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La crise des matières premières agricoles menace la sécurité alimentaire

L’attention est particulièrement focalisée sur la crise de l’énergie, mais une autre crise est en train de se matérialiser : celle des produits agricoles. Comme pour l’énergie, la guerre en Ukraine est venue aggraver une situation qui était déjà très fortement tendue. Avec des prix alimentaires particulièrement élevés en raison des perturbations des chaînes...

L’attention est particulièrement focalisée sur la crise de l’énergie, mais une autre crise est en train de se matérialiser : celle des produits agricoles. Comme pour l’énergie, la guerre en Ukraine est venue aggraver une situation qui était déjà très fortement tendue. Avec des prix alimentaires particulièrement élevés en raison des perturbations des chaînes d’approvisionnement liées au COVID et des rendements réduits par la sécheresse en 2021, l’invasion de l’Ukraine est un nouveau choc pour les marchés alimentaires mondiaux. L’accroissement de l’incertitude sur l’évolution des prochaines récoltes pousse certains pays à prendre des mesures de protection de leurs marchés domestiques, en interdisant ou limitant les exportations de certains produits. La guerre en Ukraine, grand producteur de céréales, entrainant l’arrêt des expéditions au départ des ports ukrainiens ajoute à la tension sur les prix des principales matières agricoles. Dans ce contexte difficile qui devrait perdurer sur les prochains trimestres, les craintes sur la sécurité alimentaire dans les pays émergents se renforcent.

Des récoltes disparates en 2021 créent en amont une tension sur les marchés pour 2022, dans un contexte aggravé par la guerre.

Les conditions météorologiques ont été difficiles dans certaines zones du monde en 2021. En Chine notamment, la mousson très précoce et très violente a entrainé une forte hausse des inondations. Ce phénomène tend à se reproduire en ce début de saison des pluies 2022.

Si pour 2022, la FAO prévoit toujours une croissance de la production mondiale de blé à 782 millions de tonnes, le Département de l’agriculture aux États-Unis anticipe quant à lui une baisse historique de la production mondiale de blé en 2022-2023, en raison de l’invasion russe en Ukraine et des aléas climatiques mondiaux. En effet, les conditions climatiques ne sont toujours pas favorables. Si en Inde, la production de blé avait atteint des records en 2021, cela ne se reproduira certainement pas en 2022, après déjà 2 mois de canicules qui pèseront sans aucun doute sur les rendements.

La guerre en Ukraine est un nouveau choc sur les prix agricoles. Selon la Banque mondiale, près de 50 pays dépendent de la Russie et de l’Ukraine pour au moins 30 % de leurs importations de blé et, parmi ceux-ci, 36 pays s’approvisionnent pour plus de 50 % de leur blé dans les deux pays. En raison de pénuries (prévues) d’approvisionnement à la suite de l’invasion russe, les prix mondiaux du blé et du maïs ont monté en flèche et sont respectivement de 48 et 28 % plus élevés qu’au début de février (avant le déclenchement de la guerre), et de 79 et 37 % plus élevés que l’année précédente. Les prix agricoles devraient, selon la Banque mondiale augmenter de 18% cette année, reflétant les perturbations dans l’approvisionnement lié à la guerre en Ukraine et les coûts des intrants, y compris le carburant, les produits chimiques et les engrais. La guerre a déjà perturbé les exportations d’Ukraine et amputera sévèrement la production agricole en 2022, et en particulier la production de maïs, d’orge et de graines de tournesol pour la fabrication d’huile, qui sont généralement plantés au printemps. De même, en Russie, le manque d’accès aux intrants agricoles, tels que les semences et les machines agricoles en raison des sanctions internationales, pourraient réduire la production agricole.

Face aux craintes de pénurie et afin de limiter la hausse des prix, les mesures de fermeture des frontières se multiplient.

Selon la Banque mondiale, entre le début de l’année 2022 et le 19 mai, 268 mesures concernant les importations et exportations ont été annoncées ou mises en œuvre, dont 85 % concernent les produits alimentaires ou les engrais et 15 % les matières premières et combustibles. Les mesures d’interdiction d’exportations visent selon le suivi fait par le Food Security Portal, 38 produits et 23 pays. Deux exemples récemment retiennent l’attention. Le premier est la décision de l’Indonésie de suspendre les exportations d’huile de palme le 28 avril dernier. En effet, ce produit représente 81% des exportations alimentaires du pays, pays qui détient 54% du marché mondial de l’huile de palme. Ensuite, l’Inde, le 14 mai dernier, décide d’interdire les exportations de blé. L’Inde est le 2ème producteur de blé au monde avec 110 millions de tonnes attendus pour 2022 (avant la canicule), derrière la Chine et le 8ème exportateur de blé, avec des exportations représentant 7 millions de tonnes en 2021. Les principaux clients sont les pays asiatiques voisins, le Bangladesh étant le premier (pour 3,6 millions de tonnes importées en 2021 sur 8,5 millions consommées). Ce choix politique répond bien entendu à des questions de politique internationale, mais aussi et surtout à une volonté du gouvernement indien de limiter la hausse du prix du blé domestique, pour le consommateur qui est également un électeur potentiel, au détriment toutefois des profits des agriculteurs. Le prix du blé indien a baissé entre 10 et 15% sur la nouvelle. Des mesures de ce type avaient déjà été prises lors de la dernière grande crise des prix alimentaires, en 2007-08.

L’impact sur les prix des mesures de suspension des exportations est toutefois très incertain. En effet, ces mesures profitent aux marchés intérieurs des pays producteurs, mais aux dépens des pays importateurs nets de produits alimentaires. L’expérience passée suggère que ces mesures commerciales exerceront une pression supplémentaire sur les stocks alimentaires disponibles, feront grimper les prix et menaceront potentiellement la sécurité alimentaire des plus pauvres. Selon différentes études réalisées par les chercheurs de la Banque Mondiale, l’impact de ces mesures de fermeture aux frontières peut s’avérer contraire à ce qui était recherché, et contribuer à la hausse des prix. Ainsi, lors de la crise alimentaire de 2007-08, la multiplication des interdictions d’exportation aurait occasionné 45% de hausse supplémentaire du prix du riz et 30% de celui du blé sur les marchés internationaux . Par ailleurs, elles s’avèrent également assez peu efficaces pour répondre aux préoccupations en matière de sécurité alimentaire, car elles bénéficient surtout aux ménages relativement aisés. A plus long terme, elles agissent comme un frein aux investissements sur les nouvelles capacités de production.

Il est intéressant de noter que dans le cas présent le Gouvernement indien a apporté quelques aménagements à sa décision de suspendre les exportations de blé. Premièrement, le gouvernement a déclaré que l’interdiction ne s’appliquerait pas "dans les cas où des engagements préalables ont été pris par des commerçants privés". Tous les contrats passés seront donc honorés. Deuxièmement, le gouvernement autorisera les exportations sur un système discrétionnaire pour "soutenir les besoins des pays voisins et d’autres pays vulnérables". Il s’agit donc là d’utiliser cette mesure comme un instrument de politique étrangère. Le premier pays à bénéficier de cet aménagement est l’Egypte, par ailleurs très dépendant du blé ukrainien.

Les tensions sur les matières premières agricoles vont avoir des conséquences dans le monde entier. L’impact sur l’inflation d’une hausse des prix agricoles est deux fois plus importants que celui d’une hausse du pétrole. Il s’agit là d’une moyenne estimée par la BRI qui précise que cela peut aller bien au-delà dans certaines économies émergentes compte tenu du poids de l’alimentaire dans le panier de consommation. En moyenne, l’alimentation représente 25% de l’indice des prix à la consommation des pays émergents. De fortes disparités entre pays sont observées, avec un poids de l’alimentaire atteignant 40% de l’indice en Inde contre 14% au Brésil par exemple. Selon les calculs de la BRI, les hausses des prix des matières premières agricoles sont deux fois plus inflationnistes que les hausses de prix du pétrole. Une hausse de 10 % des prix agricoles se traduit par une hausse de l’inflation de plus de 0,4 point de pourcentage.

Les tensions sur les matières premières agricoles vont avoir des conséquences dans le monde entier. L’impact sur l’inflation d’une hausse des prix agricoles est deux fois plus importants que celui d’une hausse du pétrole. Il s’agit là d’une moyenne estimée par la BRI qui précise que cela peut aller bien au-delà dans certaines économies émergentes compte tenu du poids de l’alimentaire dans le panier de consommation. En moyenne, l’alimentation représente 25% de l’indice des prix à la consommation des pays émergents. De fortes disparités entre pays sont observées, avec un poids de l’alimentaire atteignant 40% de l’indice en Inde contre 14% au Brésil par exemple. Selon les calculs de la BRI, les hausses des prix des matières premières agricoles sont deux fois plus inflationnistes que les hausses de prix du pétrole. Une hausse de 10 % des prix agricoles se traduit par une hausse de l’inflation de plus de 0,4 point de pourcentage.

Même aux Etats-Unis, la hausse des prix des produits agricoles aura un impact sur l’inflation. Dans son dernier rapport, daté du 25 avril 2022, le Département de l’agriculture américain estime une hausse moyenne de la composante alimentaire comprise entre +6,5 et 7,5% sur 2022 , à comparer à une moyenne historique annuelle de +2,4% sur les 20 dernières années.

Selon la Banque mondiale, au 19 mai 2022, l’indice des prix agricoles a augmenté de 42 % par rapport à janvier 2021. Les prix du maïs et du blé sont respectivement supérieurs de 55 % et 91 % par rapport à janvier 2021, tandis que les prix du riz restent inférieurs d’environ 12 %.

Selon les Perspectives des marchés des produits de base d’avril 2022 de la Banque mondiale, la guerre en Ukraine a modifié les flux commerciaux mondiaux, la production et donc la consommation ce qui maintiendra les prix à des niveaux historiquement élevés jusqu’à la fin de 2024, exacerbant l’insécurité alimentaire et l’inflation.

Les produits agricoles sont attendus en hausse de près de 20 % en 2022, le seul prix du blé progresserait de 40% sur l’année. Au-delà de la pression sur l’inflation dans le monde entier, le coût humain de cette accélération des prix alimentaires pourrait être considérable, en freinant la réduction de la pauvreté dans le monde.

Au cours des prochains mois, un défi majeur sera l’accès aux engrais qui peuvent avoir un impact sur la production alimentaire de nombreuses cultures dans différentes régions. En effet, la Russie est le premier exportateur mondial d’engrais azotés et le deuxième fournisseur d’engrais potassiques et phosphorés. La Russie et la Biélorussie produisent 38 % des engrais potassiques, 17 % des engrais composés et 15 % des engrais azotés. Les prix des engrais ont considérablement augmenté depuis le début de la guerre, en hausse en mars de près de 20 % depuis janvier 2022 et presque trois fois plus élevés qu’il y a un an. Cette hausse des prix pose un risque important pour la production agricole dans le monde entier. Des coûts d’intrants plus élevés seront répercutés directement sur les consommateurs ou entraîneront une moindre utilisation d’intrants, ce qui entraînera une réduction de la quantité des récoltes. Quoi qu’il en soit, la flambée des coûts des engrais aura un impact négatif sur l’accessibilité des aliments et, par conséquent, sur la sécurité alimentaire dans les mois à venir.

Mais la guerre en Ukraine n’explique là encore pas tout. En effet, depuis l’été 2021, et sans grande publicité, la Chine a ordonné à ses entreprises de cesser de vendre des engrais à l’extérieur du pays, afin de préserver les approvisionnements nationaux . La Chine est également un grand producteur d’engrais. En 2019, elle produisait 24,5% des engrais mondiaux et ses exportations représentaient 11,5% du total des exportations mondiales d’engrais. Ainsi les prix des engrais avaient commencé à progresser avant la guerre en Ukraine.

Ce choc durable sur les prix agricoles renforce la probabilité d’une crise alimentaire. L’inquiétude est grandissante et le sujet devient majeur pour beaucoup de pays.

Selon la Banque mondiale, de plus en plus de pays rencontrent des difficultés croissantes quant à leur sécurité alimentaire. Avant la pandémie, la situation s’était déjà dégradée avec l’augmentation des catastrophes naturelles et les manifestations multiples du changement climatique. La Covid et aujourd’hui la guerre en Ukraine menacent directement les habitants des pays à revenu faible ou intermédiaire, particulièrement vulnérables aux flambées des prix alimentaires. Selon le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2022, 193 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë en 2021, soit une hausse de près de 40 millions de personnes par rapport à 2020. Dans 83 pays, les enquêtes réalisées montrent qu’un nombre important d’individus ont manqué de nourriture ou diminué leur consommation depuis le début de la pandémie.

Ainsi, en Inde, les stocks de blé détenus par le gouvernement fédéral indien pour 2022-2023 pourraient tomber à leur plus bas niveau depuis 2016-2017, et au deuxième plus bas des 13 dernières années, les achats de céréales par le gouvernement étant probablement les plus bas depuis 15 ans. La sécurité alimentaire n’est donc pas assurée.

Le Brésil, un des plus grands producteurs agricoles au monde, n’échappe pas à cette question de la sécurité alimentaire. Selon une étude publiée par la Fondation Getulio Vargas (FGV), une institution universitaire brésilienne, le risque de souffrir de la faim au Brésil avait déjà progressé en 2021. Le pourcentage de personnes incapables de se nourrir ou de nourrir leur famille à un moment donné au cours des 12 derniers mois a atteint un record de 36 % en 2021, contre 30 % en 2019. C’est la première fois que l’insécurité alimentaire au Brésil dépasse la moyenne mondiale depuis 2006. Compte tenu de l’augmentation des prix des denrées alimentaires depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’économiste Marcelo Neri, directeur du Centre des politiques sociales du FGV et responsable de l’étude indique une situation encore exacerbée par rapport à celle constatée pendant la pandémie. L’augmentation de l’insécurité alimentaire parmi les 20% les plus pauvres au Brésil pendant la pandémie est passée à 75% en 2021, contre 53% en 2019, se rapprochant des niveaux du Zimbabwe, qui a le niveau d’insécurité alimentaire le plus élevé au monde à 80%.

En Chine, cette question de la sécurité alimentaire redevient centrale. Après les mesures de restriction d’exportations des engrais évoquées plus haut, le Conseil d’Etat par la voix du Premier ministre Li Keqiang a rappelé le 26 mai la priorité à assurer par tous les moyens les prochaines récoltes, notamment en encourageant l’extension des surfaces cultivées. Les autorités visent par leur action à limiter l’impact de la situation sanitaire sur les agriculteurs. La sécurité alimentaire a toujours été un objectif essentiel dans le développement du pays et la situation mondiale encourage les autorités à être très vigilantes sur le sujet. La crainte d’une instabilité sociale pouvant découler des pénuries alimentaires est toujours présente.

La hausse des prix des principales matières agricoles liée au changement climatique, aux conséquences de la pandémie et maintenant au conflit armé en Ukraine va continuer de contribuer à peser sur l’inflation dans le monde. Elle génère des comportements de replis sur soi de la part de certains pays producteurs, qui vont continuer d’alimenter des pressions haussières dans le reste du monde et remettre en cause la sécurité alimentaire de certains pays. L’histoire nous a montré que l’insécurité alimentaire conduit malheureusement souvent à l’agitation sociale.

Laetitia Baldeschi Juin 2022

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