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Et s’il était devenu inutile de prévoir les évolutions des marchés financiers ?

Le titre de cet article peut paraître provocateur. Mais il doit interpeller sur une évolution à nos yeux inquiétante : les marchés financiers (tout du moins pour certaines classes d’actifs) sont-ils en train de disparaître ?

En effet, l’on considère que le marché financier est le lieu où se rencontrent une offre et une demande pour des actifs financiers dans un cadre concurrentiel (ceux qui ont suivi des cours de microéconomie se souviendront de la définition du marché comme un espace d’échange entre une infinité d’acheteurs et une infinité de vendeurs sans asymétries d’information). Or force est de reconnaitre que certains marchés financiers ne fonctionnent plus comme des marchés libres mais sont « manipulés » par des politiques non conventionnelles

  • Les marchés interbancaires remplacés par les banques centrales lorsqu’il s’agissait de faire circuler la liquidité et la généralisation des refinancements non conventionnels
  • Les marchés obligataires sur titres de dette privée et surtout publique avec la mise en œuvre des quantitative easing et donc la disparition du fonctionnement concurrentiel de ces marchés (présence d’un acheteur massif en dernier ressort nommé banque centrale avec toutes les conséquences que cela implique en termes de mispricing de nombreux actifs obligataires- on y reviendra)

Dans un tel contexte, les réflexes traditionnels d’analyse des marchés financiers deviennent de plus en plus inappropriés

  • Aujourd’hui, il devient presque inutile de savoir si tel actif ou tel actif va monter ou baisser en regardant les fondamentaux ou les primes de risque.
  • De même, l’on finit par se demander à quoi cela sert-il de mettre en place une allocation d’actifs en fonction de considérations macroéconomiques (anticipations de politique monétaire, d’inflation et de croissance), en fonction de considérations microéconomiques (Price earning ratio des entreprises) et en fonction des modèles traditionnels d’optimisation du couple risque-rendement (les corrélations historiques entre classes d’actifs volent en éclat et il y a bien longtemps que les classes d’actifs les plus risquées ne sont plus forcément les mieux rémunérées)

Il s’agit plutôt pour prévoir les évolutions des marchés financiers de mettre en place des scénarios sur le comportement et la situation des banques centrales

Nous vivons désormais dans un monde de bulles d’actifs financiers et les marchés semblent s’en accommoder. La question est effectivement de savoir en 2015 ou après si l’on continue avec des bulles de plus en plus grossières ou si certaines d’entre elles éclateront. On en revient donc au fameux débat sur ce qui doit ou va driver les marchés : la liquidité des banques centrales ou les fondamentaux.

Passons alors en revue ces scénarios banques centrales

SCENARIO 1 : LA SITUATION DE BULLES PERDURE SUR LES MARCHES FINANCIERS PENDANT ENCORE « LONGTEMPS »

La création monétaire par les grandes banques centrales (donc la liquidité monétaire mondiale) va continuer à progresser. L’anticipation de la fin progressive du quantitative easing dès juin 2013 aux Etats Unis et sa fin officielle en octobre 2014 ont été et seront largement compensées par la forte création monétaire en zone Euro (via la liquidité exceptionnelle allouée aux banques, via les programmes d’achats d’actifs type ABS et Covered Bonds depuis début octobre 2014 et enfin via le QE sur titres publics qui démarrera en mars 2015 ) ainsi que par les programmes d’assouplissement quantitatif de la Banque du Japon (avril 2013 et amplification en octobre 2014)

Chacun sait que cette création monétaire mondiale en progression constante ne peut qu’entraîner

  • des bulles d’actifs financiers de plus en plus délirantes qui repoussent dans le futur des crises financières encore plus violentes et incontrôlables. L’investisseur va chercher du rendement sur des classes d’actifs de plus en plus risquées parce que les actifs prétendus les plus sûrs – comme les emprunts d’État – rapportent de moins en moins
  • des distorsions crées par des niveaux de taux anti-économiques (compte tenu d’un nouvel environnement absurde et dangereux de taux proches de zéro voire négatifs) avec une allocation de liquidité au mauvais endroit, un développement de l’économie de la rente et non de l’économie du capital qui produit des richesses
  • une absence d’incitation au niveau de certains gouvernements à réformer et réduire les gaspillages publics et donc l’insoutenable surendettement public.

Comment adapter son allocation d’actifs à ce scénario ?

La création monétaire sera utilisée par ceux qui la reçoivent (banques, investisseurs institutionnels, ménages) pour acheter des actifs et pas seulement des actifs domestiques mais des actifs libellés en devises

Ceci doit conduire à anticiper la poursuite de l’affaiblissement de l’euro et du yen relativement au dollar et au sterling et donc

- Baisse de la parité euro/dollar (sauf revirement brutal des anticipations de hausse des FED FUNDS en 2015)

- Hausse des parités dollar/yen et sterling/yen (sauf forte aversion au risque provoquée par des événements géopolitiques et/ou rapatriements de capitaux des investisseurs japonais)

- Volatilité et trading range sur la parité sterling/dollar (haussière quand on aura le sentiment que la BOE sera plus agressive dans son cycle de remontée des taux directeurs ou/et la FED moins agressive ; baissière dans le cas contraire)

- Volatilité et trading range sur la parité euro/yen (haussière quand on aura le sentiment que la BOJ sera plus agressive que la BCE dans son assouplissement quantitatif et baissière dans le cas contraire)

Au-delà des mouvements de change, un investisseur aura intérêt à être diversifié sur toutes les classes d’actifs financiers traditionnels. En considérant que la liquidité mondiale continuera à progresser, le prix moyen des actifs financiers continuera à monter et l’investisseur pourra absorber un krach temporaire sur une classe d’actif donnée. D’autant qu’un krach rendra encore plus accommodantes les banques centrales. Il s’agit d’une allocation d’actifs cynique et qui parie sur le maintien partiel ou total des puts banques centrales. Ce type de stratégie s’appuie également sur le chantage implicite des marchés financiers aux banquiers centraux : ne retirez pas de liquidités, rajoutez-en via des QE de préférence, ne faites surtout pas baisser la taille de vos bilans, sinon… les marchés financiers s’effondreront toutes classes d’actifs confondues et avec nous les banques, assureurs et toute l’économie . Voilà donc une situation tout à fait inédite qui va permettre encore un temps (2015, 2016, 2017 voire au-delà) aux marchés de bénéficier de l’aléa moral. Certains pourraient finir par se demander pourquoi l’on perd son temps à faire des prévisions sur les marchés financiers. Cette question peut sembler légitime mais nous considérons plutôt qu’il faut passer beaucoup de temps à comprendre cette situation inédite sur les marchés financiers, situation pour laquelle nous n’avons aucun repère historique et situation ou la notion traditionnelle de cycle de politique monétaire est « abolie »

On se dirige en tout cas vers une situation de banques centrales à deux visages (le meilleur exemple est la BCE) : très « laxiste » sur le plan de la politique monétaire mais très « dure » sur le plan des contraintes prudentielles. Ne pouvant remonter leurs taux avant très longtemps (sinon crise bancaire sans précédent), la BCE, désormais superviseur de 130 banques de la zone Euro, va inciter les banques à réduire de plus en plus leur profil de risque (solvabilité, liquidité, risque de taux,..) afin que celles-ci puissent absorber la première hausse des taux dans les 3-5 ans qui viennent

Ce scénario devient donc le scénario central, celui de la négation du fonctionnement normal des marchés financiers

SCENARIO 2 : VERS UNE FAILLITE DES BANQUES CENTRALES

Avec les nouveaux dispositifs de sauvetage des banques (réglementations prudentielles obligeant les établissements bancaires à améliorer en permanence leurs ratios de solvabilité et de liquidité) et le renforcement des capacités de mobilisation du MES (mécanisme européen de stabilité qui remplace le Fonds européen de stabilité financière) pour venir éventuellement au secours d’états insolvables, il semble que les risques systémiques provoqués par la faillite d’une grande banque ou/et le défaut d’un état de la zone Euro ont considérablement diminué Puisque les risques portés par bilans des institutions privées seront de plus en plus transférés sur le bilan de la banque centrale (on parle ici de la BCE), l’on peut se demander si celle-ci ne va pas devenir la bad bank par excellence.

La banque centrale européenne va accumuler à l’actif de son bilan de plus en plus de titres privés (depuis les annonces de septembre 2014 sur les achats d’ABS et de Covered Bonds) et de titres publics surtout via les banques centrales nationales des pays de la zone Euro (depuis la réunion du 22/01/2015). Les risques de dégradation de la qualité du bilan de l’institution sont donc réels dans les mois et années qui viennent.

D’ailleurs, en Allemagne, on s’inquiète officiellement de ces évolutions

  • Le dirigeant de la banque centrale allemande, Jens Weidmann, jugeait en début d’année que la Banque centrale européenne (BCE) achetait des actifs "de faible qualité". "Les risques en matière de crédit pris par les banques privées vont être transférés vers la banque centrale et donc vers les contribuables, sans compensation adéquate", selon le banquier central.
  • Le ministre bavarois des Finances, Markus Söder, allait encore plus loin en affirmant : "Nous craignons de plus en plus que la BCE devienne ainsi une « bad bank » "
  • Le président des Caisses d’épargne allemandes, Georg Fahrenschon, soulignait, pour sa part, que la BCE créait un cercle vicieux avec sa politique monétaire actuelle : "Avec des taux bas, il est plus facile pour les pays européens en crise de contracter de nouvelles dettes, plutôt que de se confronter aux problèmes et de mettre en place des réformes"

Alors on aura beau jeu pour des raisons idéologiques de s’agacer de cette orthodoxie allemande. Mais la réalité, c’est que ces responsables ne font que confirmer des lois économiques qui ne peuvent être transgressées sans dommage.

Dès lors on est en droit de se poser la question essentielle suivante : est-ce qu’une banque centrale en général (et la BCE en particulier) peut faire faillite ?

C’est peu probable.

En créant de la monnaie, la banque centrale émet une dette sur elle-même non remboursable, en tout cas tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve.

Et puis une banque centrale n’a pas forcément besoin de se recapitaliser suite à des pertes sur actifs vendus (comme devrait le faire une banque « normale ») et rien n’empêche – même si cela fait désordre – une telle institution de vivre avec des fonds propres négatifs (tout du moins en deça du niveau statutaire minimal requis par ses statuts). Des banques centrales comme celles de la République Tchèque et celle du Chili affichent des fonds propres « négatifs » depuis de nombreuses années

Il existe juste un double risque de fuite devant la monnaie (considéré comme très théorique par tous ceux qui ont vécu dans les grands pays de l’OCDE depuis la seconde moitié du XXème siècle mais très parlant pour ceux qui doivent vivre aujourd’hui dans l’anarchie monétaire de pays comme l’Argentine, le Zimbabwe ou l’Ukraine)

- Fuite devant sa propre monnaie : avec les liquidités reçues de la BCE suite à ses achats d’actifs, les investisseurs vendent de l’euro et achètent des actifs libellés en devises étrangères. On assiste alors à un effondrement de la monnaie créée. Ceci étant si toutes les banques centrales mettent en place des quantitative easing en même temps, on peut imaginer que les ventes d’euros par les résidents de la zone Euro peuvent être plus ou moins compensées par des achats d’actifs libellés en euros par les non résidents.

- Fuite devant la monnaie tout court. Les épargnants craignent alors l’inflation ou la dépréciation du change (d’ailleurs provoquée en partie par les épargnants eux-mêmes), anticipent une érosion du pouvoir d’achat de la monnaie et décident de se « débarrasser » d’elle en achetant des actifs réels.

Il existe donc un risque aujourd’hui plutôt théorique, celui d’une crise des monnaies fiduciaires et donc une crise de la légitimité des banques centrales. Même si l’inflation et l’hyperinflation ne sont pas vraiment d’actualité (création monétaire abondante qui ne peut pas pour l’instant se transformer en croissance des masses monétaires pour cause de désendettement des agents économiques privés, de surcapacités de production et de partage de la valeur ajoutée qui reste globalement défavorable aux salaires), les risques de défiance vis-à-vis des banques centrales et des monnaies traditionnelles sont très élevés à terme.

SCENARIO 3 : LA CREATION MONETAIRE MISE AU SERVICE DU DESENDETTEMENT PUBLIC

« La création de monnaie se ferait en créditant les comptes des trésors publics (et non plus ceux des banques), lesquels pourraient utiliser ces ressources pour rembourser leur dette publique ou accroître leur financement budgétaire », imagine Gaël Giraud, jésuite et directeur de recherche au CNRS, spécialiste des questions financières, dans un article de la Revue-banque. Cela réduirait une source majeure d’augmentation des dettes publiques. « En effet, n’était le coût du service de la dette que le Trésor français supporte depuis la loi de 1973 interdisant les avances de la Banque de France au Trésor, la dette publique française serait inférieure à 30 % du PIB. »

On assisterait alors à une pénurie de crédit et à une situation déflationniste. Encore que l’explosion de la création monétaire (accroissement du bilan des banques centrales) n’ a pas permis de faire progresser dans les mêmes proportions la masse monétaire ; ce qui signifie que l’argent crée n’a pas irrigué l’économie réelle par une forte croissance du crédit.

Et puis de toute façon, la déflation n’est pas négative en soi

  • Si vous interrogez les gens, ils vous diront que la déflation ne peut pas être négative puisqu’elle vous redonne du pouvoir d’achat
  • Les vrais libéraux vous diront que le capitalisme est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres et qu’un fonctionnement efficace de l’économie devrait être déflationniste : en produisant plus et mieux avec le minimum de ressources
  • La déflation n’est nuisible que pour les agents économiques qui portent de la mauvaise dette avec des taux d’intérêts qui deviennent plus élevés. A l’inverse, elle récompense les agents qui sont solvables et bien endettés et qui peuvent ainsi se payer le luxe de rembourser par anticipation leurs emprunteurs.

Ce scénario est très peu probable sur un horizon court terme 2016-2018. On va donc privilégier la poursuite du scénario de laxisme monétaire sur les 5 ans qui viennent avec cependant des mini krachs d’actifs qui seront vite absorbés par des épisodes de création monétaire renforcée.

DONC SUR UN HORIZON COURT ET MOYEN TERME IL EST DIFFICILE D’ANTICIPER LE RETOUR DES KRACHS TRADITIONNELS DU PASSE

Certes les catalyseurs de violents krachs sont plus que jamais présents

  • Deconnexion de plus en plus flagrante entre fondamentaux et valeur de actifs
  • Des banques centrales avec des bilans de plus en plus fragilisés par la détérioration de la qualité des actifs détenus
  • Donc des phénomènes de dépréciation des monnaies papier (guerre des changes puisque toutes les monnaies ne peuvent pas baisser en même temps, relativement à toutes les autres)
  • Mais aussi des phénomènes de dépréciation des monnaies papier par rapport aux actifs réels (fuite devant la monnaie)
  • Potentiel inflationniste énorme (la monstrueuse création monétaire a conduit à une inflation des actifs financiers et pas encore à une inflation sur les marchés des biens et services). Une forte inflation serait nécessaire pour réduire artificiellement le surendettement public puisque l’on ne pourra pas compter sur la croissance (pour cause de vieillissement démographique et de retour du protectionnisme)

Mais nous pensons plutôt qu’il y aura sans doute de nombreuses secousses notamment sur les actifs considérés comme les plus surévalués au regard de leurs fondamentaux (certaines dettes publiques euro type Italie , France, certaines actions , high yield, émergents) , donc des mini krachs .. mais au moindre mini krach, il y aura des anticipations d’agressivité monétaire des banques centrales type BCE et BOJ et des anticipations de report dans le temps du resserrement monétaire (voir sur excès de remise en place de Quantitative easing) de la part de la FED et de la BOE

Mory Doré Mars 2015

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