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Que nous réserve l’avenir ?

Il est facile de dire que la faiblesse des taux d’intérêt encourage l’investissement dans des actifs plus spéculatifs. Mais pouvons-nous réellement nous attendre à ce qu’une population plus âgée renforce son exposition à des investissements spéculatifs ? Les investisseurs institutionnels sont confrontés au même dilemme.

Vous rappelez-vous de l’adage « tout ce qui monte doit redescendre » ? Rares sont ceux à le citer de nos jours sur les marchés des emprunts d’État. Les prix restent résolument orientés à la hausse et les rendements à la baisse. Les emprunts d’État à court terme en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Finlande, en Suède et en Suisse (pour n’en citer que quelques-uns) se traitent à des niveaux de rendement négatifs. À cet égard, il convient de noter que la Suisse emprunte à 0,011% sur 10 ans, soit un taux inégalé dans l’histoire des obligations souveraines. Même la Finlande, un pays pourtant très dépendant des échanges commerciaux avec la Russie et qui partage une longue frontière avec ce voisin imprévisible, est parvenue à céder des obligations à cinq ans à un taux de rendement effectif de -0,017%. La Suède, dirigée par une coalition de centre gauche plutôt instable, a vu son niveau d’endettement global s’accroître de 68% au cours des sept dernières années. Or, cela n’a pas empêché le pays d’émettre des obligations à quatre ans assorties d’un taux de rendement négatif de -0,05%. Il est estimé que le volume investi dans des titres à coupon négatif s’élève actuellement à 2 000 milliards USD.

Il est désormais nécessaire de s’aventurer bien plus loin pour espérer identifier des niveaux de rendement supérieurs à 2%.

Par exemple, le Portugal qui constitue le pays européen le plus pauvre après la Grèce, a récemment émis une obligation à 10 ans avec un rendement de 2,51%, soit un point bas record. Les États-Unis commencent à offrir de nouveau plus de 2% sur leur papier à 10 ans. Dans le sillage de six années d’assouplissement quantitatif, les États-Unis affichent enfin des signes de croissance, le taux de chômage ayant chuté à 5,7% contre 6,6% et 8% il y a respectivement un et deux ans. Le chômage se rapproche de la récente estimation par la Fed de l’indice NAIRU (« Non-Inflationary Rate of Unemployment ») entre 5,2% et 5,5%. De nombreux commentateurs de marché anticipent une première remontée des taux d’intérêt au cours des 4 à 6 prochains mois. Selon nous, la Fed devrait continuer d’hésiter grandement à relever ses taux d’intérêt, craignant de remettre en cause la reprise économique embryonnaire actuelle. En outre, la banque centrale devrait chercher à éviter toute nouvelle appréciation du dollar qui pourrait pénaliser les conditions d’échanges commerciaux du pays.

Dans le contexte actuel, le fait le plus remarquable, au-delà des niveaux de taux d’intérêt observés, tient au sentiment d’insouciance qui prévaut sur le marché. Il semblerait que les acteurs perçoivent cet environnement comme normal et dénué de raisons de s’inquiéter, confortés dans leur conviction par des taux d’intérêt extrêmement faibles, voire négatifs. En temps normal, on pourrait s’attendre à ce que des niveaux accrus d’endettement se traduisent par un coût plus élevé du capital et une hausse des taux de rendement.

Or, la situation actuelle semble différente, à l’instar du scénario qu’a connu le Japon pendant de nombreuses années. À l’époque, nous ne devions pas nous inquiéter de la situation du Japon au motif que sa dette était financée par l’épargne locale. Peut-on tirer à présent la même conclusion pour le reste du monde ? Certainement pas. D’après une récente étude réalisée par McKinsey, la dette mondiale s’est envolée de 57 000 milliards USD au cours des sept dernières années à environ 200 000 milliards USD. Avant la crise financière en 2007, ce niveau correspondait à 270% du PIB, contre 286% actuellement. Il est intéressant de noter que la dette publique a enregistré en agrégé une hausse annuelle de 9,3% depuis que la crise financière a éclaté il y a sept ans, tandis que l’endettement du secteur financier et des ménages n’a progressé que de 2,9% et 2,8% respectivement.

On ne peut exclure que les niveaux d’endettement des gouvernements continuent d’augmenter à un rythme soutenu et que les taux d’intérêt resteront durablement bas. Nous dirigeons-nous vers un scénario à la japonaise ? C’est possible.

À l’instar du Japon, nos populations sont vieillissantes. Cela signifie qu’une partie plus significative de la population sera de plus en plus dépendante d’une source de revenus réguliers qui cependant fera défaut. Cette crainte de ne pas bénéficier de revenus suffisants devrait se traduire par des comportements de consommation plus conservateurs. Si les personnes craignent de ne pas être en mesure d’assurer leurs fins de mois durant leur retraite, fort est à parier qu’ils reverront à la baisse leurs habitudes de consommation. Ils chercheront à épargner autant que possible en prévision de la période de vache maigre à venir. En d’autres termes, toute la question est de savoir si ces populations vieillissantes à travers le monde feront preuve de plus de prudence dans leurs dépenses et si ce comportement se traduira par une croissance du PIB inférieure aux attentes ?

Il est facile de dire que la faiblesse des taux d’intérêt encourage l’investissement dans des actifs plus spéculatifs. Mais pouvons-nous réellement nous attendre à ce qu’une population plus âgée renforce son exposition à des investissements spéculatifs ? Les investisseurs institutionnels sont confrontés au même dilemme. De quelles options dispose un dirigeant de compagnie d’assurance vie dans l’environnement actuel de taux extrêmement faibles ? Devrait-il renforcer significativement son allocation sur les actions et faire fi des contraintes réglementaires telles que Solvency 2 qui découragent l’investissement dans des actifs risqués ?

Le directeur des investissements d’un fonds de pension devrait-il investir davantage dans des actifs spéculatifs tout en oubliant les chocs de marché de 2002 et 2008, alors même qu’il prône la prudence ?

D’après Mercer, le taux d’actualisation pour un programme de retraite de catégorie intermédiaire au sein de la zone euro a chuté de 6% fin 2009 à 2% fin 2014. En conséquence, le passif s’est envolé. Quelle stratégie adopter face à un tel problème ?

Nous sommes particulièrement préoccupés par cette dépendance excessive à la politique monétaire pour tenter de résoudre nos difficultés. Nous sommes tout aussi préoccupés par l’absence de volonté politique pour tenter de résoudre les problèmes sous-jacents de plus long terme liés à l’absence de flexibilité sur les marchés du travail. Il est essentiel que les gouvernements reconnaissent l’évolution majeure de l’environnement économique qui s’est produite depuis la chute du mur de Berlin il y a vingt-cinq ans.

Nous devons prendre conscience du fait que le cadre juridique et les pratiques professionnelles qui ont caractérisé le monde durant l’essentiel de la seconde moitié du vingtième siècle ne sont plus adaptés à notre Société actuelle.

Nous évoluons d’un monde de production vers un monde de services, d’un monde statique aux frontières bien définies vers un monde plus ouvert et plus concurrentiel. Nous ne pouvons rester contraints par des pratiques professionnelles venues d’une époque désormais révolue.

Nous devons naturellement reconnaître les changements qui se sont opérés au sein de la Société. Ce nouvel environnement requiert des mesures de protection dont le public avait à peine conscience il y a encore quelques dizaines d’années. Nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter ce fait. Cependant, nous devons également reconnaître le besoin accru de liberté et de flexibilité dans la manière dont nous travaillons et dans la durée du travail. Il est essentiel que les politiques s’engagent face à ces enjeux. Les politiques monétaires ne pourront qu’apporter un répit temporaire. Une dépendance extrême aux mesures des banques centrales ne sert qu’à générer un environnement artificiel susceptible d’alimenter une bulle d’actifs sans réel fondement.

Les banques centrales à travers le monde, notamment aux États-Unis, restent hantées par le spectre du ralentissement économique et de la déflation. Il est possible que nous soyons à l’aube d’une période prolongée de morosité et stagnation économique à la japonaise.

Les taux d’intérêt pourraient rester bas pendant encore un certain temps, mais il convient de garder à l’esprit que la psychologie des investisseurs est particulièrement instable et leur appétit pour des obligations émises par des gouvernements excessivement endettés pourrait rapidement se tarir.

Ce revirement de sentiment sur les marchés pourrait être déclenché par plusieurs facteurs, tels qu’un changement inattendu des anticipations inflationnistes, une hausse soudaine des prix des matières premières, une vive remontée des exigences salariales sans corrélation directe avec une amélioration de la productivité ou, pire encore, une perte de confiance dans la valeur de réserve des monnaies. Les taux d’intérêt ont atteint des points bas extrêmes. Il convient de garder ce facteur à l’esprit et d’investir avec mesure et prudence.

George M. Muzinich Mars 2015

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