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Smart ne rime pas toujours avec intelligence

Le bêta peut-il devenir plus intelligent ? William Sharpe, Prix Nobel d’Economie, a introduit les notions de “bêta” et d’“alpha” il y a des dizaines d’années. En termes simples, le bêta est la mesure de la sensibilité d’un portefeuille par rapport au marché. Il est donc difficile d’imaginer comment une telle mesure peut devenir plus « intelligente »...

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L’efficacité des portefeuilles capi-pondérés est remise en cause depuis plusieurs années par les universitaires, les investisseurs, les consultants, les gérants de fonds et autres acteurs. Tout récemment, les discussions se sont tournées vers une nouvelle gamme de solutions d’investissement désignées collectivement sous l’appellation « smart beta ». Ces portefeuilles, qui pondèrent les valeurs selon des facteurs tels que la taille, la valorisation, le momentum ou la volatilité, sont souvent perçus comme plus efficients que les indices capi-pondérés. De plus, ces portefeuilles « smart beta » peuvent être construits sur la base de méthodologies simples et systématiques, à un coût réduit – l’une de leurs caractéristiques clés. Mais les risques inhérents à ces stratégies sont souvent sous-estimés, tout comme le sont les mauvaises surprises liées à une implémentation naïve et simpliste des stratégies.

Le bêta peut-il devenir plus intelligent ?

William Sharpe, Prix Nobel d’Economie, a introduit les notions de “bêta” et d’“alpha” il y a des dizaines d’années. En termes simples, le bêta est la mesure de la sensibilité d’un portefeuille par rapport au marché. Il est donc difficile d’imaginer comment une telle mesure peut devenir plus « intelligente ».

En réalité il n’y a qu’un seul bêta. Mais il existe de multiples méthodologies de construction de portefeuille dont les fondements se situent entre la définition classique de l’alpha et du bêta proposée par Sharpe, et le Capital Asset Pricing Model (CAPM). Le débat sémantique autour du terme « smart » n’est pas l’objet de cet article, mais nous aborderons certaines alternatives courantes qui sont actuellement débattues au sein du secteur. Surtout, il nous semble plus important d’identifier les risques et les pièges associés à ces portefeuilles, que de savoir lesquels affichent le bêta le plus intelligent.

De quoi s’agit-il ?

Selon les dernières estimations du secteur, plus de 6 billions de dollars d’encours institutionnels devraient entrer dans cette catégorie d’ici les 5 prochaines années [1]. Quel que soit le nom donné au type de gestion (smart bêta, portefeuilles systématiques, bêta scientifique, bêta alternatif, bêta prime, etc…) les investisseurs institutionnels ont compris l’intérêt que représentent les mécanismes de pondérations autres que la capi-pondération. Cette évolution n’a rien de surprenant. Intuitivement, la plupart des investisseurs savent que construire un portefeuille autour d’un indice capi-pondéré est peu optimal. Le fait d’allouer des poids aux valeurs en fonction de leur taille est source de plusieurs désavantages (qui ont fait l’objet de nombreuses publications), entre autres, celui de créer une concentration dans les plus grosses capitalisations du marché.

Un des facteurs qui est moins bien compris est que l’indexation capi-pondérée fait perdre une prime de rendement potentielle liée au rebalancement - un élément qui sera examiné en détail dans la troisième partie de cette Série. Soutenue par de nombreuses études universitaires, cette réalisation a incité un nombre croissant d’investisseurs à rechercher des approches alternatives à la capi-pondération - des solutions souvent étiquetées « smart bêta ».

En règle générale, les classifications « smart bêta » se répartissent en trois catégories distinctes :

  • Portefeuilles construits en fonction de facteurs (taille, valorisation, momentum)
  • Portefeuilles pondérés selon les fondamentaux
  • Portefeuilles à faible volatilité / minimum variance

Les investisseurs qui adhèrent à ces approches estiment qu’en biaisant le portefeuille vers certaines caractéristiques, ils pourront générer une prime de risque et donc des performances supérieures. Par conséquent, chacune de ces approches comporte des risques potentiels qui doivent être identifiés et pris en compte.

Les investisseurs institutionnels ont compris l’intérêt que représentent les mécanismes de pondérations autres que la capi-pondération

1. Indices factoriels

Comme leur nom l’indique, ces indices offrent une exposition systématique à certains facteurs de risque – le plus souvent la taille, la valorisation et le momentum – dans le but d’obtenir des performances supérieures à celles que peuvent engendrer la capi-pondération.

Le Facteur Taille

L’idée selon laquelle les petites capitalisations génèrent des performances supérieures aux grandes capitalisations à long terme est largement répandue. Pour exploiter ce principe, l’indice le plus simple est le portefeuille équi-pondéré, qui alloue le même pourcentage à chaque titre quel que soit son niveau de capitalisation boursière. Sans surprise, les allocations aux large caps sont considérablement plus faibles, tandis que la part des small caps se voit renforcée par rapport à un indice capi-pondéré. En général, les investisseurs qui souscrivent à la gestion équi-pondérée cherchent consciemment à bénéficier de la prime associée avec les entreprises de petite taille. Malheureusement, les allocations small caps peuvent créer des problèmes de liquidité et des contraintes de capacité, et donc générer des difficultés et des coûts supplémentaires. De plus, ce type de gestion peut faire subir au portefeuille un risque de sous-performance important à long-terme durant les périodes, parfois longues, durant lesquelles les valeurs large caps surperforment les plus petites capitalisations.

Le Facteur Valorisation

Une notion similaire concerne la surperformance à long-terme des valeurs affichant une faible valorisation de marché par rapport à leurs fondamentaux. En effet, un des effets pervers des indices capi-pondérés est leur concentration dans des titres survalorisés situés dans le haut des fourchettes de capitalisation. Puisque l’indice capi-pondéré alloue les pondérations en fonction de la taille de la société et non sur la valeur intrinsèque des titres sous-jacents, les plus grandes entreprises ont tendance à être survalorisées.

Ainsi, une solution « smart beta » serait d’exploiter ce biais en créant un portefeuille clairement orienté vers la valeur d’une entreprise, privilégiant les données de valorisation de chaque titre (par exemple Price/book ou PER). Mais si la prime de valorisation a été identifiée comme une source potentielle d’optimisation des rendements sur plusieurs années, elle n’est pas sans risques. La valorisation de certaines entreprises peut être faible pour des raisons valables, notamment la faiblesse ou la détérioration de fondamentaux, sans perspectives d’amélioration. Un biais systématique vers les titres faiblement valorisés peut créer une surexposition aux entreprises en difficulté. De plus, de nombreuses études ont montré qu’historiquement, les actions de style « value » ont connu de longues périodes de sous-performance par rapport aux titres de croissance, notamment durant les bulles spéculatives. Les portefeuilles au biais « value » sont donc susceptibles de connaitre des périodes prolongées de sous-performance durant ces périodes. Nous examinerons plus en détail la prime de valorisation lorsque nous nous intéresserons aux indices fondamentaux dans le chapitre suivant.

Le Facteur Momentum

La troisième notion consiste à croire que les valeurs ayant surperformé dans le passé proche (par exemple lors des 12 derniers mois) continueront de le faire. En d’autres mots, les bonnes performances ont tendance à se maintenir. Ce momentum des performances est un des facteurs ciblés par certaines stratégies de smart beta. Bien que ces stratégies soient moins communes, elles servent d’outil de diversification pour certains investisseurs. En effet, elles affichent de belles performances lorsque la taille, la valorisation et la faible volatilité sous-performent. Nonobstant les corrélations positives et malgré des performances impressionnantes sur le long-terme, ces stratégies ont également connu des périodes plus courtes de sous-performance sévère en phase de correction des marchés (par exemple éclatement de la bulle sur les TMT, crise financière). Les indices de momentum sont également associés à une forte rotation. Par définition, ces indices sont considérés comme plus risqués et ne sont pas des solutions appropriées pour les investisseurs cherchant à gérer la volatilité de leurs provisionnements.

Tout comme le « smart beta » n’est pas toujours intelligent… ces indices ne sont ni réellement du bêta, ni réellement passifs.

2. Les Indices Fondamentaux Cette catégorie générique d’indices permet de regrouper les portefeuilles construits de manière systématique en fonction de différentes données fondamentales. Dans le cadre de cette approche, le portefeuille est construit en comparant et en pondérant les données comptables fondamentales (CA, bénéfices, valeur comptable, dividendes, cashflow) pour créer un portefeuille qui diffère de l’indice capi-pondéré. Sans surprise, en pondérant des titres pour refléter leur valeur intrinsèque de la société, plutôt que sa valorisation de marché, le portefeuille affiche clairement un biais « value ». A ce titre, le succès de cette stratégie dépend de l’existence – et de la correcte exploitation - de la prime de valorisation mentionnée ci-dessus. Un autre effet secondaire lié à cette méthodologie est la sous-pondération des plus grandes valeurs, souvent les plus surévaluées. Par conséquent, la plupart des portefeuilles pondérés selon les fondamentaux sont également exposés au facteur « taille ». En raison de l’exposition des portefeuilles à ces deux facteurs de risque, il est clair que certaines périodes seront défavorables et que les fonds pourront connaître de longues périodes de sous-performance relative par rapport aux indices capi-pondérés. Contrairement aux fonds purement « value », qui suivent activement les fondamentaux des titres cibles ou détenus en portefeuille, ces indices sont très diversifiés (souvent composés de plus de 1000 valeurs sous-jacentes). Paradoxalement, cette diversification peut potentiellement réduire l’impact de la prime de valorisation, car le portefeuille détient des titres auxquels il ne s’intéressait pas autrement en raison de leur valeur intrinsèque faible, voire nulle.

3. Indices de faible volatilité ou de « minimum variance »

Il y a plusieurs dizaines d’années, des chercheurs universitaires ont apporté la preuve empirique que dans la durée, les portefeuilles actions moins volatiles surperforment les fonds plus volatiles. Au regard de la faiblesse des performances des actions et de leur forte volatilité au cours des quinze dernières années, l’intérêt porté à ce phénomène s’est considérablement accru. Cette observation a renforcé la notion, largement répandue chez les investisseurs, que les titres les moins volatiles doivent par nature générer des performances moyennes supérieures à celles des titres plus volatiles. Depuis quelques années, ce principe est connu sous le nom « d’anomalie de faible volatilité » - anomalie puisque la théorie financière voudrait que les actifs risqués génèrent des performances supérieures, et non inférieures, aux actifs moins risqués. De multiples solutions d’investissement « smart bêta » ont vu le jour afin d’offrir une exposition à cette anomalie.

Plusieurs approches peuvent être employées pour obtenir les caractéristiques de faible volatilité souhaitées pour le portefeuille. L’approche la plus simple est celle qui consiste à sélectionner un nombre de valeurs parmi les moins volatiles au sein de l’univers d’investissement sur la base d’historiques récents, et de réaliser l’allocation de manière inversement proportionnelle à leur volatilité. D’autres approches plus sophistiquées prennent également en compte les corrélations (une composante clé de la volatilité de portefeuille), ainsi que les volatilités, et emploient des techniques d’optimisation au niveau de la construction du portefeuille pour arriver au résultat voulu. Pour prétendre au statut d’indice, de nombreuses approches limitent artificiellement la rotation des portefeuilles, réduisant ainsi le potentiel de réduction de la volatilité. En règle générale, celles qui ont recours à l’optimisation utilisent des techniques développées en interne et des estimations de risques.

A ce titre, la transparence vis-à-vis du portefeuille est limitée et le « statut d’indice » de ces approches est discutable.

En réalité, l’inclusion des portefeuilles à faible volatilité dans la catégorie « smart beta » est tout à fait contestable, d’autant que ces solutions d’investissement ont tendance à générer des bêtas traditionnels largement en-dessous de 1.

Les caractéristiques de performance qui en résultent peuvent être très différentes de celles des indices capi-pondérés et s’accompagner de sur ou sous-performances potentielles très importantes par rapport à ces mêmes indices à court ou moyen terme, notamment durant des périodes de mouvements extrêmes sur les marchés.

Le Smart Beta n’est ni intelligent, ni passif

Ce tour d’horizon a montré qui si les produits « smart beta » en vogue prétendent – et semblent – surperformer dans la durée, tous sont exposés, à différents degrés, à des risques qui peuvent générer des écarts de performances importants à court-moyen terme par rapport à un indice capi-pondéré. Certains puristes du « smart beta »vont répondre qu’il est n’est pas correct de mesurer les performances de ces produits par rapport à un indice capi-pondéré, puisque ces approches représentent en elles-mêmes un nouveau benchmark. Mais pour de nombreux investisseurs, cette argumentation va trop loin. L’indice capi-pondéré, du moins dans le contexte d’un indicateur de référence officiel servant à mesurer la performance, reste ancré dans les mentalités des investisseurs institutionnels. Il est primordial pour un investisseur de bien appréhender les risques intrinsèques à chacun de ces indices. Mais surtout, les gérants d’actifs doivent clairement identifier, et savoir gérer, les techniques de réduction de risque mises en oeuvre pour le compte de leurs clients. Or la majorité des gérants de stratégies « smart beta » ne contrôlent pas les risques relatifs à un indice capi-pondéré, ce qui permettrait de limiter le potentiel de sous-performance lorsque le facteur de risque auquel le fonds est exposé perd temporairement de son intérêt.

Nous devons également nous pencher sur l’une des erreurs les plus répandues concernant ces indices : qu’ils sont passifs. Tout comme le « smart beta » n’est pas toujours aussi « smart », et n’est pas une panacée, ces indices ne sont ni réellement du bêta, ni réellement passifs. Un indice capi-pondéré (le bêta traditionnel) représente la seule stratégie réellement passive, buy-and-hold. Comme nous l’avons noté pour chacune des catégories citées plus haut, le succès de ces stratégies nécessite de pouvoir identifier et exploiter systématiquement un facteur fondamental ciblé. Or ceci ne peut être réalisé qu’à travers une négociation active sur les marchés. Sans ce trading actif, l’efficacité et donc l’impact de ces indices est réduit. Dans la durée, sans le maintien systématique des biais factoriels par des opérations en bourse, l’objectif cible est raté et/ou éliminé lorsque le portefeuille évolue naturellement (« style drift ») en raison des mouvements du marché.

Sans surprise, chaque gérant de « smart beta » a sa propre interprétation concernant le trading. Le timing et la fréquence des transactions varient selon la stratégie car les gérants cherchent à trouver un équilibre entre la capture de la prime factorielle et l’effet négatif lié à des frais de transaction excessifs. Chaque gérant doit être en mesure de formuler clairement sa stratégie de trading (timing, fréquence etc), de mesurer avec précision et de suivre l’impact des frais de transaction. Que la gestion emploie des algorithmes développés en interne ou non, la pression accrue sur les investisseurs institutionnels à la recherche de stratégies plus efficientes et plus économiques nécessite plus de transparence et d’efficacité au niveau des frais de transaction. Si cela peut créer des difficultés pour certains, il s’agit en revanche ici d’une action réellement « intelligente ».

La plupart des stratégies « smart beta » se situent sur une échelle de passivité allant de stratégies fondées sur des règles très strictes et transparentes à des gestions optimisées et nécessitant un degré important d’intervention. Les premières peuvent davantage prétendre au statut d’indice, mais leur transparence les laisse vulnérables à l’exploitation et aux pratiques de « front running » autour de leurs points de reconstitution systématique. Une situation qui peut se révéler problématique si les stratégies deviennent populaires et attirent des volumes d’encours importants – car ces approches ont des contraintes de capacité. Les stratégies optimisées sont parfois moins transparentes et donc moins exposées à ces dangers (qui existent néanmoins). Mais le recours par les investisseurs (voire même par les gérants) à ces stratégies en qualité d’indices nous semble encore plus discutable, si effectivement ils sont basés sur des techniques d’optimisation développées en interne, et donc par définition opaques.

Conclusion

Le phénomène « smart beta » est bien réel et devrait continuer à prendre de l’ampleur au cours des prochaines années. Si la croissance tendancielle est bien avérée, la création d’un bêta encore plus « smart » ne semble pas être à l’ordre du jour. Changer l’appellation d’une méthodologie, souvent au nom de l’innovation en matière de gestion, ne change pas le fait que ces solutions restent fondées sur des facteurs fondamentaux historiques. Sans surprise, la majorité des administrateurs de fonds de pension continuent de privilégier les indices capi-pondérés pour mesurer la performance de leurs gérants, même s’ils ont choisi de souscrire à une alternative « smart beta ». Pourquoi ? Parce qu’il n’y a qu’un seul vrai bêta.

Dans ce contexte, le troisième et dernier article de cette série s’intéressera au moteur de performance sous-jacent commun aux principales stratégies de « smart beta » et introduira la notion de « smart alpha », une stratégie conçue dans l’optique d’exploiter ce phénomène.

John F. Brown Décembre 2014

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Notes

[1] Financial Times, September 6, 2013

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