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La crise grecque : Le Tonneau des Danaides ?

Retour sur la saga grecque ou la plus grande faillite du 21ème siècle sans déclenchement (à ce jour) d’un évènement de crédit. La succession des plans de sauvetage montre qu’on ne résout pas simplement l’insolvabilité d’un pays par des dispositifs de secours

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PROLOGUE : On n’en finit plus de sauver la Grèce

Le Tonneau des Danaides - Vous vous souvenez de cette légende grecque. Les Danaïdes sont les cinquante filles du roi Danaos. Ce roi fit venir ses cinquante neveux qui lui expliquèrent leur désir d’épouser ses filles. Danaos accepta. Pour leurs noces, il offrit à ses filles une dague puis leur fit promettre de tuer leurs époux pendant la nuit. Toutes le firent, sauf Hypermnestre, qui épargna Lyncée. Plus tard, Danaos organisa des jeux pour marier ses 49 filles. Mais Lyncée tua les 49 filles pour se venger de ses frères. Aux enfers, les Danaïdes reçurent une punition qui consistait à remplir d’eau éternellement un tonneau percé

GRÈCE ACTE 1

En mai 2010, l’Union européenne et le FMI accordent à la Grèce un montant total de 110 milliards d’euros étalés sur 3 ans et remboursables à l’origine sur une durée de cinq ans et demi. Naturellement ce soutien est conditionné à la mise en place d’une politique budgétaire restrictive et à la mise en place de réformes structurelles visant à créer les conditions d’une plus grande compétitivité

D’ailleurs les versements se font par tranches et chacun d’entre eux donne désormais lieu à d’intenses pressions sur le gouvernement grec. C’est ainsi que réunis à Bruxelles pour ces sommets des 23/10 et 26/10, les ministres des Finances des pays de La zone Euro ont finalement acté le déblocage de la sixième tranche de ce prêt pour la Grèce - 8 milliards d’euros – Cette enveloppe est financée par l’Europe à hauteur des 2/3, soit 5,8 milliards d’euros, le solde devant l’être par le FMI qui devrait donner son accord dans les jours qui viennent. Ce versement initialement programmé début octobre devrait repousser encore une fois la cessation de paiement de la Grèce.

Plans de sauvetage de la zone euro : origine et utilisation des milliards

Retour précis et détaillé sur les plans de sauvetage depuis mai 2010 des pays en graves difficultés budgétaires au sein de la zone Euro. Comment sont mobilisés ces dizaines de milliards d’euros, à quoi sont-ils destinés et, surtout, ces sommes sont-elles suffisantes pour restaurer (...)

En tout cas, l’idée de ces plans de sauvetage consiste à repousser dans le temps la contrainte de liquidité et le mur de dettes comme avec le plan de 85 Mds d’euros pour l ’Irlande en novembre 2010 (sauf que l’Irlande a, au prix d’une austérité draconienne, réussi à éliminer son déficit extérieur et donc une partie de la croissance de son endettement) ; comme également avec la plan de 78 Mds d’euros pour le Portugal en mai 2011.

On va, en tout cas, vite comprendre (même si les politiques nous disent le contraire) que la dette grecque est insoutenable et que l’on cherche à résoudre l’insolvabilité du pays en gagnant du temps par des soutiens en liquidité et réaménagement des concours octroyés. En effet, les conditions financières initialement fixées à Euribor 3 mois + 300 bp sur le moins de 3 ans et à Euribor 3 mois + 400 bp sur les échéances au-delà de 3 ans vont être revues en mars 2011 à la baisse avec une marge réduite de 100pb et la maturité des engagements va être rallongée

GRÈCE ACTE 2

Lors du sommet de l’EuroGroupe du 21 juillet 2011, il fut décidé de réduire le volume de la dette grecque (de l’ordre 350 milliards d’euros) en mettant en place un second plan d’aide en impliquant cette fois-ci les créanciers privés.

La Grece sauvée ? L’envers du décor

Rééchelonnement dans le temps la contrainte de liquidité, remise en cause les politiques monétaires favorisant l’aléa moral et achats sur le marché secondaire par le FESF, tels sont les temps forts d’un plan qui ne devrait pas affecter significativement les résultats nets comptables (...)

On verra qu’avec l’acte 3 que l’on nous prépare, les créanciers privés seront encore plus impliqués, ce qui signifie en d’autres termes qu’ils consentiront à des abandons de créance encore plus significatifs sur les papiers grecs détenus dans leurs bilans. Tout ceci va sonner comme le début de la fin de l’aléa moral avec l’idée de responsabiliser enfin les investisseurs au lieu de ne solliciter que les finances publiques des états de la zone et donc leurs contribuables.

En tout cas ces contributions dites volontaires ont été estimées à près de 50 Mds € et s’ajoutent donc dans le cadre de ce second plan d’aide aux 109 Mds d’euros selon la formule désormais classique (2/3 Fonds Européen de stabilité financière et 1/3 FMI avec déblocages successifs) en achetant massivement du temps : maturité minimale de 15 ans et maximale de 30 ans,

Dans le plan du 21 juillet, il était également prévu des achats de dette grecque sur le marché secondaire par le FESF. On pensait à l’époque que cette alternative avait très peu de chances de se matérialiser dans les faits pour deux raisons. D’une part, Ies détenteurs de titres grecs qui ne sont pas en mark to market ou en tout cas ceux dont les variations de valeur des positions n’impactent pas le compte de résultat en normes comptables IFRS (classement en banking book) n’ont pas vraiment d’intérêt à externaliser directement des moins values ; d’autre part, ceux qui sont en mark to market ou de même ceux dont les variations de valeur des positions impactent directement le compte de résultat toujours en normes comptables IFRS(classement en trading book) ont intérêt à attendre que les achats supposés du FESF provoquent une hausse des prix de leurs obligations. En clair, il n’y a pas de potentiel de transactions sur ce type de solution.

GRÈCE, ACTE 3

Cet acte se joue ces jours-ci. Et il faut donc parler de plan 2 bis puisque l’on entend que les créanciers privés devraient accepter une dépréciation de l’ordre de 60% de leur créances (au lieu de 21% lors du plan de juillet 2011). Cela signifie une contribution des banques qui passerait donc de 50 Milliards d’’euros à environs 142 milliards d’euros. Il faut donc considérer, toutes choses égales par ailleurs, que les banques devraient alors être recapitalisées de l’équivalent de ce montant si celles-ci veulent conserver intacts leurs ratios de solvabilité puisque ces dépréciations viennent augmenter le coût du risque des établissements et diminuer le résultat net comptable et donc les fonds propres. Quant aux modalités de recapitalisation (privée, publique, FESF réformé), c’est un autre sujet qui promet là encore de franches empoignades, une volatilité excessive sur les valeurs bancaires en bourse et sur le spreads de crédit de la dette obligataire bancaire. De tout cela, nous aurons l’occasion de reparler

Pour l’heure, il est en tout cas stupéfiant quand même que l’on puisse « découvrir » qu’en 3 mois la capacité de remboursement de l’état grec se soit amoindrie de 92 milliards d’euros

Que l’on se rassure, il ne reste donc aux créanciers privés plus que 40% à perdre sur la valeur faciale des dettes grecques détenues (tout du moins celles qui sont échéancées jusqu’en 2020 et qui sont concernées par ce plan de contributions dites volontaires), ce qui correspondrait à 96 milliards de destructions de fonds propres supplémentaires

Les calculs sont simples

  • Le 21/07/2011, la décote de 21% sur les positions grecques détenues correspond à des dépréciations d’actifs de 50 milliards d’euros pour les créanciers privés.
  • Aujourd’hui, la réévaluation de cette décote à 60% devrait correspondre à des dépréciations d’actifs de 142 milliards d’euros, soit 90 milliards de plus.
  • Donc une décote de 100% (soit un défaut total) équivaudrait à 238 milliards d’euros de dépréciations, soit 96 milliards de pertes supplémentaires

Que l’on se rassure également, il paraît que ce qui arrive à la Grèce ne peut être qualifié d’événement de crédit (probablement parce que cela serait politiquement incorrect et surtout financièrement couteux pour des vendeurs de CDS grecs dans l’incapacité de payer ceux qui se sont assurés contre un défaut officiel de l’état grec)

On rappellera que selon l’ISDA, on peut recenser 4 cas de figure qui peuvent déclencher un événement de crédit : répudiation et moratoire sur la dette (solution la plus radicale empruntée par la Russie en 1998) ; restructuration/rééchelonnement (Argentine 2001) ; faillite (concerne les corporate et banques type Enron 2001, Worldcom 2002 , Northen Rock 2007 , Lehman 2008 car un état ne fait pas faillite mais défaut) ; défaut de paiement avec incapacité à payer en temps et en heure

On peut certes comprendre le risque systémique potentiel qu’il y aurait à officialiser la restructuration de la dette grecque en événement de crédit. Mais on doit aussi s’attendre à une crise de confiance encore plus forte vis-à-vis de la finance si ceux qui ont acheté des protections contre un événement défavorable ne peuvent les exercer lorsque celui-ci survient. Il ne doit plus s’agir pour la puissance publique de venir au secours de ceux qui ont investi sur la dette grecque (aléa moral) mais plutôt au secours des acteurs qui se sont couverts contre un défaut grec (puisque certains vendeurs d’options sur défaut grec ne seront pas en capacité d’assumer leurs obligations d’assureur)

En tout cas, si l’on fait un retour dans le passé en se concentrant sur les deux derniers grands défauts souverains, à savoir la Russie en 1998 et l’Argentine en 2001, force est de constater que la situation grecque ou ce qu’il risque d’en advenir n’est plus très éloigné des ces situations passées. La seule différence entre la Grèce 2011 (au-delà du fait que ce pays appartient à une zone monétaire) et ces défauts d’il y a 10 ans, c’est que l’on vit dans un système économique beaucoup plus instable

Défauts souverains : Russie 98 et Argentine 01

Petite retrospective sur les circonstances ayant entrainé les défauts de la Russie (1998) et de l’Argentine (2011). Analogie avec la situation grecque actuelle.

- plus de sophistication et de complexité des instruments financiers avec toujours plus d’innovations financières

- mondialisation et interactions entre les acteurs avec plus de risques de voir survenir une crise systémique potentielle.

- normes comptables et prudentielles pro-cycliques, c’est-a-dire qu’elles peuvent accentuer les périodes de dépression ou le gonflement des bulles. Ceci crée des risques permanents de crise de solvabilité pour tous les acteurs (entreprises, ménages, états..) lorsque les bulles éclatent et que les prix d’actifs financiers surévalués se retournent violemment

Tout ceci rend naturellement plus complexe la résolution des crises par des initiatives politiques , fussent-elles fortes

Mory Doré Octobre 2011

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