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Reporting extra-financier : le gouvernement veut éteindre un feu de forêt au pistolet à eau

Une version provisoire de ce décret a fait l’objet d’une consultation en février 2021. Durant celle-ci, Reclaim Finance et les Amis de la Terre ont identifié de nombreuses lacunes concernant notamment les informations relatives aux plans d’alignement ou de réduction des émissions, l’intégration de ces stratégies à la gouvernance de l’entreprise, et les services financiers octroyés...

Le gouvernement a publié le décret d’application de l’article 29 de la loi énergie climat de 2019, sensé rénover le cadre français de “reporting” extra-financier [1]. Alors que le ministre de l’Economie et des Finances se félicite d’un “texte majeur” qui “confirme l’ambition forte de la France en matière de finance verte”, les Amis de la Terre France et Reclaim Finance constatent que le décret laisse aux acteurs financiers de nombreuses possibilités pour dissimuler des activités incompatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris. Surtout, les ONG soulignent que ces règles, qui se contentent de demander plus de transparence et n’induisent aucune sanction en cas de non-respect, sont dérisoires face à l’urgence climatique.

Le décret d’application de l’article 29 de la loi énergie climat de 2019 vise la publication d’informations supplémentaires sur les stratégies “ESG” et climat des acteurs financiers français, des éléments de plus en plus regardés et qui doivent permettre de s’assurer des impacts environnementaux et de la prise en compte des risques climatiques. Ce décret traduit au niveau national la dynamique européenne d’extension du reporting extra financier [2].

Une version provisoire de ce décret a fait l’objet d’une consultation en février 2021. Durant celle-ci, Reclaim Finance et les Amis de la Terre ont identifié de nombreuses lacunes concernant notamment les informations relatives aux plans d’alignement ou de réduction des émissions, l’intégration de ces stratégies à la gouvernance de l’entreprise, et les services financiers octroyés aux activités les plus polluantes - dont le secteur des énergies fossiles. Les recommandations formulées par les deux ONG n’ont pas été prises en compte dans la version finale du décret [3].

Par ailleurs, les acteurs qui ne publient pas les différentes informations demandées par le décret doivent simplement expliquer pourquoi ils ne peuvent le faire (logique de “comply or explain” [4]). Le texte ne pose ainsi aucune contrainte ni sanction aux établissements qui ne se plieront pas à ces règles de transparence. Ainsi, comme le souligne Olivia Grégoire, Secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable, “Ce décret n’est pas une nouvelle contrainte”.

Paul Schreiber, chargé de campagne chez Reclaim Finance souligne :“En faisant reposer sa politique “finance durable” exclusivement sur la transparence et l’incitation, le gouvernement essaye d’éteindre un feu de forêt au pistolet à eau. C’est d’autant plus problématique qu’avec ce décret le gouvernement ne va même pas au bout de sa logique de transparence. Les indicateurs énergies fossiles sont incomplets, les autres activités très polluantes sont purement et simplement ignorées et la lisibilité des politiques d’engagement et des stratégies climatiques dépendra du bon vouloir des acteurs financiers. Contrairement à ce que le Ministre de l’Economie et des Finances laisse entendre en indiquant que la transparence signifie la redevabilité, les acteurs financiers peuvent même se contenter de justifier la non publication des informations demandées.”

Au-delà du reporting extra-financier, le ministre de l’Economie et des Finances appelle désormais les acteurs financiers à adopter des stratégies de sortie des hydrocarbures non conventionnels. Pourtant, aucune trajectoire commune et aucun mécanisme de suivi n’ont été mis en place. De plus, presque deux ans après, le non-respect des engagements de sortie du charbon pris en juillet 2019 par la Place de Paris n’a pas été sanctionné.

Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la Terre France, souligne ? : “L’urgence est là, ?et même l’Agence internationale de l’énergie le reconnaît : tout nouvel investissement dans les énergies fossiles est incompatible avec un réchauffement de 1,5 °C. Cette réalité n’a pas empêché les quatre plus grandes banques françaises de presque doubler leurs financements aux charbon, pétrole et gaz depuis la COP21. Le simple fait que le ministre érige ces nouvelles micro-mesures en texte majeur sur la finance durable suffit à illustrer son total manque d’ambition sur le sujet. La France s’auto-proclamait leader de la finance verte dès 2017, mais quatre ans plus tard, l’incapacité du gouvernement à impulser la réorientation des flux financiers s’affiche comme un nouveau marqueur de l’échec de sa politique climatique.”

Next Finance Juin 2021

Notes

[1] Communiqué de presse du ministère de l’Economie et des Finances du 2 juin 2021.

[2] Le décret d’application de l’article 29 de la LEC remplace celui issu de l’article 173 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015 et transpose les dispositions du nouveau règlement « ?disclosure ? » européen (« ?Sustainable Finance Disclosure Regulation ? » ou SFRD). Sur plusieurs points, le décret va plus loin que le règlement européen.

[3] Dans leur réponse à la consultation ouverte sur le décret, Reclaim Finance et les Amis de la Terre avaient mis en évidence de nombreuses lacunes qui restent toutes visibles dans la version finale du décret. Il s’agit notamment de :

L’absence de sanction en cas de non-respect. De telles sanctions ne sont même pas proposées comme suites possibles à l’évaluation du dispositif défini à l’article 4 du décret.

L’absence d’indicateur concernant les activités les plus polluantes hors énergies fossiles.

L’insuffisante prise en compte de l’importance de la réduction de la production d’énergies fossiles. Sur ce point, la version finale s’aligne sur le règlement disclosure européen et dépendra donc largement du périmètre de définition des énergies fossiles adopté dans les actes délégués à venir. Notons que, étant donné l’évolution des débats sur la taxonomie européenne, les activités gazières pourraient se trouver comptabilisées à la fois dans la part des activités alignées sur la taxonomie et dans celles liées aux énergies fossiles.

La transparence réduite des politiques d’engagement et de vote actionnariaux, qui rend particulièrement complexe le suivi de politiques qui constituent pourtant le cœur revendiqué de la stratégie climat de nombreux acteurs.

La non prise en compte de l’articulation entre les facteurs de rémunération et gouvernance liés à la durabilité et les autres facteurs.

L’insuffisante transparence de la place des émissions négatives dans les plans climatiques des acteurs et scénarios utilisés, ainsi que de l’impact de celles-ci en matière de durabilité et du risque de non réalisation. Il est à noter que les “émissions évitées” sont aussi mentionnées dans le décret, alors même que celles-ci doivent systématiquement être exclues de toute stratégie climatique.

La limitation des critères minimums proposés en termes d’analyse de risque, notamment ne demandant pas à minima l’utilisation d’un scénario 1,5 °C et d’un scénario 2 °C.

[4] L’article 173 précédent reposait déjà sur cette logique de “comply or explain”. Pourtant, le bilan de celui-ci publié en juin 2020 a mis en évidence le fait que la moitié des acteurs ne respectaient pas le décret. De plus, la Convention Citoyenne pour le Climat demandait un cadre contraignant pour le reporting extra financier.

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