de liquidités pour investir en obligations crédit « Investment Grade » et « High Yield » qui ont été fortement pénalisées par les conditions de marchés récentes et qui offrent des rendements attractifs.
À plus long terme, il nous semble intéressant de commencer à envisager l’après-crise. La crise que nous traversons a en effet mis en évidence un certain nombre de fragilités dans les pays occidentaux qui entraîneront des réponses et des mutations inéluctables. Mais nous ne nous inscrivons pas dans une démarche où tout doit être remis en cause comme certains tentent de le distiller. La mondialisation a permis au monde de prospérer depuis près de 30 ans, dans une relative paix (comparée aux époques précédentes) et a permis à une grande partie de la population mondiale de sortir de la pauvreté. Nous pensons donc qu’il convient d’être prudent avec quelques tentations de retour à des concepts de nationalisation, planification centralisée…
De façon plus pragmatique, force est de constater que cette pandémie a provoqué des dégâts économiques très importants.
Cela va donc modifier encore davantage le comportement des gouvernements, des consommateurs et des entreprises.
Les gouvernements, dans leur grande majorité, ont abandonné les questions d’orthodoxie budgétaire, et probablement pour longtemps. C’est vrai aux États-Unis, mais le pays bénéficie de l’opportunité de se refinancer dans la plus grande monnaie de réserve internationale. La zone Euro est - quant à elle - en voie d’une sorte de « japonisation », avec une démographie vieillissante et des dettes croissantes achetées par la Banque Centrale. Mais un fossé idéologique se creuse peu à peu entre les pays du Nord et ceux du Sud. Malgré un plan de soutien budgétaire global trouvé, cette fracture est loin d’être résorbée et fera probablement de nouveau surface une fois l’épidémie calmée. La solidité de la zone Euro sera donc sûrement testée à nouveau par les marchés, surtout si certains pays de la zone voient leur notation encore dégradée par les agences de rating. Au-delà, la signification de ces dettes souveraines achetées par la Banque Centrale pose une question de sens et de limites : quelle valeur accorder à une monnaie assise sur des pays très endettés ? Pourquoi ne pas envisager des formes de revenus universels accordés aux citoyens ? Aujourd’hui, comme tous les pays adoptent les mêmes politiques de déficit, les monnaies sont relativement stables les unes par rapport aux autres, mais ne vaut-il pas mieux investir dans des biens réels, dont l’or ?
Concernant les consommateurs et les entreprises, les investisseurs ont déjà noté un certain nombre de thèmes qui émergeront ou prendront encore plus d’essor.
La thématique de la relocalisation. Elle avait déjà commencé avec la guerre commerciale. La crise actuelle a montré une trop grande dépendance de nos économies aux sous-traitants internationaux. Il y aura donc une réflexion sur ce sujet en ce qui concerne les points essentiels de la sécurité nationale de chaque pays : le secteur de la santé bien sûr, l’approvisionnement alimentaire, et également l’énergie et le militaire potentiellement…
Autre bénéficiaire de cette crise, le monde « online ». Les infrastructures réseaux, la cybersécurité, la communication pour le télétravail et les téléconférences, le développement de la 5G... vont s’accélérer avec la multiplication probable du télétravail. En contrepartie, l’immobilier commercial pourrait pâtir d’une réorganisation du travail dans le tertiaire.
La thématique de l’ESG (Environnement, Social, Gouvernance) va également sortir renforcée de cet épisode. Elle était déjà en voie de démontrer sa pertinence, mais les entreprises qui se seront montrées les plus vertueuses dans le contexte difficile de crise actuelle seront favorisées par les investisseurs.
Voici les principaux thèmes potentiels, il y en a bien d’autres. Il conviendra d’étudier dans les prochaines semaines dans quelle mesure il pourrait y avoir des opportunités d’investissement, pour quelles conséquences, tout en gardant à l’esprit que ces mutations potentielles se feront sur une période assez longue.