Dans le cadre de sa réflexion sur l’attractivité de la France en matière de gestion alternative, l’Association Française de Gestion Financière (AFG) a confié à Reinhold & Partners la réalisation d’une étude visant à identifier les forces et faiblesses de la France comme place de gestion alternative, à la fois selon des critères objectifs (dispositifs fiscaux, réglementaires…) et subjectifs (critères discriminants d’un choix d’implantation…).
S’appuyant sur un sondage à destination des acteurs directs (gérants) français et étrangers mais également des service providers [1] et investisseurs de cette industrie, l’étude a permis d’établir les constats suivants :
Un déficit d’image
Force est de constater la récurrence de la remarque suivante : les positions officielles brocardant les hedge funds et la gestion alternative créent une image négative que personne n’est prêt à endosser. Malheureusement cette « destruction » a eu un bon écho chez les investisseurs institutionnels français qui, déjà très limités par leurs propres réglementations, se sont séparés de leurs investissements alternatifs.
Une image détestable, pas de marché domestique, sont deux freins majeurs à toute velléité d’implantation et à toute possibilité de développement, pour les sociétés existantes.
Un marché restreint
En matière de gestion alternative, « la France est perçue comme une place locale servant un marché local ».Reinhold & Partners
L’étude souligne que la gestion alternative française n’est généralement pas assez risquée, avec des rendements inférieurs à ceux de ses concurrents anglo-saxons [2]. Elle n’est pas visible des investisseurs internationaux, et ne bénéficie donc pas des investissements des grands fonds de fonds, family offices, ou fonds de pension [3]. Dès lors, le marché des gérants alternatifs français n’intéresse pas les grands prestataires de service internationaux (prime brokers, valorisateurs, transfer agents, mais aussi juristes, fournisseurs de logiciels, etc.). Or ces prestataires de services offrent de nombreuses services à forte valeur ajoutée (capital introduction, financement, accès à des marchés complexes, outils informatiques sophistiqués, analyses juridiques internationales, etc.) qui échappent en partie aux gérants français et accentuent l’écart qui existe avec les gérants installés sur des places mieux reconnues, principalement le Royaume Uni (marché international des institutionnels) et la Suisse (grosse présence de private banking et family offices) en Europe.
Quant aux produits de droit français (hors UCITS), ils ont un petit succès d’estime dans le sens où le régulateur est reconnu et que les règles, en particulier des fonds contractuels sont pragmatiques. Mais ce succès est « petit », car la langue, la référence au système légal français, et la croyance (erronée) de l’application d’une fiscalité lourde sur ces produits, associés à un manque flagrant d’intérêt de nos investisseurs domestiques, sont de réels facteurs de rejet.
Une compétition active et efficace
La gestion alternative française souffre d’un certain nombre de concurrences sans vraiment réagir.
Les gérants internationaux. Il n’y a aujourd’hui pas vraiment d’écart dans le traitement par un investisseur entre un fonds offshore et un fonds contractuel. Sauf que l’univers des fonds offshore est considérable, et celui des fonds contractuels étriqué. Or si les gérants internationaux peuvent conquérir le monde en ignorant les investisseurs français, il n’en est pas de même pour les gérants français qui ne se développeront pas à l’international sans un socle domestique solide.
Les nouveaux produits UCITS. Beaucoup s’interrogent sur la pertinence technique de loger la gestion alternative dans des produits UCITS. Ce « détournement de règle », qui déresponsabilise l’investisseur est loin d’être anodin. Mais, c’est un fait, le format UCITS permet une distribution facile et large en Europe et de bénéficier de ce « label » dans bon nombre de pays, asiatiques en particulier. Malheureusement pour la France, ce label est associé dans son image au Luxembourg. Il en résulte que « la » domiciliation d’un fonds pour une distribution européenne est le Luxembourg, avec quelques vraies raisons et beaucoup de marketing de la part des autorités de ce pays.
Les produits structurés. Ces produits qui « rendent apparemment simple » ce qui est « notoirement compliqué »,… et permettent des arbitrages réglementaires, connaissent un grand succès car là aussi, ils déchargent l’investisseur de bon nombre de diligences, et peuvent être structurés sur des instruments moins consommateurs de fonds propres que ceux de la gestion alternative.
Comment faire évoluer cette situation sachant qu’en matière de gestion, la réussite ne se mesure qu’à l’aune des actifs sous gestion (ou sous conservation pour les dépositaires) ?
Pour être vu il faut être visible
Il est nécessaire de rendre la gestion alternative française et son écosystème visibles au sein de son univers de compétiteurs anglo-saxons. Il faut ensuite « permettre de faire » et aménager au moins a minima les points fiscaux, sociaux et réglementaires afin de permettre à cette industrie de s’installer en France.
1. La rendre visible, c’est lui donner les moyens
- d’exister : développement des structures d’incubation, assistances techniques à la création et au développement
- de se développer : redonner appétit et incitation aux investisseurs institutionnels de sélectionner la gestion alternative française [4]
C’est aussi la faire connaître et la présenter de manière attractive
- structurer l’accueil (guichet unique couvrant la réglementation, le fiscal, le social) multilingue, avec une documentation claire et simple en ligne sur internet
- se montrer. Comme souligné dans l’étude, il y a dans tous choix de l’objectif et de l’affectif
- La documentation, les sites internet permettent de développer « l’objectif », et corriger des croyances ou perceptions erronées
- Mais l’affectif doit être aussi soigneusement cultivé. Pour être vu, connu et reconnu, il faut se montrer, expliquer et dialoguer. Une stratégie de marketing et de communication auprès des investisseurs et des acteurs de la gestion alternative dans le monde doit être pensée, par rapport aux objectifs des entrepreneurs et l’analyse de leurs attentes et besoins.
2. Permettre de faire
Permettre de faire, c’est résoudre les difficultés techniques relevées par l’étude, dans les domaines de la fiscalité et de la réglementation. C’est aussi organiser des structures d’accueil et d’accompagnement pour aider les entrepreneurs à réussir et optimiser leur entreprise à travers les nombreuses législations qui s’imposent à eux [5].
Il ressort de cette étude que rendre la gestion alternative française plus attractive est un chantier multidisciplinaire. Il doit être animé et soutenu par nos hommes politiques, par nos régulateurs – en particulier du côté des investisseurs – et être mis en avant auprès des régulateurs et des investisseurs internationaux les plus actifs dans ce domaine en organisant des évènements sur les principales places .
Mais au plan pratique, ceux qui sont les mieux placés pour mener cette mission et le plus intéressés à sa réussite sont les professionnels de cette industrie. Créer une force de promotion rassemblant des professionnels réputés, offre le double avantage de créer un effet d’entrainement, et aussi une motivation financière puisque le succès de tous est au bénéfice de chacun.