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Carry Trade et Crise des marchés émergents

Tous ceux qui ont été en prise directe avec les marchés connaissent la notion de carry trade opération très simple à comprendre mais probablement plus dangereuse que beaucoup d’opération sur les produits dérivés jugées à tort ou à raison complexes.

Le carry trade consiste à emprunter une devise à très faibles taux d’intérêt, de la vendre contre une devise à haut rendement pour acheter des actifs financiers libellés dans cette devise.

Dès lors vous comprenez qu’il y a trois composantes pour une opération de carry trade

  • Le taux court de la devise empruntée. Donc attention aux risques de remontée des taux courts sur cette devise si vous empruntez sur du 3 mois et que vous devez donc « roller » chaque trimestre votre ressource.
  • Le taux court de la devise prêtée.
  • Et surtout la parité de change entre les deux devises puisque vous vendez la devise assortie des taux d’intérêt faibles et achetez la devise assortie de taux d’intérêt élevés. Donc attention à l’évolution défavorable du change soit à cause du durcissement monétaire de la devise empruntée, soit à cause de la dégradation des fondamentaux de l’économie de la devise prêtée

Prenons un exemple arithmétique simple

Un investisseur décide d’emprunter 10 millions de dollars à 3 mois à 0.25%

- Il va vendre ces 10 millions contre du réal brésilien pour une parité de 1 USD = 2.10 réal (niveau spot d’il y a 1 an), soit la contrevaleur de 21 millions de réal

- Ces 21 millions vont être placés sur des actifs brésiliens : Bons du Trésor à 10 ans par exemple achetés à 100% du nominal au taux facial de 6%.

Notre investisseur va ainsi capter instantanément un carry positf (marge positive résultant de la différence de taux entre le rendement de l’actif en devise émergente et le coût de la ressource empruntée en dollar)

- Charges d’intérêt sur les 3 premiers mois en USD : 10 000 000 fois 0.25% sur un trimestre, soit 6250 USD

- Produits d’intérêt sur les 3 premiers mois en Réal : 21 000 000 fois 6% sur un trimestre, soit 315 000 Réal, soit 150 000 USD si la parité USD/Réal est restée stable à 2.10

- La marge nette de l’opération est donc de 143 750 USD (150 000 moins 6250) sur ce premier trimestre ; ce qui correspond à une marge de 5.75% (6%-0.25%) sur 10 MUSD pendant 3 mois

Quels sont les risques que supporte cet investisseur :

- Tout d’abord un risque évident de change et plus particulièrement dans notre exemple de hausse de la parité YSD/Réal puisqu’il est « short » de USD et « long » de réal dans cette opération de carry trade.

- Ensuite un risque de hausse des taux courts en USD puisque l’investisseur doit rembourser son emprunt en USD à 3 mois et réemprunter cette ressource en USD pour refinancer l’obligation brésilienne à 10 ans en réal

- Enfin, il supporte également un risque « naturel » de hausse des taux longs brésiliens qui générerait des moins-values s’il devait être contraint de vendre l’actif émergent avant son terme.

Nous nous intéresserons aux deux premiers risques dans cet exemple Imaginons un scénario pessimiste de hausse des taux courts USD à 1% sur le trimestre suivant (pure fiction) et une chute du réal à 2.50 contre USD ( niveau actuel de 2.45). Dans ce scénario, la rentabilité de l’opération de carry trade sur le trimestre est sérieusement amoindrie

- Charges d’intérêt sur le trimestre en USD : 10 000 000 fois 1% sur un trimestre, soit 25 000 USD (4 fois plus de charges que dans le scénario de départ)

- Produits d’intérêt sur le trimestre en Réal : 21 000 000 fois 6% sur un trimestre, soit 315 000 Réal, soit 126 000 USD seulement avec la chute du réal à 2.50

-  La marge nette de l’opération a donc baissé à 101 000 USD (126 000 moins 21 000) sur cette période ; ce qui fait passer la marge de 5.75% à 4.04% sur 10 MUSD pendant 3 mois

On pourrait toujours dans cette logique construire un stress scénario qui mettrait alors dans le rouge cette opération de carry avec une poursuite dans le futur de la hausse des taux courts US er de la baisse du réal contre USD. Ainsi on comprend mieux pourquoi certaines opérations de carry trade finissent en « bain de sang » sur les marchés. En effet si les investisseurs anticipent des remontées significatives des taux courts sur la devise empruntée (le dollar dans notre exemple) et une chute significative de la devise prêtée (le réal dans notre exemple), ils vont alors anticiper une très nette baisse de la rentabilité de leurs opérations voire dans des configurations de krach des pertes et donc être contraints de couper leurs positions : vente de l’actif émergent et donc de la devise émergente pour rembourser en catastrophe les emprunts en USD, ce qui auto-entretiendra et accentuera ces mêmes tendances de marché.

Comment les carry trade finissent en general ?

Le contexte d’avant crise financière et d’écrasement des primes de risques des années 2004-2007 permet de comprendre comment les carry-trade ont façonné nombre d’évolutions de marché et surtout comment leur débouclement a déstabilisé les marchés financiers.

On se souvient qu’à l’époque l’absence d’aversion au risque conduisait au jeu préféré suivant : emprunts de CHF et de JPY à des taux très bas, vente de ces devises contre USD et autres devises à haut rendement afin de capter un portage positif immédiat ; le retour d’aversion au risque a conduit , entre autres intervenants, des hedge funds en fortes pertes pratiquant le carry trade à déboucler leurs positions en rachetant massivement à découvert le JPY et le CHF ; c’est ce qui s’est violemment passé entre juillet 2007 et fin 2008 et c’est pourquoi, à tort ou à raison, tout regain d’aversion au risque fut et est encore très souvent synonyme d’appréciation du JPY et du CHF.

Mais ce type de « sport » devient contrarié par l’aversion au risque qui se substitue souvent (mais pas toujours) à l’analyse des fondamentaux pour expliquer certaines tendances directionnelles. Ainsi si sur le marché des changes, le franc suisse et le yen ont tendance à s’apprécier brutalement, ce n’est sûrement pas dû à une supériorité des économies suisse et japonaise sur celle des autres pays mais plutôt à la mémoire des investisseurs qui associent aversion au risque au débouclement des carry trade initiés entre 2004 et 2007 au détriment du CHF et du JPY

Dans les années 2011-2013 le USD (et dans une moindre mesure le GBP et l’Euro) assorti de taux d’intérêts quasi nuls fut une monnaie de carry trade empruntée contre devises émergentes. On comprend mieux dès lors les mini krachs sur les actifs émergents depuis mai 2013 dans un contexte de débouclements de cette seconde génération d’opérations de carry trade

Est-ce la fin des carry trade qui aggrave les fondamentaux emergents ou est-ce la degradation des fondamentaux qui remet en cause les carry trade ?

Il faut bien comprendre qu’il peut y avoir aussi accentuation d’une crise par des phénomènes auto-réalisateurs : les flux de capitaux sortant des marchés émergents aggravent les fondamentaux.

Petit rappel historique sur les flux de capitaux vers les pays émergents

Ceux-ci furent massifs de 2005 à l‘été 2008, puis l’on assista à partir de l’automne 2008 à des retraits très importants de capitaux avec l’aversion au risque née de la faillite de Lehman au profit des zones refuge dollar , franc suisse et yen. Ce phénomène a modifié significativement la situation macroéconomique des émergents uniquement parce qu’il y avait modification de la perception du risque émergent par les marchés. On était donc ici en présence d’auto-réalisation des anticipations des investisseurs. Cet exemple fait partie des prophéties auto-réalisatrices non justifiées par les fondamentaux et la meilleure parade pour contrer ces anticipations auto-réalisatrices des marchés est de faire en sorte que les pays émergents développent leurs excédents d’épargne et diminuent leur dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers à court terme extrêmement volatils (objet des fameuses opérations spéculatives de carry trade que nous avons évoqué au début de cet article)

Mais le sens de la causalité n’est pas si évident. Car au-delà du débouclement d’opérations de carry trade spéculatives, il faut aussi considérer que la crise des émergents s’appuie sur une très nette dégradation des fondamentaux qui va finalement accentuer les flux de sortie de capitaux. Et force est de constater que certaines économies émergentes se retrouvent fragilisées avec des situations d’insuffisance d’épargne comme c’est aujourd’hui le cas au Brésil, en Turquie, en Inde et en Indonésie. Dans ce dernier pays, le déficit extérieur a été multiplié par près de 4 en 2012 et 2013 par rapport à la situation moyenne de 2008-2011

En fait, l’on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein et donc parler d’insuffisance d’épargne ou d’excès d’endettement (macroéconomiquement c’est le même phénomène). Dans des pays comme l’Inde, le Brésil, la Turquie, la Thaïlande et l’Indonésie, on constate bien ces derniers mois cette envolée de l’endettement (plus privé au niveau des ménages et des entreprises que public)

Il faudra surveiller donc de très près certaines de ces évolutions et se souvenir de situations historiques des années 1990 : crise mexicaine de 1994, crise asiatique de 1997 et crise russe de 1998
Mory Doré

Alors certes l’histoire ne se répète jamais totalement mais il serait naif de croire que la crise des émergents d’aujourd’hui serait beaucoup moins inquiétante que celle des années 1990.

Certes, les flux de capitaux internationaux qui se dirigeaient vers les émergents dans les années 1990 étaient avant tout des flux interbancaires alors que les flux de la période actuelle étaient investis sur les actifs financiers des marchés émergents (actions, obligations …). Certains concluront alors que c’était donc plus grave il y a vingt ans puisque le « sudden stop » de flux provoquait des crises bancaires donc de graves crises économiques et sociales dans les pays concernés alors qu’aujourd’hui le « sudden stop » n’affecte que les marchés d’actifs et donc se matérialisent par des krachs boursiers et obligataires émergents. Mais quelle situation est préférable ? La crise bancaire a des impacts négatifs sur la macroéconomie et les marchés actions tandis que les krachs d’actifs ont des impacts négatifs sur la macroéconomie via les effets richesse et sur la santé des banques. Donc la situation d’aujourd’hui pour les économies émergentes est tout aussi inquiétante que celle qui prévalait dans les années 1990 et en réalité peu importe que les flux de capitaux qui fuient les marchés émergents sortent de l’interbancaire ou des marchés actions

Par ailleurs, on peut considérer que les pays émergents disposent aujourd’hui de munitions plus importantes qu’il y a 20 ans sous forme d’abondantes réserves de change permettant de contre la dépréciation de leurs monnaies nationales. Mais on sait d’expérience que face à des crises de change (et les pays européens fragiles de l’ex-SME l’ont expérimenté dans les années 1992-1993) les réserves de change s’épuisent très rapidement face aux attaques des marchés. On sait néanmoins que les BRIC (Brésil, Russie Inde et Chine) ont récemment décidé de créer un fonds ou une banque (ce n’est pas totalement clair à ce stade) pour défendre les devises émergentes en crise mais on n’a pas connaissance à ce jour de ses moyens en termes de capitalisation et encore moins de sa date de mise en œuvre opérationnelle

Les enseignements que nous en retirons

Les opérations de dénouement de carry trade consistant à vendre des actifs émergents (actions, obligataire corporate et souverain) et à replacer la liquidité sur des actifs en dollar dans la perspective d’un resserrement monétaire même lointain de la Fed vont se poursuivre. Mais ces opérations pourraient – indépendamment des anticipations sur la politique monétaire US- s’intensifier sous l’effet de la très nette dégradation des fondamentaux de certaines économies émergentes. Attention en tout cas à ce que ces débouclements ne provoquent pas des pertes importantes chez des hedge funds et autres investisseurs qui les obligeraient alors à déclencher des ventes forcées sur d ‘autres types d’actifs financiers (Obligations d’état OCDE, Equities OCDE ..) pour des raisons diverses : besoin de liquidité, window dressing du compte d’exploitation (des plus-values venant par exemple financer des moins-values)

Mory Doré Septembre 2013

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