Les quotas d’émission sont à la fois des actifs physiques et financiers. Les informations recueillies, durant la phase pilote du système EU ETS (2005-2007) et depuis le début de la phase II (2008-2012), permettent d’identifier un certain nombre de déterminants de leur prix. Comme pour tout actif, il est alors possible d’étudier l’écart potentiel entre la valeur observée sur le marché et la valeur dictée par les fondamentaux.
Les phases I et II de l’EU ETS diffèrent aussi bien en termes d’expertise, de caractéristiques (liquidité et profondeur financière) que de règles de régulation du marché du carbone. Etant donné ces différences et compte tenu du fait que peu de travaux ont été menés jusqu’ici sur la phase II, il est particulièrement pertinent de tester si les résultats et mécanismes mis en évidence pour la phase I sont applicables à la phase II. Plus spécifiquement, les déterminants identifiés pour la phase I, comme les prix de l’énergie, divers indicateurs de l’activité économique et les choix de combustibles sont-ils toujours valables pour expliquer le prix du quota européen à partir de 2008 ? Ces déterminants évoluent-ils suivant une relation stable de long terme avec le prix du CO2 ?
Les techniques économétriques de cointégration permettent de rechercher et estimer une relation stable de long terme entre prix du CO2 et fondamentaux. En les appliquant aux données quotidiennes relatives aux contrats à terme (futures), nous avons d’abord pu montrer qu’une telle relation d’équilibre existe. Autrement dit, l’évolution des prix du CO2 peut s’expliquer par la dynamique des trois fondamentaux que sont le prix du pétrole brut (ICE Brent futures index), l’activité économique (approximée par l’indice boursier Euro Stoxx 50) et les coûts de changement technologique (switch gaz/charbon).
Cette relation d’équilibre entre prix du quota carbone et ses fondamentaux diffère cependant entre les deux périodes et se caractérise par un rôle croissant des fondamentaux durant la phase II. Le calcul des prix d’équilibre obtenu à partir de cette relation montre toutefois que les prix du quota européen tendent à être quasi-systématiquement sous évalués depuis la fin de l’année 2009, jusqu’à 30 % fin 2010. L’une des raisons est que les secteurs non énergétiques ont été particulièrement touchés par le ralentissement de l’activité économique, augmentant l’offre de quotas à demande égale et conduisant à un déséquilibre de conformité proche de celui observé en début de phase I. Toutefois, l’écart apparu depuis 2009 entre prix observés et valeurs estimées ne peut totalement s’expliquer par l’effet crise.
Les raisons de cette sous-évaluation semblent plus profondes. Elles renvoient d’abord aux incertitudes sur les règles précises de fonctionnement du marché d’ici 2020 et encore plus durant la phase suivante. À ces incertitudes s’ajoutent les épisodes frauduleux enregistrés au début de l’année 2010 qui ont considérablement amplifié le manque de confiance des acteurs dans le marché. Par ailleurs, l’équilibre offre-demande exact du marché est rendu encore plus difficile à anticiper du fait de l’utilisation potentielle de crédits Kyoto (MDP, MOC), qui contribue à une augmentation de l’offre d’actifs carbone. Enfin une certaine inconnue persiste quant à l’impact du passage à un régime d’enchères majoritaire pour la phase III de l’EU ETS à compter de 2013. Il pourrait modifier l’arbitrage des acteurs d’une part, mais également créer l’opportunité pour la Commission européenne d’établir une gestion du prix du carbone par la modification de l’offre de quotas, d’autre part.
Notre analyse suggère que le marché a besoin d’une plus grande clarté et prévisibilité sur ses règles de fonctionnement et le niveau de la contrainte qui pèsera à long terme sur l’offre de quotas.