Après avoir été relativement épargnée par la crise financière, l’industrie de la gestion alternative a été prise dans la tourmente, à la fin de l’année dernière. Les gérants de fonds de « hedge funds » font face à leur tour, depuis quelques mois, à une profonde crise de liquidité. Celle-ci se traduit par une décollecte massive de la part des investisseurs (souvent conjuguée à un effet de marché négatif) et la dégradation de la liquidité de certains fonds sous-jacents dans lesquels le gérant avait investi. Qui plus est, les gérants de fonds à levier sont parfois amenés à vendre en catastrophe une partie de leurs actifs, lorsque le « prime broker » - en général une grande banque d’investissement - cesse de financer la part endettée des fonds. Les fermetures de fonds ou les déclarations de défaillance des sociétés de gestion se succèdent, la plus tapageuse étant sans conteste, la faillite récente du fonds Madoff.
Puisque cette crise semble impliquer tous les acteurs de la gestion alternative indirecte, de l’investisseur au multi-gérant, en passant par les gérants directs des fonds alternatifs, elle induit naturellement plusieurs risques de liquidité. Après avoir brièvement présenté ces concepts, nous rappellerons quand et comment se manifestent ces divers risques de liquidité, avant de recenser et d’étudier les instruments dont disposent les gérants pour soigner ces maux financiers bien actuels.
Selon Vernimmen, le risque de liquidité se définit comme le risque de ne pouvoir vendre un titre financier à son prix.
Nous avons mis en évidence le principal déterminant du risque de liquidité d'un investisseur dans un fonds de « hedge funds » : il s'agit du risque de liquidité sur les fonds alternatifs dans lesquels le multi-gérant a choisi d'investir les capitaux du souscripteur initial.Florent Pivert
Du côté de l’investisseur, dans un fonds de fonds alternatifs, ce risque se traduit soit par l’impossibilité, d’avoir l’ordre de rachat qu’il a transmis, totalement honoré, à un moment donné, soit par l’exécution de son ordre à un prix différent du prix souhaité. De manière corollaire, si le gérant ne peut pas rembourser le porteur de parts, cela signifie que les actifs qu’il gère sont devenus moins liquides. Autrement dit, certains fonds alternatifs dans lesquels le multi-gérant a investi sont plus difficiles à vendre. A fortiori, le gérant du fonds alternatif n’est pas capable d’honorer l’ordre de rachat du multi-gérant car les instruments financiers détenus en portefeuille sont devenus beaucoup moins liquides qu’avant.
Illustrons à présent notre raisonnement, en représentant sur un même schéma, les différents acteurs et leurs rôles respectifs, dans le processus de rachat des parts d’un fonds de fonds alternatifs, initié par un investisseur A. A l’autre bout de la chaîne, le gérant du fonds alternatif 1 ne réussit pas à vendre un actif financier au prix souhaité parce que la contrepartie (ici l’investisseur X) exige d’acheter le titre à un prix « cassé ».
Le schéma met donc en avant plusieurs risques de liquidité tous fortement corrélés :
le risque de liquidité pour l’investisseur dans le fonds de fonds alternatifs,
le risque de liquidité pour le gérant du fonds de fonds ;
et le risque de liquidité pour certains gérants des fonds alternatifs.
Outre ces trois risques de liquidité, la gestion multi-alternative est parfois exposée à un autre risque de liquidité, lorsque le fonds dispose d’un levier d’endettement supérieur à 1. En effet, si jamais la banque, qui a octroyé au multi-gérant un financement à très court-terme, décide subitement de récupérer le montant du notionnel, à la prochaine échéance, alors le gérant sera obligé de céder une partie de ses actifs à des conditions de marché déplorables, pour honorer ainsi son créancier.
Nous avons mis en évidence le principal déterminant du risque de liquidité d’un investisseur dans un fonds de « hedge funds » : il s’agit du risque de liquidité sur les fonds alternatifs dans lesquels le multi-gérant a choisi d’investir les capitaux du souscripteur initial. Un incident ou une dégradation de la liquidité sur les classes d’actifs du fonds alternatif aura des répercussions immédiates sur la liquidité du fonds de fonds. Compte tenu de cette observation, nous pouvons donc limiter notre analyse à la description des principaux cas d’école au cours desquels les gérants de fonds alternatifs ont été amenés à réduire la liquidité de leurs actifs sous gestion.
Le premier cas est la création d’une poche d’actifs « illiquides » par le gérant d’un fonds alternatif. Cet événement se produit, par exemple, lorsque le gestionnaire détecte dans le portefeuille du « hedge fund » des classes d’actifs qui resteront très peu liquides à long terme. En pratique, le gérant isole ensuite les instruments « illiquides » dans une nouvelle part du fonds - la part de la « side pocket » - qui représentera X % de l’actif net du fonds. Ainsi, un multi-gérant qui voudrait céder sa position dans ce fonds alternatif, ne pourrait vendre instantanément que les parts liquides du fonds, c’est-à-dire 1-X % de son ordre initial, avant la création des parts associées à la « side pocket ».
Le deuxième cas est l’activation par le gérant du fonds alternatif d’un mécanisme de réduction des ordres de rachat, en fonction d’un taux prédéfini dans le prospectus du fonds alternatif, ce taux « plafond » étant exprimé en pourcentage de l’actif net. L’événement - on parle aussi d’activation de « gate » - interviendra le plus souvent si les cessions d’actifs financiers du portefeuille, effectuées par le gérant direct, ne permettent pas d’honorer les rachats de parts, en provenance du multi-gérant. En France, l’AMF impose d’annoncer aux porteurs de parts, le déclenchement de la « gate » et le pourcentage des ordres finalement honorés. En pratique, ce mécanisme est généralement disponible dans les prospectus des fonds mensuels ou trimestriels.
Le troisième cas est la décision du gérant du fonds alternatif de suspendre tous les ordres de rachat, pendant une période déterminée. Selon la réglementation en vigueur, cet événement est annoncé aux porteurs de parts et s’inscrit le plus souvent dans le cadre d’une suspension du calcul de la valeur liquidative. Elle prend effet aussitôt après l’annonce effectuée et s’applique à tous les ordres de rachat, tant que le gérant n’a pas décidé de reprendre la publication de la valeur liquidative.
Ces derniers mois, la plupart des gérants de fonds de fonds alternatifs ont été confrontés à plusieurs des cas d’écoles précédents. Pour lutter contre la détérioration de la liquidité des fonds alternatifs dans lesquels il a investi, le multi-gérant dispose à son tour des mêmes instruments que les gérants de « hedge funds ». Outre la création d’une part de « side pocket », l’activation du mécanisme de « gate » sur les ordres de rachat, ou bien encore la décision de suspendre les ordres de rachat, le multi-gérant peut choisir d’autres outils, notamment :
le changement du rythme de publication de la VL allié à la modification de la fréquence de transmission des ordres de rachat ;
l’application des décotes à certaines lignes de fonds alternatifs devenus très peu liquides ;
la décision de procéder à la liquidation du fonds de fonds.
A défaut de décrire ces différents mécanismes dans les moindres détails, nous avons tenté de les classer par degré d’efficacité.
Nous rangeons dans le compartiment des instruments inefficaces, la modification de la fréquence de la VL ainsi que l’activation d’un taux de « gate ». Ces mécanismes agissent le plus souvent comme des goulots d’étranglement, puisque les rachats partiellement honorés, dans le cas d’une « gate » activée, sont reportés sur la prochaine VL. A l’inverse, la création d’une part de « side-pocket », et l’application de décotes sous la forme de provisions, doivent être mises dans la classe des outils les plus efficients. Leur emploi permet effectivement de transférer une partie du risque de liquidité à tous les investisseurs. Notre classification exclut volontairement la liquidation du fonds et dans une moindre mesure la suspension des rachats, deux mécanismes dont l’emploi intempestif nuit considérablement à la réputation de la société de gestion.
Cependant, lorsque le multi-gérant veut utiliser les outils précédents pour transférer son risque de liquidité aux investisseurs, il est tributaire de la législation en vigueur dans le pays du fonds. Le régulateur, qui veille au respect du principe de l’égalité des porteurs de parts, impose au gérant de suivre une procédure précise, plus ou moins lourde selon les pays, mais dont la mise en œuvre sera parfois source de risques opérationnels.