Il est bien sûr possible de lier la situation actuelle à des tendances de long terme telles que la croissance démographique, le vieillissement de la population et la perte de biodiversité (qui risque d’exposer les populations à des virus inconnus [1]). Mais ces tendances sont rigoureusement les mêmes qu’avant la crise. Rien de nouveau sous le soleil. Dans le meilleur des cas, la pandémie vient rappeler que le développement durable est notre seule option. Et que c’est la manière dont nous réagissons qui compte.
Moins d’avions qui volent, moins d’usines qui fonctionnent : la situation actuelle nous donne un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler le monde. Des eaux claires, des ciels bleus. S’agissant du « S » de l’acronyme « ESG », la solidarité nous semble primordiale, tout comme le rôle social que les entreprises peuvent jouer. Lignes de production converties à la fabrication de gels nettoyants ou de respirateurs pour les hôpitaux, matières premières offertes : une goutte d’eau pour l’activité de ces groupes, mais une aide précieuse pour les établissements de santé qui en bénéficient.
Durable par obligations
Nous constatons aussi que les entreprises s’adaptent rapidement et prennent des mesures qu’elles renâclaient à adopter par le passé : télétravail et horaires flexibles pour leurs salariés, visioconférences plutôt que déplacements sur le terrain. Une bonne nouvelle fortuite pour l’égalité, la diversité et l’environnement.
Une bénédiction accidentelle ? Non. D’abord et avant tout parce que cette terrible épidémie aura un coût humain tragique, mais aussi parce que la crise et le confinement entraînent une mise à l’arrêt totale de l’économie et un décrochage des marchés. Une paralysie dont les effets à long terme sont encore inconnus. Mais une chose est certaine : plus elle durera, plus ses effets seront profonds.
A minima, elle minera la capacité des entreprises à générer de la valeur dans la durée. Pas seulement pour les actionnaires, mais bien pour toutes les parties prenantes, notamment les salariés et les communautés dans lesquelles elles sont présentes.
Signée par 195 investisseurs internationaux, dont Robeco, la déclaration des investisseurs dans la lutte contre le coronavirus [2] demande aux entreprises d’indemniser les salariés, de donner la priorité à la santé et à la sécurité, de protéger l’emploi, les fournisseurs et les relations avec les clients, et de faire preuve de prudence en matière financière.
Finance et rémunération
Du point de vue ESG, les deux éléments les plus importants en matière de prudence financière sont la gestion du capital et les rémunérations. Une fois encore, ces sujets n’ont rien d’inédit pour les investisseurs durables. Mais, dans la situation actuelle, nous évaluerons au cas par cas la vigilance dont les entreprises font preuve en termes de versement de dividendes et de rachat d’actions.
Nous passerons également au crible la rémunération qu’elles proposent pour leurs administrateurs. Pour citer Glass Lewis, la société de conseil aux actionnaires avec laquelle nous travaillons [3] : « Les entreprises dont la structure de rémunération est rigide peineront à tenir leurs engagements tandis que celles dont les programmes sont moins robustes seront contraintes de choisir entre assumer leur choix ou changer de cap, provoquant à coup sûr le courroux des actionnaires ». Certaines entreprises ont d’ores et déjà lancé l’idée de verser des compléments de rémunération pour renforcer la motivation de leurs dirigeants cette année. Nous ne mâcherons pas nos mots vis-à-vis de telles pratiques, surtout si les collaborateurs sont mis à l’épreuve ou que les actionnaires voient les rendements fondre.
La manière dont les entreprises réagissent au coronavirus nous aidera à nous faire une idée de la manière dont elles abordent la question du capital humain. Dans la déclaration, nous soulignons que les conseils d’administration sont responsables de la stratégie de ressources humaines à long terme de leur entreprise. Celles qui savent gérer le capital humain ont investi dans leurs collaborateurs et en récolteront les fruits car, selon nous, elles pourront s’appuyer sur des équipes formées et motivées lorsque l’activité repartira.
Le Statement on the Purpose of a Corporation, signé en août 2019 par 181 PDG d’entreprises américaines, sera mis à l’épreuve. Dans ce document, les dirigeants s’engagent à gérer leur entreprise au profit de toutes les parties prenantes : clients, salariés, fournisseurs, communautés locales et actionnaires. Le temps est venu de voir s’ils tiennent parole.
Maintenir l’économie à flot
S’agissant des marchés financiers et de l’économie au sens large, nous constatons que les pouvoirs publics et les banques centrales font tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir l’économie à flot. Les réponses monétaires et budgétaires sont inédites par leur taille. Leur objectif est de limiter les dégâts causés par la paralysie. Les États-Unis ont par exemple lancé un plan de relance à 2 000 milliards de dollars comprenant des aides versées directement aux particuliers, un renforcement de l’assurance chômage, des financements pour la santé et des aides financières aux entreprises afin d’éviter les licenciements.
Mais, à plus long terme, un soutien plus important sera vraisemblablement nécessaire pour faire repartir l’économie. Cette situation offre aux États l’occasion d’associer relance économique et développement socio-environnemental, une démarche ô combien nécessaire à l’heure actuelle, puisque la faiblesse des cours du pétrole risque d’anéantir les investissements dans les énergies renouvelables.
Même si, dans certaines régions du monde, l’éolien et le solaire sont déjà des sources d’énergie bon marché, la chute des prix de l’or noir pourrait favoriser la consommation de charbon, de pétrole et de gaz, ce qui aurait des répercussions négatives sur l’essor et la consommation des énergies vertes.
Favoriser des projets verts
Aux États-Unis, des experts en politique sociale et climatique issus du milieu universitaire et de la société civile ont concocté un mode d’emploi vert (green stimulus) pour reconstruire l’économie [4] . Ce projet associe développement social et développement environnemental. Certaines des idées qu’il contient permettent de créer des emplois verts dans la généralisation des énergies propres, la rénovation du bâti et la construction durable. D’autres cherchent à développer des réseaux alimentaires locaux ou encore à contribuer à la maintenance et au fonctionnement des transports en commun, des appareils électriques et de la construction automobile. Les propositions défendent aussi la construction et la gestion d’infrastructures vertes, la fabrication locale et durable de textiles et de vêtements, ou la collaboration avec des programmes d’apprentissage agréés existants pour aider des travailleurs pauvres à trouver des emplois solides.
En Europe, une relance axée sur l’investissement vert pourrait aider le Vieux Continent à respecter les objectifs de réduction des émissions que les pays se sont fixés. En allant encore plus loin, les secteurs privés et publics pourraient s’allier pour réaliser les Objectifs de développement durable. Ces investissements pourraient être financés par des obligations vertes et sociales. À l’heure actuelle, selon S&P Global, les obligations vertes représentent moins de 0,1% de la dette souveraine. Il est donc largement possible de financer une relance sociale et environnementale !
Nous vivons une période hors normes. J’espère que tout le monde est en sécurité et que, quand cette crise sera terminée, notre réponse à la crise nous permettra de créer une société et une économie véritablement durables.