Une contribution empirique à la question de l’effet d’une sélection ISR sur la performance des portefeuilles
Un des préjugés les plus répandus dans la communauté financière associe démarche de responsabilité sociale et contreperformance financière. Cet a priori tenace se rencontre autant chez les théoriciens que chez les praticiens et s’applique aussi bien aux résultats des entreprises proprement dits qu’à leurs parcours boursiers et, par extension, à la performance des portefeuilles qui s’y investissent.
Dans sa version « finance d’entreprise », c’est l’affirmation selon laquelle le manager qui ne se consacre pas exclusivement à l’enrichissement des actionnaires (i.e. qui se disperse dans des considérations de responsabilité sociale) sera nécessairement moins performant (Milton Friedman). Dans sa déclinaison « finance de marché », issue de la Théorie Moderne du Portefeuille de Markowitz et Sharpe, l’application d’un filtre réduisant l’univers d’investissement sur la base de critères non-financiers ne peut que détériorer la frontière efficiente et aboutir à des portefeuilles sous-optimaux.
D’un point de vue théorique, la prime de risque spécifique permet de relier ces deux approches, rentabilité de l’entreprise et cours de bourse, à travers son rôle dans la transformation des attentes de résultats de la firme en valorisation par le marché. Cette prime réintroduit en même temps dans l’évaluation boursière la notion de moyen-long terme, à laquelle sont attachés les acteurs de la RSE et les gérants ISR dont la conviction est que les entreprises qui ont internalisé volontairement des coûts externes (environnement ; employés ; clients et fournisseurs) réduisent leurs risques à moyen terme. La pratique de la RSE par l’entreprise, d’une part, et l’inclusion de facteurs non-financiers dans la constitution de portefeuilles, d’autre part, ne sont donc pas nécessairement synonymes de sous-performance.
Une littérature considérable a été consacrée à ce débat sans jamais aboutir à des conclusions définitives pour toutes sortes de raisons : méthodologiques, historiques (manque de profondeur des données), voire idéologiques. Loin d’ignorer l’importance de la première question (les entreprises soucieuses aujourd’hui de RSE seront-elles plus ou moins performantes dans le futur ?), nous avons souhaité nous consacrer à la question de la performance des portefeuilles, en nous appuyant sur une pratique de plusieurs années, au sein d’un groupe spécialisé dans cette démarche.
La plupart des études consacrées à ce sujet n’aboutissent à aucun résultat convaincant parce qu’elles s’appuient sur les performances historiques de fonds se déclarant « ISR » mais suivant en réalité des démarches très hétérogènes et présentant en outre divers biais de gestion (style, secteur, poids, alpha ou bêta du gérant). Il est donc indispensable, pour essayer d’identifier une contribution de la sélection « durable et responsable » de « débiaiser » la performance ce qui, en général, donne un résidu (alpha attribuable à l’ISR) non significatif.
La présente étude se propose donc d’aborder le problème selon une logique totalement opposée, c’est-à-dire en « back-testant » des portefeuilles qui auraient été composés exclusivement sur la base de la sélection ISR, selon une méthode unique et constante dans le temps et dont les historiques sont effectivement disponibles. Cette méthode est celle appliquée par UFG - Sarasin AM (ex Sarasin AM France) depuis 2005, à partir de la méthodologie Sustainability Matrix® que la Banque Sarasin met en oeuvre depuis 1989. Les résultats des portefeuilles ainsi rétropolés, relativement à l’univers dont ils sont extraits, pourront être attribués en totalité à la démarche de durabilité, en particulier du fait d’une stricte réplication sectorielle de l’indice et sous réserve de la vérification de l’absence de biais involontaires.
L’étude comparative des performances a donc été menée sur la période 2005-2009, en constituant deux portefeuilles équipondérés de 50 valeurs à partir de l’univers des principales sociétés cotées de la zone euro, constitutives de l’indice Eurostoxx 300. Ces portefeuilles sont composés en sélectionnant, au début de chaque trimestre, pour l’un les titres ayant les notes ISR les plus élevées (best of ISR ou BoI), et pour l’autre les titres ayant les notes ISR les plus basses, (worst of ISR ou WoI) et cela, bien évidemment dans les mêmes secteurs et dans le même univers de capitalisation, i.e. l’Eurostoxx300. Les deux portefeuilles ainsi constitués représentent, au sein de l’univers Eurostoxx300 la performance des 50 meilleures valeurs ISR et des 50 moins bonnes et cela sans biais d’aucune sorte (style, secteur, poids, alpha ou bêta du gérant).
La méthode retenue a permis de constituer des portefeuilles affichant des notes ISR parfaitement différenciées : la note moyenne du BoI (1,40/2) est quasiment double de celle du WoI (0,75/2) et très nettement supérieure à celle de l’indice (1,05). En outre, les notes inférieures du BoI sont égales ou supérieures aux notes supérieures du WoI.
L’analyse des performances montre qu’avec un rendement positif (2,89% annualisé hors dividendes sur l’ensemble de la période étudiée, contre - 0,23% pour l’Eurostoxx 300), le portefeuille Best Of ISR surperforme régulièrement son benchmark, que ce soit en phase de hausse (2005-2007) ou en situation de crise aigüe (2007-2009). Le Worst of ISR, quant à lui, sous-performe nettement, (- 0,74% annualisé), du fait d’une contre-performance marquée pendant la crise.
La crise ayant homogénéisé les comportements, voire même défavorisé les valeurs restées les plus liquides, l’analyse des risques (volatilité, risques extrêmes) ne fait pas apparaître de différence significative. Les comparaisons de performance ajustées du risque sont de ce fait favorables au portefeuille Best of ISR.
Ces résultats démontrent le fait que non seulement choisir des valeurs sur des critères extra-financiers n’obère pas la performance financière mais qu’écarter les valeurs les plus éloignées de ces critères permet aussi d’améliorer les profils de rendement/risque.
Cette démonstration empirique confirme l’intuition des promoteurs de l’ISR, quant à l’apport d’une sélection extra-financière dans un processus d’allocation, en complément d’une approche top-down traditionnelle ou d’une gestion thématique. Loin de jouer un rôle de filtre réducteur contraignant la performance, la démarche ISR apparaît bien comme un discriminant positif de l’univers d’investissement. Cette conclusion devra être étayée ultérieurement par l’étude de l’évolution des primes de risque ex-ante, afin de vérifier si ce constat expérimental repose sur une évolution visible de l’appréhension, par le marché, des bienfaits de la RSE.