Avec la dégradation de la note financière de la France, intervenue en début d’année, les Cassandre prédisaient le pire sur le marché de la dette française. Pourtant, force est de constater qu’il n’en est rien, pour le moment. Depuis la perte de son triple AAA chez l’une des trois principales agences de rating, en l’occurrence Standards & Poors, la France n’a pas vu le taux de ses emprunts d’Etat grimper en flèche. C’est même tout le contraire qui s’est produit. Aussi étonnant que cela puisse paraître pour certains observateurs, les investisseurs sont désormais prêts à perdre de l’argent pour prêter à l’Etat français.
Il faut en effet savoir qu’au cours de l’été, certains BTF (Bons du Trésor Français) ont été émis par l’AFT (Agence France Trésor) à des taux d’intérêts négatifs, pour des maturités de plusieurs mois. En clair, les investisseurs ayant acheté ces titres, récupéreront à leur échéance moins que le montant initialement investi !
C’est à se demander si les investisseurs n’oublient pas un peu trop vite que la dette de la France s’est établi, selon l’INSEE, à 1 789, 4 milliards d’euros, à la fin du premier trimestre 2012, soit près de 90 % de son Produit Intérieur Brut (PIB), en augmentation de 3,3 points par rapport au trimestre précédent.
Pour Frédéric Salomon, gérant chez Schelcher Prince, « c’est l’aversion au risque systémique lié à la crise de la dette des pays du sud de l’Europe qui justifie aujourd’hui des taux négatifs pour les emprunts d’Etat français ». En effet, malgré la crise de ses finances publiques, « l’Etat français reste malgré tout une des meilleures signatures de la zone Euro et bénéficie à ce titre du statut de valeur refuge » ajoute t-il. D’ailleurs, selon Eric Bourguignon, Directeur de la gestion taux et crédit, chez Swiss Life Asset Management, « beaucoup d’investisseurs considèrent en effet qu’il est préférable d’accepter de perdre un peu d’argent pour protéger leur capital en le plaçant sur des actifs réputés sûrs, que de chercher à en gagner en achetant des titres dont le remboursement leur semble incertain. « La persistance de taux d’intérêt négatifs sur les emprunts français à court terme reflète donc le haut degré de confiance que notre dette leur inspire ».
En clair, la France ferait donc figure de havre de paix sur les marchés obligataire, dans une zone euro, actuellement en pleine turbulence, malmenée par les préoccupations des investisseurs sur la situation financière de certains pays de l’Europe du Sud, tels que la Grèce, le Portugal, l’Espagne ou encore l’Italie.
Ce sentiment est partagé par les professionnels de la gestion obligataire que nous avons interrogés, tant en France qu’à l’étranger. Tous s’accordent à dire, à l’image de Lazard Frères, Sycomore AM ou encore Petercam en Belgique, qu’en dépit des niveaux de taux d’intérêt observés sur la dette française, on ne peut pourtant pas parler de la présence d’une bulle sur ce marché, y compris sur les BTF.
Selon Benjamin Le Roux, Responsable de la Gestion taux de Lazard Frères Gestion, « l’appréciation de la valeur relative des bons du Trésor français doit se faire en fonction d’un scénario même si la situation de rendements négatifs reste atypique. Dans le cas où l’on considère que la France sera capable de rassurer les marchés financiers sur sa capacité à honorer ses engagements en terme de réduction de son déficit budgétaire, on peut envisager que les rendements actuels se maintiennent notamment en cas de baisse supplémentaire des taux directeurs par la BCE ».
Malgré cette opinion, ces professionnels semblent réticents à investir sur la dette française, en raison du faible niveau de rémunération offert.
C’est notamment le cas de Swiss Life Asset Management ou de Sycomore AM par exemple, qui tendent à privilégier les obligations d’entreprises, offrant de meilleures perspectives de rendement, notamment sur le compartiment du High Yield. En effet, « une fois retiré le niveau anticipé d’inflation dans les années à venir, le taux réel des OAT – Obligations Assimilables du Trésor – de maturité 10 ans, est proche de 0 » ajoute Emmanuel de Sinety, gérant chez Sycomore AM. Bref, de quoi laisser sur leur faim plus d’un gestionnaire de fonds.
Certains d’entre eux sont toutefois contraints de respecter un certain niveau de « tracking error » par rapport à leur benchmark de référence. Carl Vermassen, gérant du fonds Petercam Bonds Eur, en fait partie. Son objectif est de surperformer l’indice JPMorgan EMU Government Bond Total Return. Cela l’oblige en quelque sorte, à détenir des obligations de l’Etat français, quel qu’en soit le prix. Pourtant, vu les niveaux actuels, il a délibérément fait le choix de réduire son exposition aux OAT françaises, à 19,3% contre 24,7% pour son indice de référence, au 31/07/2012.
Bref, en l’état actuel des choses, les gérants interrogés ne semblent pas vouloir renforcer leur allocation en OAT. Il faut dire qu’il n’est pas exclu que ces dernières fassent l’objet d’attaques spéculatives dans un futur proche si les efforts budgétaires de la France ne sont pas respectées, comme le souligne Frédéric Salomon.
« Les investisseurs devraient se méfier parce que les entreprises françaises ont perdu en compétitivité au cours de la dernière décennie et les coûts salariaux sont plus élevés qu’en Allemagne » avertit John Gilbert, CIO de General Re-New England Asset Management, filiale de Beksire Attaway, bras financier du milliardaire Warren Buffett. « Nous ne savons pas si les marchés vont changer leur regard sur la France », indique Gilbert. « Il est possible que la France continue à bénéficier de la grosse taille de son marché obligataire, suffisant pour absorber les flux vendeurs, mais elle devrait payer aujourd’hui des taux à 10 ans de l’ordre de 4.5% à 5%, plus proches des taux italiens et espagnols que des taux allemands », avertit-il.
D’autres facteurs pourraient également faire remonter les taux français. La fixation d’un objectif de taux plafonds sur les taux espagnols et italiens par Mario Draghi, patron de la BCE, pourrait ramener la confiance et inciter les investisseurs à se repositionner sur les obligations souveraines périphériques.
D’autre part, les OAT françaises, comme les Bunds allemands et les obligations néerlandaises ont énormément performé depuis le début de la crise et certains investisseurs commencent à prendre leur bénéfice. C’est le cas de Swiss Life. « En mai et juin, nous avons vendu pour 7.8 milliards CHF (6.5 milliards d’euros) en obligations d’Etat (essentiellement France, Allemagne, Pays-Bas ndlr) de la zone euro et ainsi réalisé un gain de 0.9 milliard CHF (0.75 milliard d’euros) », a déclaré Thomas Buess, Directeur Financier de l’assureur-vie suisse qui disposait encore de 6.096 milliards CHF (5.08 milliards d’euros) d’obligations françaises en fin d’année 2011 et n’en détenait plus que 3.376 milliards CHF (2.81 milliards d’euros) en fin juin 2012. Les OAT restent néanmoins la plus grosse position en obligations souveraines de la Zone Euro dans le portefeuille de l’assureur.
Les positions en obligations allemandes sont passées de 4.57 milliards CHF (3.81 milliards d’euros) à 1.68 milliard CHF (1.40 milliard d’euros) et celles en obligations néerlandaises sont passées de 1.90 milliard CHF (1.58 milliard d’euros) à 1.26 milliard CHF (1.05 milliard d’euros).
L’assureur-vie parie dorénavant sur les T-notes.
La détention en obligations américaines a progressé de 2% à 18% dans son portefeuille d’obligations souveraines, passant de 0.762 milliard CHF (0.635 milliard d’euros) fin 2011 à 7.59 milliards CHF (6.33 milliards d’euros) fin juin 2012.