Le leadership mondial de Société Générale en matière de Dérivés Actions : La Société Générale est reconnue comme le leader mondial en dérivés actions. Comment expliquer votre avance sur les grandes banques anglo-saxonnes ?
Le 1er DEA de maths financières a été lancé en France par Mme Nicole El Karoui dans les années 90. La plupart des ingénieurs financiers ou des universitaires sont passés par là pour être formés à la modélisation quelque soit le type de sous-jacent. Nicole El Karoui a œuvré pour rendre cette formation possible faisant ainsi de la France un pays précurseur. Il est vrai que Fisher Black & Myron Scholes, inventeurs du modèle de « Black & Scholes » ne sont pas français, cependant l’utilisation de leurs travaux est restée dans le domaine théorique. Quand on voit les compétences techniques et le background nécessaire pour appréhender les dérivés, on se dit que cette formation française était plus que nécessaire. Elle a d’ailleurs créé un véritable déclic et a fait des émules (DEA de maths-fi de Dauphine, de Paris VII, etc..). L’engouement pour ces formations est intervenu de façon extrêmement rapide.
Le business des dérivés est resté très français pendant longtemps. C’est un domaine dans lequel les ingénieurs formés en France sont massivement présents dans les salles de marchés des meilleures banques anglo-saxonnes.
C'est chez SGCIB, au sein du département Dérivés Actions qu'a été créée la première équipe d'ingénierie à part entière!Sofiene Haj Taieb
Plus concrètement, si l’on prend l’exemple des équipes d’ingénierie : ce sont des spécialistes dans la recherche de solutions sur-mesure pour les clients dans le domaine de l’optimisation financière, fiscale, comptable, d’investissement, de couverture d’actifs passif... C’est chez Société Générale Corporate & Investment Banking, au sein du département Dérivés Actions qu’a été créée la première équipe d’ingénierie à part entière. Elle est au service des clients et fait le lien entre le client et le marché d’une part et la vente et le trading d’autre part.
Suffirait-il aux autres banques de multiplier les recrues parmi les meilleures écoles françaises pour reproduire le modèle de la Société Générale ? Quelles sont selon vous les barrières à l’entrée sur les activités des dérivés actions ?
Non pas du tout, certains de nos concurrents ont essayé de gagner des parts de marché sur le segment des dérivés actions. Malgré leurs efforts de recrutement actif, ils n’y sont pas arrivés, ou partiellement. L’essentiel, c’est d’acquérir une culture « dérivés » et acquérir une culture, ça prend du temps. Nous n’avons jamais pratiqué de « stop and go » sur les dérivés, nous ne nous sommes jamais arrêtés. Un arrêt, même bref, est extrêmement pénalisant pour une activité, en particulier sur nos marchés. Cette grande expérience ininterrompue nous permet de mieux résister aux mouvements de marché.
Par ailleurs, je pense que nous avons également eu un peu de chance en décidant de rester à Paris. Généralement les gens s’y établissent, contrairement à Londres où le turnover est beaucoup plus rapide car culturel. Pour développer une activité qui nécessite beaucoup de liens entre la vente, l’ingénierie et le trading, il faut asseoir une crédibilité et des compétences, ce qui prend du temps. Beaucoup de professionnels qui sont encore là, ont été recrutés dans les années 90. C’est une de nos forces : ce sont des « jeunes-vieux » qui connaissent les systèmes, les activités, les risques marché et qui connaissent bien nos clients.
L’’innovation à la Société Générale (La banque a notamment été l’une des premières à lancer il y a quelques années, des produits tels que les Mountain Range options, les Timer Options, les Variance et Correlation swaps) : Quels en sont les moteurs ? Besoins de vos clients ? Amélioration de vos marges ?
Il y a deux points de vue, celui du « corporate » et celui du « marché ». Du point de vue du « corporate », il faut s’adapter, c’est une question de survie. Du point de vue du marché, il faut savoir regarder en arrière et tirer des leçons du passé. Ces quinze dernières années, le marché a évolué plusieurs fois. Toutes ces périodes étaient reflétées dans nos paramètres et nos prix de marché. A titre d’exemple : en 1995, les marchés étaient moroses, et la volatilité était très faible. Nous vendions des produits à capitaux garantis pour des réseaux de distribution. Société Générale était la première banque à avoir lancés des produits indexés sur les indices majeurs de l’époque, par lesquels et grâce à la volatilité très faible, nous pouvions offrir jusqu’à 150% d’indexation.
Société Générale était la première banque à avoir lancés des produits indexés sur les indices majeurs de l'époque!Sofiene Haj Taieb
LTCM en 1997, puis la crise des pays émergents en 1998 ont poussé la volatilité vers des sommets. La volatilité 5 ans atteignait 42%, ce qui est énorme, du jamais vu. Ainsi, l’indexation des produits à capitaux garantis est passée de 150% à 40%. Il y a donc eu une réflexion afin de trouver le produit le mieux adapté pour sortir de cette ornière. D’où l’apparition des « Mountain Range » qui avaient plutôt une sensibilité inverse à la volatilité. On faisait donc profiter au client de la vente de la volatilité sur des produits garantis en capital, ce qui était une première. Nous faisions des simulations sur les payoffs, sur les niveaux de rentabilité et c’était beaucoup plus intéressant pour nos clients.
Certaines personnes ont pensé qu’en lançant ces produits, vous cherchiez à couvrir certains risques sur votre propre portefeuille de produits structurés...
Non, nous ne vendons pas des produits aux hedge funds pour ensuite nous retourner auprès des clients traditionnels pour couvrir les risques de nos portefeuilles, c’est l’inverse !
Si je continue sur l’exemple des « Mountain range », nous avons proposé ces produits aux réseaux de distribution parce que c’était le produit adapté à ce moment-là. Ensuite, nous nous sommes retrouvés massivement « vendeur de corrélation ». C’est à ce moment-là que nous nous sommes tournés vers des hedge funds car ce sont des clients sophistiqués qui n’ont pas les mêmes besoins que les clients traditionnels tels que la banque de détail, la banque privée, les assurances ou les institutions financières classiques et qui agissent très vite.
Certes, il y a un marché OTC entre les différentes salles de marché, mais cela ne peut constituer une solution si tout le monde va dans le même sens. Travailler avec des Hedge Funds nous permet de couvrir efficacement nos risques avec des professionnels sophistiqués et avertis. C’est aussi ce qui nous permet de continuer à servir efficacement nos clients.
Non, nous ne vendons pas des produits aux hedge funds pour ensuite nous retourner auprès des clients traditionnels pour couvrir les risques de nos portefeuilles, c'est l'inverse !Sofiene Haj Taieb
Concernant les variances swaps, avez-vous souffert comme d’autres banques sur ce produit pendant la crise ?
La variance swap est un produit qui existe sur le plan théorique depuis une quinzaine d’années ; il s’agit d’acheter ou de vendre de la variance. Au niveau académique, on démontre que ce produit est réplicable grâce aux options simples. En vendant un swap de variance, on peut acheter des options sur tous les strikes et maturités et être parfaitement couverts. Dans la pratique sa réplication s’avère imparfaite.
Et c’est ce qui est arrivé en 2008, le marché a décroché et a atteint des niveaux extrêmes. Les banques se sont retrouvées « vendeuses de volatilité » sur la variance swap mais pas suffisamment « acheteuses » sur les options en couverture.
Au sein de notre département Dérivés Actions, nos modèles internes prévoyaient ce genre d’effets extrêmes. Cela nous a permis en quelque sorte d’attirer moins de flux et donc moins de risque venant de cet instrument.
Aujourd’hui, vous adoptez une approche « Cross-Asset » vis-à-vis des clients : Des équipes dédiées sont capables de répondre à tous les besoins du client, quelque soit la classe d’actif. Pourquoi avoir opté pour une telle stratégie ?
Tout d’abord, nous avons pris comme postulat de départ qu’il fallait partir des besoins du client. Si on prend le cas d’un fonds de pension : il a du passif et de l’actif. L’actif contient des obligations, du crédit, des actions et parfois même des matières premières. Au passif, il garantit une retraite, il porte des risques actuariels, sur la mort, la vie, etc...
Auparavant, il pouvait arriver que plusieurs équipes aillent le voir, une équipe allait lui parler des actions, l’autre du crédit et des taux, et une autre des matières premières. Chacune allait lui parler de son passif, qui est, de fait, totalement hybride. Comment répondre au mieux aux besoins du client de cette façon ? Côté actions, nous voyions la limite de notre organisation, la discussion avec le client s’arrêtait assez rapidement parce que nous ne pouvions pas aller au bout du conseil. Soit on est dans une logique d’allocation d’actifs et là on doit avoir une vision globale, soit on est dans une logique d’ALM (Asset Liability Management), et c’est beaucoup plus complexe, ça fait intervenir tous les aspects macro-économiques et tous les paramètres de marché. Le besoin était là, c’est clair ! Il fallait proposer cette approche « multi-actifs ».
Si certains produits sont complexes, ce n'est pas simplement pour faire plaisir aux banques. La question est de savoir comment on peut résoudre un problème convexe par une solution linéaire!Sofiene Haj Taieb
N’est ce pas un énorme défi en matière d’organisation et de compétences pour vos équipes ?
Sur la question de l’organisation, nous sommes partis du principe que la vente devait couvrir toutes les classes d’actifs. Nous avons complété la vente par du conseil, une équipe de conseil spécialisée par type de clients. Il y a des spécialistes des banques, des spécialistes de l’assurance qui connaissent très précisément les besoins du client. Ce sont des équipes de vente au sens large. L’équipe de vente joue un peu le rôle du médecin généraliste. Une fois que le médecin généraliste a fait le diagnostic, il l’envoie chez le spécialiste. Là c’est l’ingénierie qui opère. L’organisation est matricielle, il y a des ingénieurs spécialisés par sous-jacent (actions, taux, crédit) et puis en fonction de la nature de la structuration, on a des spécialistes de la comptabilité, certains de la fiscalité, et d’autres de la réglementation. A ce niveau de compétence, chacun est resté spécialisé, nous n’avons pas demandé à un ingénieur dérivés actions de se transformer en ingénieur crédit. L’ingénierie c’est la spécialisation. Ensuite tout cela va se traduire par des produits gérés par le trading. Cela nous a permis de rassembler les équipes et d’être meilleur. Cette approche nous a ouvert beaucoup plus de portes.
Justement, vous avez aujourd’hui une vision globale des demandes des clients. Leur besoin a-t-il été modifié avec la crise ? Sont-ils dorénavant à la recherche de produits plus simples comme on le lit souvent ? Quel lien faites-vous entre la complexification des produits et la crise financière récente ?
Si on écoute les informations, on entend que c’est la complexité qui est à l’origine de la crise. Peut être, mais je pense qu’il n’y a pas que ça. Si on pousse l’analyse plus loin, la crise a pour origine un système de levier financier excessif. Le phénomène a commencé aux Etats-Unis où l’on a accordé des crédits immobiliers à des personnes dont les revenus n’étaient pas nécessairement assez élevés pour pouvoir rembourser les sommes empruntées. Dès que la valeur du bien immobilier a monté, les établissements financiers ont continué à prêter de l’argent sous forme de crédit à la consommation à ces mêmes personnes. L’erreur initiale, a été de prêter trop d’argent à des gens qui n’étaient potentiellement pas solvables. On voit bien qu’en France, la situation a été différente, parce que les ratios d’endettement sont plus stricts
N’y a-t-il pas une illusion de la simplification ?
Si certains produits sont complexes, ce n’est pas simplement pour faire plaisir aux banques. La question est de savoir comment on peut résoudre un problème convexe par une solution linéaire.
Couvrir de façon appropriée le bilan de certains institutionnels, des assureurs par exemple, nécessite parfois des solutions complexes. Le passif d’une assurance est convexe, ne serait ce qu’à cause de l’actualisation des cash flows.
Pour couvrir ces risques, il faut de la convexité, donc des produits dérivés. Et là on ne parle que de la chose la plus simple en finance : l’actualisation de flux futurs. On ne parle pas de risque complexe de marché, de risque actuariel ou de risque hybride.
Au niveau réglementation Bâle II ou Solvency II ne sont pas simples à appréhender. Le régulateur a inventé des textes d’une extrême complexité. Pour comprendre IAS, Solvency II ou Bâle II, nous avons des équipes entières qui travaillent dessus, pour nos équipes de conseil et de vente mais aussi pour nos clients dans le secteur de l’assurance ou des banques.
Appréhender le passif d'un assureur, c'est complexe, comprendre ses besoins de fonds propres, c'est complexe, la réglementation elle-même est extrêmement complexe; donc les réponses peuvent être complexes!Sofiene Haj Taieb
Nous n’allons pas voir les clients, en leur proposant des produits compliqués juste par dogme. Lorsque nous voyons le client, nous analysons ses problèmes, son passif, son actif selon une logique précise. Nous accompagnons le client afin de trouver avec lui la solution optimale. Si la solution est complexe parce que ses actifs sont hybrides, son passif est convexe, il faut l’accepter. Appréhender le passif d’un assureur, c’est complexe, comprendre ses besoins de fonds propres, c’est complexe, la réglementation elle-même est extrêmement complexe ; donc les réponses peuvent être complexes. On ne peut pas attendre des banques qu’elles ne trouvent que des réponses simples à des problématiques qui peuvent être si compliquées. On ne fait pas du complexe pour le plaisir, on le propose quand c‘est la meilleure solution à un problème donné, dans l’intérêt de notre client.
Avec la crise financière, la volatilité sur les indices boursiers a atteint des sommets rendant de nombreux produits d’investissement peu intéressants pour les clients. Certaines acteurs développent des stratégies quantitatives permettant de transformer un sous-jacent à volatilité variable en un sous-jacent à volatilité stable présentant les mêmes caractéristiques de performance. Que penser de ce type de produits ?
Ce sont des produits à volatilité target, Ce type de produit a un avenir si la volatilité implicite reste très haute, car quand la volatilité implicite atteint des niveaux très élevés, il est plus raisonnable d’acheter ce type de produit.
On sait d’expérience que la volatilité implicite suit plutôt un phénomène de retour à la moyenne. Quand elle est très haute, elle a tendance à baisser par la suite. On conseille donc à nos clients de moins acheter dans ce cas-là. La notion de volatilité target permet donc d’avoir un levier variable sur un indice pour que ce nouveau sous-jacent ait une volatilité constante et acceptable. Le client paye exactement ce qu’il consomme, c’est donc un excellent produit dans un régime de volatilité implicite élevée.
Comment peut-on assurer la transparence au près des investisseurs sur la cotation "en fair value" de ces structures ?
Le Timer Put ou vol target sont des produits très transparents, puisqu’ils ne dépendent pas de la volatilité du sous-jacent. Un modèle extrêmement simple de pricing peut estimer le prix de ces instruments.
Comment voyez-vous le futur de la finance et ses prochains grands développements ?
Nous allons vers des activités de plus en plus orientées client. C’est la demande du régulateur et c’est notre stratégie. Chez Société Générale Corporate & Investment Banking, l’activité consiste principalement à répondre à la demande et aux besoins du client. Il y a également des activités pour compte propre, mais elles contribuent à l’efficience du marché et à la réduction des spreads. En juillet dernier lorsque nous avions annoncé notre nouvelle organisation sur les activités de marchés, l’un de nos principaux objectifs était de renforcer nos activités clients et c’est ce que nous sommes en train de faire, nous sommes donc préparés à ce changement.