Contrairement à la théorie financière classique, qui émet l’hypothèse que les acteurs économiques sont rationnels et que les prix s’ajustent sur le marché en fonction de l’évolution de facteurs fondamentaux, la théorie comportementale émet l’hypothèse qu’un certain nombre de biais sont également susceptibles d’influencer les prix. Ces biais peuvent être cognitifs, liés par exemple à la façon dont notre cerveau traite l’information : ainsi quand nous sommes convaincus de la direction du marché, notre cerveau aura naturellement tendance à occulter/réfuter toute information n’allant pas dans notre sens. Ils peuvent être liés à notre aversion naturelle pour la perte, qui peut conduire à ne pas vendre un titre en fort déclin ("pas vendu, pas perdu !") ou, pire, à renforcer sa position à la baisse, dans l’espoir de "se refaire". Ces biais peuvent être émotionnels (espoir, fierté, panique, euphorie...) ; individuels ou collectifs (liés par exemple à la psychologie des foules...) ; et peuvent même aller jusqu’à influencer les fondamentaux (cas de la prophétie auto-réalisatrice) !
Les implications en termes de risque pour l’investisseur sont importantes : même en supposant qu’il est possible pour l’individu de s’affranchir de ses propres biais comportementaux, le marché peut, lui, rester éloigné de ses fondamentaux pendant des périodes parfois très longues : comme le soulignait Keynes - qui en savait quelque chose - "les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne resterez solvable."
Mais la finance comportementale est-elle un phénomène nouveau ? Pas vraiment. Si, grâce aux technologies de l’information notamment, les marchés d’aujourd’hui n’ont pas grand-chose à voir avec ceux de nos parents et grands-parents, une constante semble être le caractère humain, et par conséquent parfois irrationnel, de ses intervenants. En effet, l’intuition comportementale trouve de nombreuses illustrations dans l’histoire économique, bien avant qu’elle ne soit formalisée par les prix Nobel Kahneman et Tversky dans les années 1970. On en trouve des traces dans le classique de Charles McKay de 1840 Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds. Un siècle auparavant, déjà, Sir Isaac Newton déclarait au sujet de la bulle de la Compagnie des Mers du Sud qu’il pouvait "calculer les trajectoires des corps en mouvements, mais pas la folie des hommes". Quant à Jesse Livermore, trader légendaire qui s’illustra lors des crises de 1907 et 1929, il formulait dès 1939 l’hypothèse que "de tous temps, l’investisseur a du lutter contre des hordes d’ennemis qui lui coûtent très cher, et qui sont tapies au plus profond de lui-même : l’ignorance, la cupidité, la peur et l’espoir, qui sont inhérents à la nature humaine".
Des tulipes hollandaises au début du XVIIème siècle à la panique de 2008, les tendances, les thématiques d’investissement vont et viennent ; les erreurs de comportement des investisseurs restent les mêmes...