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BCE, aspirateur à obligations

La dernière réunion de la banque centrale européenne (BCE) a déçu plus d’un investisseur. En effet, en étant (presque) totalement consensuelle, l’institution de Frankfurt a décidé de garder quelques « cartouches » dans sa boîte à outils. Pourtant, Christine Lagarde a annoncé une augmentation de 500 milliards...

La dernière réunion de la banque centrale européenne (BCE) a déçu plus d’un investisseur. En effet, en étant (presque) totalement consensuelle, l’institution de Frankfurt a décidé de garder quelques « cartouches » dans sa boîte à outils. Pourtant, Christine Lagarde a annoncé une augmentation de 500 milliards d’euros de son programme d’urgence et prolongé sa durée de 9 mois ce qui n’est pas une mince enveloppe. Ces annonces d’envergure devraient même avoir des effets secondaires très importants pour les dettes gouvernementales européennes. Synthèse et analyse.

a. Les faits

Face à la violence de la deuxième vague de coronavirus, la BCE a décidé d’agir fortement lors de la réunion du jeudi 10 décembre. En partant du constat que la croissance européenne allait être impactée négativement ces prochains mois malgré la découverte d’un vaccin, le conseil des gouverneurs a décidé, comme largement anticipé, d’amplifier et de prolonger son programme de rachats d’actifs d’urgence lié à la pandémie (PEPP). Augmentée de 500 milliards d’euros, son enveloppe totale atteint désormais 1850 milliards. Et les rachats de dettes pourront se poursuivre « au moins » jusqu’en mars 2022, soit neuf mois plus tard que la fin initialement envisagée de ce dispositif exceptionnel.

Ce recalibrage lui permettra de continuer d’avaler 3,3 milliards d’euros d’obligations par jour jusqu’à cette échéance. Mais ceci commence à poser quelques problèmes…

b. De moins en moins de papier

Selon une étude de Bloomberg, la BCE devrait détenir environ 43 % du marché des obligations souveraines allemandes d’ici la fin de l’année prochaine et environ deux cinquièmes des italiennes. Cela représente une augmentation par rapport aux 30 % et 25 % respectivement de la fin de l’année 2019.

Le volume des transactions sur les contrats à terme sur le Bund se serait effondré de 62 % depuis que la BCE a commencé à acheter des obligations, tandis que les fourchettes (le spread, c’est-à-dire l’écart entre le Bund et les autres obligations souveraines européennes) ont plongé dans toute l’Europe.

Rappelons que lorsque la BCE a commencé à acheter des obligations en 2015, elle était liée à des règles d’achat strictes afin d’éviter des accusations de financement monétaire. La banque centrale n’était pas autorisée à acheter plus d’un tiers des obligations d’un pays et devait pondérer les achats des États membres de la zone euro en fonction de la taille de l’économie et de la population.

On estime que la poursuite de l’augmentation du PEPP pourrait conduire la BCE à acheter près du double de l’offre nette d’emprunts d’Etat de la zone euro en 2021.

En fait, l’écart entre les rendements des pays les plus sûrs et ceux des plus risqués s’est resserré de la manière la plus importante depuis au moins la crise de 2008. On constate en fait que pour trouver du rendement, il ne faut pas spécialement aller plus loin dans la duration mais aussi plus bas dans les notations.

Rappelons ici qu’hier, le rendement du 100 ans autrichien (2120) n’était que de … 0.37%.

Enfin, comment ne pas prendre le cas de l’Espagne, dont le rendement du 10 ans vient de passer en zone négative, pour la première fois depuis 1788…

Pour le Portugal, c’est 1806.

c. La BCE devient-elle la BoJ

La question aujourd’hui est bien évidemment de savoir si la BCE n’est pas en passe de se « muer » en Banque du Japon (BoJ). En effet, on a constaté que le marché des obligations au Japon s’est transformé en « mort vivant » ces 10 dernières années et certains jours, il ne se traiterait pas une obligation d’Etat. C’est paradoxal car on estime qu’il existe plus de 8’000 milliards de dollars de dette japonaise.

C’est cependant la Banque du Japon qui en détiendrait environ la moitié, et parfois près de 90 % des émissions individuelles.

Pour cette raison, la BoJ, après avoir asséché le marché des obligations souveraines, a décidé de se rabattre sur les actions. Et le constat est le même. Selon les estimations de l’institut de recherche NLI, la Banque du Japon est devenue en novembre le plus grand détenteur des actions du pays, la valeur totale de ses avoirs dépassant le record de 45’000 milliards de yens.

Pour mémoire, les achats d’ETF de la BOJ ont véritablement commencé en 2010 (la BOJ avait déjà acheté des actions auparavant, mais d’une moindre ampleur) et se sont accélérés par la suite dans le cadre du plan de relance sans précédent du gouverneur Haruhiko Kuroda visant à revitaliser l’économie.

La BOJ a par ailleurs encore renforcé son programme de soutien cette année, l’épidémie de coronavirus ayant fait chuter les marchés des actions, en déclarant en mars qu’elle pourrait potentiellement acheter pour 12’000 milliards de yens d’ETF japonais cette année, soit le double de son objectif annuel. Après quelques mois d’achats massifs, le rythme s’est ralenti, et il est probable que le total pour 2020 sera inférieur à la nouvelle limite théorique.

d. La BCE n’est pas (encore) la BoJ

Imaginer que la BCE puisse se porter acquéreuse d’actions tout comme la BoJ était totalement exclu en début d’année. L’arrivée du coronavirus a bien évidemment changé la donne. En juin dernier en effet, Robert Holzmann, membre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, répondait à la question de savoir si la BCE pourrait un jour élargir ses rachats de titres aux actions, et ne plus seulement les limiter aux obligations souveraines ou d’entreprises : « Il ne faut jamais dire jamais. Si la nécessité est là, cette discussion devra assurément avoir lieu. Mais actuellement cette discussion n’existe pas ».

On imagine bien que c’est un thème sensible qui pourrait devenir une option dans deux cas précis. Tout d’abord en cas de choc amenant le marché des actions à s’effondrer d’une manière plus ample qu’en mars dernier en devenant ainsi un (quasi) risque systémique.

Ensuite, on peut aussi imaginer que si les rachats d’obligations devenaient encore plus importants en 2021 (tout comme dans la durée), un marché obligataire « sec » pourrait forcer la BCE à ce type d’achats, admettant indirectement que même les mesures extraordinaires semblent avoir atteint leurs limites.

Enfin, l’inflation restant très éloignée des objectifs, des achats d’actions à grande échelle constituent désormais un recours crédible.

Evidemment, les critiques de cette option soulignent que des rachats d’actions exposeraient les banques centrales à un risque excessif de dépréciation de leurs actifs et qu’elle ne serait pas très éloignée d’une politique de nationalisation.

Rappelons finalement que la Fed achète également des ETF d’obligations d’entreprises mais pas encore d’ETF actions. e. Synthèse

Le sujet est récurrent, mais il commence de plus en plus à avoir une influence sur les obligations souveraines européennes. Ajoutez à cela la mutualisation de la dette, on peut facilement imaginer qu’en cas de violente 3ème vague de coronavirus, la BCE pourrait encore augmenter ses achats d’actifs et assécher, encore un peu plus, le marché obligataire européen. Avec les conséquences que l’on connaît.

John Plassard Décembre 2020

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