On parle alors de réunion ou de sommet de la dernière chance ou même de risques de fin du monde voire de retour de la guerre sur le sol occidental. L’actualité du Brexit et donc de l’éventuelle sortie du Royaume Uni de l’Union européenne est une nouvelle illustration de cette pensée catastrophiste qui n’a pourtant pas vu venir les grands drames politiques et économiques de ce 21ème siècle : l’islamisme radical qui gangrène les sociétés occidentales, la crise des migrants et sur le plan économique, la crise de la finance moderne et l’incapacité des économies à vivre sans les dispositifs non conventionnels des banques centrales
Expliquons-nous.
Tout d’abord, on ne doit pas confondre sortie de l’union Européenne et sortie de l’euro. Si vous sortez de l’euro, les conséquences peuvent être effectivement dommageables.
1/ Imaginons l’Italie sortant de la zone Euro. On peut dès lors imaginer une nouvelle Lire italienne baissant de 20 à 30 % vis-à-vis de l’euro, ce qui conduira l’état à faire défaut sur sa dette libellée en Euro détenue par des investisseurs non italiens et entraînera un véritable un choc systémique en dépit du renforcement des ratios prudentiels des banques depuis 5 ans. A l’autre extrémité, imaginons l’Allemagne sortant de la zone Euro. On peut, dans ce scénario, imaginer sans mal un nouveau mark allemand s’appréciant de 20 à 30 % vis-à-vis de l’euro, ce qui conduira à des pertes colossales sur les actifs libellés en Euros par les banques et investisseurs institutionnels allemands. Or, dans le cas de la Grande Bretagne, il existe déjà une monnaie nationale et quand bien même la chute du sterling serait sévère en cas de Brexit (parité sterling/dollar qui a déjà baissé de plus de 8% depuis 1 an et qui pourrait baisser davantage), la part de la dette publique détenue par des non résidents est faible (de 6% à 12% selon les sources) et donc le problème de son financement ne poserait pas de problèmes insurmontables.
2/Tout au plus peut-on craindre une aggravation du déficit extérieur. En effet, la baisse du sterling, si elle devait s’avérer significative et durable, aurait les inconvénients de la dévaluation avec une hausse de la valeur des importations (pas de possibilités de substitution comme dans tous les grands pays désindustrialisés) mais sans les avantages d’une hausse des exportations compte tenu d’une spécialisation sectorielle défavorable
3/ La coordination de la politique économique britannique avec les autres pays en tant que membre de l’Union européenne et non de la zone Euro, était déjà très faible. En quoi un Brexit changerait-il les choses ? Il y a plus de similitudes d’un point de vue macroéconomique entre un membre de l’UE hors zone Euro et un membre de l’EEE (espace économique européen composé de l’UE + Norvège, Islande et Lietchenstein) ou un membre de l’AELE (association européenne de libre échange composée de l’EEE + Suisse) qu’entre un membre de l’UE hors zone Euro et un membre de la zone Euro. Les chocs macroéconomiques (choc budgétaire, choc sur les coûts salariaux, choc fiscal) sont systématiquement compensés par un ajustement plus ou moins violent du taux de change Euro/ devise du pays hors zone Euro.
Pour conforter cette vision des choses, nous avons envie de revenir sur un papier fort instructif de Patrick Artus, patron des études économiques de Natixis publié en février dernier.
Ce papier banalisait à juste titre, pour le Royaume Uni, les risques de Brexit.
L’argumentation pleine de bon sens et que l’on a d’ailleurs peu lue chez tous ceux qui sont devenus des experts en risques post-brexit était la suivante : le Royaume-Uni est déjà un pays complètement différent de l’Europe Continentale et il existe des spécificités britanniques tellement fortes qu’on a du mal à évaluer ce qu’un Brexit modifierait dans le fonctionnement de l’économie du Royaume-Uni. L’analyse de Natixis passait en revue ces spécificités dans cinq domaines.
1/ La structure de l’économie britannique. L’industrie manufacturière y est bien moins représentée qu’en zone Euro. Alors que les services financiers et aux corporate y sont surreprésentés. Le Royaume-Uni affiche un déficit commercial structurel pour les biens industriels et un excédent structurel pour les services échangeables. Brexit ou pas, la structure du commerce extérieur britannique ne changera pas. Mieux, la balance commerciale du secteur manufacturier ne sera pas plus déficitaire tandis qu’il n’est pas du tout certain que la balance commerciale du secteur des services devienne moins excédentaire.
2/ L’autonomie de la politique monétaire et la flexibilité de la politique de change. Le Royaume Uni n’a jamais eu à gérer de manière difficile le triangle d’incompatibilité de Mundell. On rappellera que cette incompatibilité met en exergue le fait que l’on ne peut avoir tout à la fois fixité du change, liberté des mouvements de capitaux et indépendance de la politique monétaire. Il faut sacrifier l’un des trois côtés du triangle. Les britanniques peuvent à tout moment sacrifier le coté change (ajustement souvent rapide et violent du sterling contre dollar ou euro) ou le côté politique monétaire (on a vu la réactivité de la politique monétaire de la Bank of England face à la crise financière de 2008 avec l’instauration du quantitative easing en mas 2009 … janvier 2015 pour la BCE !!). Brexit ou pas, ces leviers de politique économique seront utilisés de la même façon et avec la même philosophie.
3/ La flexibilité de la politique budgétaire. Les contraintes budgétaires des pays de l’UE ne s’appliquent déjà pas au Royaume Uni. Les britanniques ont toujours su, mieux que quiconque faire jouer les fameux stabilisateurs automatiques de la conjoncture avec une gestion très souple de leur déficit public. Un Brexit ne changera pas la façon de gérer les finances publiques d’autant que la capacité des investisseurs institutionnels britanniques à financer le déficit public restera forte
4/ Le marché du travail britannique. Son fonctionnement est très différent de celui de beaucoup de marchés du travail de pays de la zone Euro. Cette flexibilité s’est d’ailleurs accrue ces dernières années avec l’apparition de nouvelles formes d’emploi, certes précaires (self employed et zero hours) mais qui font reculer réellement le chômage. Le Brexit n’empêchera pas l’économie britannique de renforcer ses dispositifs de lutte contre le sous-emploi.
5/ Enfin, les banques britanniques sont déjà soumises à une réglementation différente des banques de l’Union Européenne, puisque celles-ci suivent la règle Vickers et non pas les règles de l’UE. Ainsi ce sont les autorités britanniques qui interviendraient dans le cadre d’une résolution de faillite d’une banque britannique alors que pour toute autre banque de l’Union, c’est le mécanisme de résolution unique (MRU institué en janvier 2015) qui serait en charge de la gestion du plan de rétablissement, de sauvegarde ou de liquidation. Ainsi un Brexit ne remettrait nullement en cause le cadre de la réglementation prudentielle des banques du Royaume-Uni.
Alors si Brexit il y a, certes nous vivrons quelques séances de marché agitées : forte volatilité sur le marché des changes (avec une chute du sterling contre dollar, yen et dans une moindre mesure contre euro) ; aversion au risque forte avec une baisse des indices boursiers ; flight to quality qui provoquerait un réélargissement des spreads entre emprunts d’état des pays « vertueux » de la zone Euro et emprunts d’état des pays dits « périphériques » de la zone. Pour autant, nous ne pensons pas que cette situation créerait un retour de la crise des dettes souveraines en zone Euro telles que celles que nous avions connues dans les années 2010-2012 compte tenu de l’existence de mécanismes de stabilisation (renforcement de la capacité d’intervention du MES) et de l’institutionnalisation des dispositifs non conventionnels de la BCE (QE depuis le T1 2015 renforcé au T1 2016, possibilité de mettre en place en cas d’attaques spéculatives sur les actifs financiers d’un pays de la zone les Outright monetary transactions actés en septembre 2012 qui n’ont jamais été utilisés et qui ont pour objectif d’acheter la dette publique courte de ce pays moyennant son adhésion à un programme dit d’ajustement complet ou à un programme dit de précaution).
Par contre, nous pensons que ce qui sera le plus inquiétant à court terme pour les marchés financiers et que ce qui préoccupera le plus immédiatement les pays membres de la zone Euro devrait concerner les évolutions statutaires de certaines institutions européennes supranationales très actives sur les marchés de la dette.
Parmi celles-ci, nous devons citer la Banque européenne d’investissement (BEI). La BEI a pour actionnaires les 28 membres de l’UE. Les actionnaires les plus significatifs sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie (16% chacun soit autour de 39 Md€ puisque le capital souscrit total est de 245 Md€, dont 21 Md€ de capital effectivement versé et 222 Md€ de capital libérable ou appelable). Cet actionnariat souverain ainsi que l’importance du capital libérable expliquent que les obligations émises par la BEI bénéficient de la meilleure notation possible par les agences, AAA. Un Brexit générerait une volatilité forte sur le spread de crédit de cet émetteur supranational et donc sur le coût de financement de l’économie européenne pour une raison simple : les traités européens stipulent que pour être actionnaire de la BEI, il faut être membre de l’UE. Donc une sortie du Royaume Uni correspondrait en l’absence de recapitalisation ou de changements statutaires à une perte de capital appelable de l’ordre de 16% fois 222 Mds€, soit 35.5 Mds€. Ceci étant après digestion de ce choc, les marchés comprendront vite que l’institution BEI est d’une importance stratégique pour le financement à coût modéré de nombreux projets de développement économique en Europe. Les autorités européennes feront du maintien de la notation AAA de la BEI un impératif très fort.