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Philippe Mills : « Cette année, la moitié des acheteurs nets de la dette française vient d’Asie et du Moyen-Orient »

Quel est le rôle de l’Agence France Trésor (AFT) ? Qui détient la dette française ? Comment sont réalisées les émissions d’OAT et de BTF ? Philippe Mills, Directeur Général de l’Agence France Trésor répond aux questions de Next-Finance…

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NEXT FINANCE : Comment est perçue la dette française à l’étranger ? quel bilan faites-vous des roads shows de l’AFT auprès des investisseurs asiatiques, américains ou orientaux ?

Philippe Mills : Par définition, une agence de la dette, c’est l’organisme qui, par fonction, va avoir le point de vue le plus complet sur les mouvements, les flux, en quantité et en prix, sur la dette de l’Etat.
Dans le cas de l’Agence France Trésor, cela est encore plus vrai, car nous sommes une des agences effectuant le plus de manifestation chaque année afin d’avoir un contact direct avec les investisseurs.

Nous effectuons des road shows, où nous nous déplaçons à la rencontre des investisseurs. En 2011, nous avons été dans 38 pays, rencontrant ainsi une centaine d’investisseurs. Nous participons à des conférences, une quinzaine par an, nous permettant d’en voir une autre centaine. Nous organisons aussi des conférences téléphoniques, ainsi que des reverse road shows où les investisseurs se déplacent et viennent nous rencontrer dans nos locaux.

Au total, nous voyons en direct plusieurs centaines d’investisseurs chaque année.

Nous disposons également des flux d’informations au travers des rapports harmonisés au niveau européens fournis par les 20 banques spécialistes des valeurs du Trésor. Leur mandat les oblige à nous fournir toutes les informations et les flux qu’ ils observent sur la dette française. Nous obtenons ainsi des informations détaillées sur ceux qui vendent et achètent la dette française.

Les niveaux de taux d’emprunts français sont exceptionnellement bas. Comment l’expliquez-vous ?

Nous avons constaté que la dette française a toujours été appréciée par les investisseurs. Elle a toujours fait partie des dettes les mieux notées, les plus liquides et les plus diversifiées.

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Crédits Photos : MINEFI / SG © Alain Salesse

Il y a eu un léger moment de tension sur la dette française, entre octobre et novembre 2011 mais il existait en fait sur l’ensemble des dettes de la zone Euro, à l’exception de l’Allemagne. Cela était dû aux problèmes perçus de gouvernance de la zone Euro. Il n’y avait pas de craintes spécifiques sur la France, mais plutôt sur les banques françaises et leur exposition aux pays périphériques.

En janvier 2012, dès que les craintes se sont estompées, notre spread a sensiblement diminué. Les taux français sont alors restés très stables avec peu de mouvements en prix. Puis un nouveau resserrement s’est opéré à partir du printemps. Nous nous sommes retrouvés avec des taux très bas, défiant les pronostics de certains analystes.

Cela s’explique par le fait que le volume des actifs sûrs a eu tendance à diminuer durant cette crise, d’abord par catégorie d’obligations, puis par émetteurs obligataires et ensuite par type d’émetteurs les mieux notés. Aujourd’hui un nombre important d’investisseurs se restreignent à n’acheter que de la dette américaine, anglaise, allemande, néerlandaise et française. Ils achetaient auparavant de la dette espagnole et italienne. Ils n’en achètent plus actuellement, même si, suite aux actions de la BCE, cette situation peut se modifier.

Parmi les acheteurs de la dette française, il y a une forte part de Banques centrales et de fonds souverains (environ 50%). Il y a ensuite une part d’asset managers assez importante, puis des assureurs et des fonds de pension.
Philippe Mills

Y a-t-il un phénomène de « redomestication » de la dette française ? Quels sont les investisseurs qui achètent aujourd’hui de la dette française ?

Concernant les investisseurs, il faut noter que beaucoup d’entre eux posent peu ou pas de questions sur la France. Cela peut paraître curieux, mais ils ont surtout des questions sur la zone Euro et son environnement, sur la Grèce, sur l’Italie, sur l’Espagne, sur la BCE, sur les mécanismes de secours, temporaires ou permanents.

Mois après mois, nous obtenons via les SVT, un recensement de ceux qui ont acheté et vendu en net sur la dette française, par catégorie d’investisseurs et par zone géographique.

Il y a une forte part de Banques centrales et de fonds souverains (environ 50%). Il y a ensuite une part d’asset managers assez importante, puis des assureurs et des fonds de pension. Il y a enfin les banques commerciales, mais leur part s’est fortement réduite au fil de la crise (10% en 2012).

Cette année, la moitié des acheteurs nets de la dette française vient d’Asie et du Moyen-Orient contre 33% en 2011 et 20% en 2010. Environ 30% des acheteurs nets sont issus de la zone Euro, avec une part importante d’acheteurs français dont de nombreuses compagnies d’assurance. La proportion des acheteurs français est en général plus importante pour les OAT que pour les BTAN ou les BTF, dans la mesure où les assureurs français ont une préférence pour des maturités longues.

Il n’y a donc pas de phénomène de « redomestication » de la dette française. Celle-ci reste très diversifiée, avec beaucoup d’achats de banques centrales et de fonds souverains de pays situés hors zone Euro.

Les émissions sont-elles réalisées suivant des besoins de l’AFT ou de ceux des investisseurs ?

Nous avons deux objectifs lors de la réalisation de nos émissions, la sécurité maximale et le coût le plus faible. Pour un gros émetteur comme la France, la meilleure façon de les obtenir, est d’avoir une politique d’émission prévisible, via des annonces régulières et des montants réguliers. Vous devez également avoir comme souci, la construction d’une courbe la plus complète possible et la plus liquide possible sur toutes les maturités. Il faut également pouvoir faire des arbitrages entre maturités et durée de vie des émissions. Voilà comment est élaborée la courbe française !

Nos émissions viennent donc satisfaire ces critères. La répartition s’adapte à la demande adressée via les SVT.

Cependant, pendant les périodes de tension, nous augmentons les titres courts, car nous savons qu’il y a un déficit temporaire résiduel important qui va apparaître et que nous allons satisfaire via ces titres courts. Quand le déficit se résorbe, nous réduisons les titres courts, et nous revenons à une part moyenne des titres courts dans la part de la dette globale. C’est ce que nous faisons de façon systématique depuis 2010. Nous avons eu un pic de 18% de BTF fin 2009, contre 15% fin 2010 et 13% fin 2011. Nous en serons à 12% fin 2012.

In fine, la politique d’émission est un équilibre entre l’offre avec ses caractéristiques, et la demande adressée.

Nous avons de nouveau testé une émission à 50 ans en juin dernier et nous avons obtenu 700 millions d’euros à 3.27%, le taux le plus bas jamais atteint pour une émission de cette maturité.
Philippe Mills

De grands corporates ou même souverain, notamment le Mexique, ont réussi à émettre à 50 ans, avec un certain appétit de sociétés d’assurances ou des fonds de pension. L’AFT a procédé à ce type d’émission de très longue maturité par le passé, comptez-vous y revenir ?

Oui, nous sommes intéressés par des émissions de maturité très longue. C’est une demande de niche et nous souhaitons la servir. Nous avons lancé le nouveau OAT 2060 en mars 2010, avec pour objectif d’émettre 3 milliards d’euros, nous en avons finalement émis 5 milliards.

Nous l’avons de nouveau testé en juin dernier et nous avons obtenu 700 millions d’euros à 3.27%, le taux le plus bas jamais atteint pour une émission à 50 ans. Il est d’ailleurs possible que nous réémettions sur ce type de maturité même si pour cela il faudrait un contexte porteur en terme de volatilité.

Par ailleurs, la comparaison avec les corporates ou les souverains émergents n’est pas probante. Nous, lorsque nous émettons des obligations pour des maturités données, nous souhaitons que les points soient comparables sur tous les points de la courbe. Ce qui n’est pas le cas pour les corporates ou pour les émetteurs émergents.

D’autre part, quand un corporate émet sur 50 ans, il obtient quelques centaines de millions d’euros, ce n’est pas tout à fait la même chose. Vous pouvez, lorsque vous émettez pour 200 millions d’euros, trouver un ou deux investisseurs vous permettant de conclure votre deal. Quand vous émettez pour 3 milliards, il faut au minimum plusieurs dizaines d’investisseurs et que cela corresponde à une vraie demande.

L’inflation reste un thème majeur pour les investisseurs, certains redoutent l’effet inflationniste de l’abondance de liquidités sur les marchés. A ce sujet, où en est votre programme d’OATi/OATei ?

Qu’il y ait plus d’appétit sur l’inflation sans doute, mais nous, nous serions assez prudents. Il y a aussi des risques de récession, et on observe une oscillation assez forte entre risque d’inflation et risque de désinflation. Par ailleurs les banques centrales semblent respecter leur objectif d’inflation. Pour nous, les OATi/OATei sont des instruments utiles mais dans un contexte d’inflation à long terme stable.

Nous avons construit deux courbes sur l’inflation, une française et une européenne, aussi complètes que possible, même si elles le sont moins que la courbe nominale.

Nous annonçons régulièrement les montants à émettre. Nous essayons toujours d’émettre environ 10% à moyen long terme sur des obligations indexées sur l’inflation par rapport au programme total annuel net des rachats.

Nous avons effectué des calculs économétriques, afin d’évaluer la part optimale de dettes indexées sur l’inflation dans le pourcentage total de la dette. Il s’agit de faire bénéficier au mieux l’Etat, de la prime de risque de protection qu’il donne à ceux qui achètent ses titres indexés au regard du lien qui existe entre dépenses et ses recettes avec l’inflation en général. Nous avons déterminé que le stock optimal de dettes indexées doit être compris entre 10 et 20%. Aujourd’hui nous en sommes à 12% de la part de dette indexée sur l’inflation par rapport à la dette totale, nous en sommes satisfaits.

Eurex a lancé des contrats à terme sur les OAT. Certains politiciens s’alarmaient d’un risque de spéculation accrue sur la dette française. Est-ce votre avis ? Comment percevez-vous cette évolution ? Est-ce un plus pour la liquidité des OATs ?

Je rappelle que ces produits ont été lancés par une entreprise privée, de surcroît allemande. L’ AFT n’avait donc aucun pouvoir d’autorisation pour ce genre d’initiatives. Cela n’a pas toujours été très clair dans l’esprit de certains commentateurs.

Il existe des futures sur la dette allemande, américaine, anglaise et italienne. Donc le lancement de futures sur la dette française n’est pas une surprise.

Ces outils, les contrats à terme sur OAT, peuvent permettre d’améliorer la liquidité des titres français, au moins marginalement. D’ailleurs cela a été constaté avec a aujourd’hui plus d’un million et demi de contrats réguliers de futures OAT. Si les volumes restent loin des volumes des contrats sur le Bund allemand, ils sont supérieurs aux volumes de contrats sur le BTP italien. Cela a joué un rôle positif sur la liquidité, au moins à la marge.

En termes d’outils spéculatifs, ils ne sont pas les seuls, loin de là. On peut spéculer avec le cash, on peut spéculer avec les CDS. Et s’il y a bien un marché prône à la spéculation, c’est celui des CDS. Par définition, vous avez une relation triangulaire entre le contrat future, le cash et le marché des repos. Les prix des futures sont liés étroitement au prix du cash et du marché du repo. Ils reflètent peut être beaucoup mieux les tendances que ne le font les CDS.

Néanmoins, ce produit a été lancé en avril 2012, il y avait alors une certaine décorrélation entre la dette française et la dette allemande. Aujourd’hui, il y a une recorrélation assez nette. Est-ce que l’outil va garder son intérêt ? A voir.

Avez-vous déjà exécuté l’ensemble de votre programme d’émissions ?

Quasiment 92,8% du programme a déjà été exécuté. Nous avons émis 165,2 milliards d’euros [1] sur 178 milliards prévus. Les objectifs que nous nous fixons sont nets des rachats de dette. Nous avons procédé à des rachats de dette de façon significative en 2010 et 2011, et nous continuerons cette politique. Le but étant de lisser le montant des tombées de dettes qui arrivent à échéance, et faire en sorte que les profils d’émissions suivent au mieux l’évolution de réduction des déficits.

Nous avons les autorisations pour émettre sur toutes les devises OCDE, et notamment en dollars. Mais avant de procéder à une telle émission, il faudrait analyser plusieurs critères.
Philippe Mills

Certains émetteurs publics français, notamment la CADES, émettent en dollars. Cela n’a jamais été le cas de l’AFT, pourquoi ?

Nous avons les autorisations pour émettre sur toutes les devises OCDE, et notamment en dollars. Mais avant de procéder à une telle émission, il faudrait analyser plusieurs critères.
Quel degré de demande allons-nous servir ? Y a-t-il une justification financière à une opération de cette nature ? Allons-nous nous refinancer moins cher en dollars qu’en euros ? Par ailleurs, il faudrait s’assurer que les investisseurs intéressés ne substituent pas des OAT en euros contre des OAT en dollars. Le gain serait alors marginal. Il faudrait donc attirer de nouveaux investisseurs, sachant que notre base est déjà très large et très diversifiée.

D’autres critères, plus complexes, relevant du comportement des acteurs financiers doivent également être étudiés. Comment serait perçue une émission en dollars par les opérateurs et les analystes ? Quel signal pour le marché en euros ? De surcroit, l’AFT dépendant du Ministère des finances, certains observateurs pourraient l’interpréter comme une émission en dollars du gouvernement français dans un contexte de turbulences de la zone euro.

Néanmoins, comme vous le mentionnez, un investisseur intéressé par le risque « France » en dollars peut souscrire aux obligations émises en devise par d’autres opérateurs publics comme la CADES. On peut y voir une répartition des rôles. La CADES notamment, profite aussi du fait que l’AFT ne soit pas présent sur ce segment pour émettre en dollars dans de meilleures conditions.

Continuez-vous votre politique de swaps ?

Non, les conditions ne sont actuellement pas réunies en terme de volatilité des taux et des niveaux des taux longs. La politique de swaps est donc suspendue mais elle est étudiée régulièrement via des modèles d’analyses de marchés. L’encours des swaps a significativement baissé et est aujourd’hui de 11 milliards d’euros contre 50 milliards il y a quelques années.

La politique de swaps avait été approuvée par le parlement et revue par la cour des comptes avec comme objectif la réduction de la duration de la dette. Si nous souhaitons l’utiliser dans l’autre sens, c’est à dire augmenter la duration de la dette, il faudrait redemander l’approbation de la cour des comptes et du parlement.

F.Y , RF Octobre 2012

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Voir en ligne : Focus Dette Francaise

Notes

[1] Montant des émissions en date du 5 octobre 2012

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