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Evolutions des pratiques des banques centrales : de l’independance à la monetisation

Retour sur l’évolution du rôle et comportement des banques centrales depuis plus de 20 ans : indépendance vis-à-vis du pouvoir politique hier, mise en place de politiques monétaires très accommodantes et mesures de plus en plus non conventionnelles aujourd’hui, supervision prudentielle des banques (notamment pour la BCE) demain.

On se souvient, durant les années 1980-1990, de l’absence totale de prévisibilité des banques centrales en matière d’évolution de leurs taux directeurs. Il s’agissait, à l’époque, de réaffirmer haut et fort son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique dans un contexte ou la notion de risque systémique bancaire (telle que nous la connaissons depuis les années 2007-2008 avec une finance de plus en plus mondialisée) n’avait pas l’intensité dramatique d’aujourd’hui.

Ceci était vrai de la Bundesbank allemande qui prenait souvent les marchés à contrepied. Mais aussi de la Réserve Federale américaine. Les plus anciens se souviendront que le krach obligataire de 1994 était parti d’une décision totalement inattendue par les marchés de relèvement des taux directeurs US par le FED le 04/02/1994 et partant de mise en place d’un cycle de politique monétaire restrictive pour lequel personne n’était préparé.

Les banques centrales ont longtemps vécu avec l’idée que leur crédibilité était très élevée et cru que les conséquences en avaient été une forte réduction de la variabilité du cycle conjoncturel : croissance, inflation, taux d’intérêt. Toutes choses de nature à stabiliser les anticipations des agents économiques et donc à créer des conditions de croissance durable.

En fait , il ne s’agissait que d’illusions puisqu’il y a eu transfert de la variabilité du cycle vers celle des prix des actifs avec excès de liquidité puis crises à répétition liées à l’éclatement des bulles (avec parmi les éclatements les plus spectaculaires les actions en 2000, l’immobilier subprime US en 2007, les dettes souveraines périphériques de la zone Euro en 2010-2011, les émergents en 2013,…)

Le comportement des banques centrales en matière de prévisibilité a donc bien changé. En effet, la communication et l’ancrage des anticipations sont quasiment tout ce qu’il reste aux banques centrales pour créer les conditions de la stabilité dans un contexte ou tout a été essayé en matière de mesures traditionnelles et moins traditionnelles de politique monétaire et dans un contexte ou chaque mot doit être pesé pour ne pas déstabiliser des marchés qui surréagissent aussi bien dans l’euphorie que dans le catastrophisme.

Oui, tout a été essayé ou presque. Les marges de manœuvre en termes d’assouplissement du crédit sont devenus quasiment inexistantes avec la baisse jusqu’à près de 0 % des taux directeurs des « grandes » banques centrales. Par ailleurs, les mesures non conventionnelles (avec le Quantitative easing direct de la FED et de la BOE et le quantitative easing indirect de la BCE sous la forme des VLTRO...) ont montré – malgré leur urgence et nécessité – leurs limites tant microéconomiques que macroéconomiques

Urgence et nécessité avons-nous dit puisqu’une banque centrale comme la BCE fut contrainte à être acheteuse en dernier ressort avec la monétisation de la dette d’États (le SMP pour Securities Market Programm de la BCE) dont le déficit budgétaire n’était plus finançable sur les marchés ; elle fut contrainte aussi d’être prêteuse en dernier ressort aux banques sur des opérations de plus en plus exceptionnelles sur des durées de plus en plus « anormalement » longues avec les LTRO et les VLTRO.

L’arsenal des mesures non conventionnelles avait été étoffé depuis le conseil de la BCE du 6 septembre 2012 avec les OMT (pour Outright Monetary Transactions). Ce dispositif avait surtout pour but de casser la spéculation déstabilisante vis-à-vis de certaines dettes publiques des états budgétairement fragiles de la zone Euro. Et ces achats potentiels n’auront finalement pas eu besoin d’être activés jusqu’à présent grâce à l’arrêt de la spéculation sur les dettes périphériques de la zone Euro.

Mais c’est durant l’année 2013 que les stratégies de communication vont être institutionnalisées avec ce que l’on appelle dans le jargon des marchés financiers la forward guidance. Cela consiste pour la banque centrale à s’engager clairement sur la trajectoire future des taux directeurs et donc à désamorcer toute déstabilisation des marchés obligataires.

  • Il y a tout d’abord l’ « open-ended guidance », adopté notamment par la BCE depuis juillet 2013 et qui consiste solennellement à annoncer que les taux directeurs resteront bas pendant une très longue période.
  • De manière plus précise, il y a ce que l’on appelle le "time-contingent guidance", qui consiste à indiquer une date avant laquelle un changement de politique monétaire devrait intervenir (histoire là encore de préparer les marchés et d’éviter les krachs d’actifs financiers).
  • Et les stratégies de communication vont même aller plus loin avec le « state contingent threshold based guidance ». Cette stratégie consiste à fixer explicitement un seuil pour certains indicateurs macroéconomiques : par exemple le fameux seuil pour le taux de chômage de 6.5 % pour la FED et de 7 % pour la Bank of England, seuil en deçà duquel une inflexion de la politique monétaire est censée intervenir. Mais l’on constate de sérieuses limites à cet exercice puisqu’il y a débat sur le véritable niveau des indicateurs fixé par les banquiers centraux. Qui plus est, il y a également incertitude sur les indicateurs qui sont réellement considérés comme prioritaires dans le suivi de la politique monétaire. Il semble aujourd’hui qu’une statistique telle que les capacités de production inemployées de l’économie intéresse plus les banquiers centraux que le seul taux de chômage (ce qui en soi est pertinent puisque le niveau d’utilisation des capacités de production est un bon indicateur avancé de l’inflation future)

En tout cas, malgré la forward guidance et la fixation de suivis quantitatifs d’indicateurs, la gestion de la politique monétaire n’est pas une science exacte. Si bien qu’il n’est pas forcément évident de savoir quand les banques centrales rendront leurs politiques monétaires vraiment un peu plus restrictives dans le futur – si tant est qu’elles le décident – et elles auront en réalité beaucoup de difficultés dans leur communication.

De toute façon, le dilemme des banques centrales quant à l’orientation des politiques monétaires persiste plus que jamais

- Soit elles mettent un terme brutal à leurs politiques monétaires accommodantes (retrait de liquidité, hausse des taux), auquel cas l’on assiste à une généralisation de krachs sur de nombreuses classes d’actifs et donc à une crise bancaire sans précédent ainsi qu’à des chocs patrimoniaux violents ;

- Soit elles maintiennent durablement leurs taux directeurs à très bas niveau durablement (dans un contexte de liquidité mondiale qui ne baisserait pas malgré les moindres achats d’actifs financiers par la Fed et les moindres excédents commerciaux des économies émergentes), auquel cas la surévaluation des actifs financiers deviendra de plus en plus délirante, les excédents de liquidité ne seront pas forcément alloués à des projets économiquement rentables et socialement utiles , les risques inflationnistes éclipseront les fantasmes déflationnistes …

On comprend donc mieux le pilotage à vue des banques centrales et l’extrême précaution dans la normalisation de la politique monétaire (aux Etats-Unis notamment depuis la mise en place du tapering). On comprend mieux aussi la nécessité de sur-réglementer le système bancaire avec Bale 3 et avec en Europe le futur nouveau rôle de superviseur bancaire de la BCE (fixe pour le 04/11/2014 une fois digérés l’Asset Quality Review et les stress tests des 128 banques qui relèveront de son périmètre de responsabilité). Situation en tout cas totalement inédite avec un double rôle pour la banque centrale : pilotage traditionnel de la politique monétaire et supervision prudentielle des banques

  • D’une part, la BCE, comme ses consoeurs, ne peut pas sortir brutalement de sa politique monétaire accommodante et mettre un terme aux dispositifs non conventionnels sous peine de provoquer une crise systémique bancaire sans précédent. On sait que les banques ont accumulé des énormes positions obligataires à des prix de plus en plus surévalués et financées, pour partie, par des refinancements à des taux monétaires proches de zéro. La BCE ne peut se permettre de remonter rapidement et significativement ses taux directeurs (ce qui renchérirait le coût de portage des positions obligataires) et de créer ainsi les conditions d’apparition d’un krach obligataire (ce qui viendrait dévaloriser les actifs détenus dans les bilans bancaires et impacter négativement les fonds propres des établissements bancaires)
  • D’autre part, la BCE sait qu’elle devra dans un avenir même lointain rendre sa politique monétaire plus restrictive. Aussi afin d’éviter un krach bancaire systémique, elle a pour mission d’insensibiliser le plus possible les banques aux remontées de taux futures. Ceci passe donc par des contraintes réglementaires toujours plus fortes sur les règles de liquidité (favorisant l’accumulation de cash au détriment du financement de l’économie), les règles de solvabilité (provisionnement systématique des pertes attendues et constitution de coussins de fonds propres supplémentaires – toutes choses qui là encore vont contrarier le financement de l’économie)

Alors le coût économique de ces évolutions réglementaires est certes élevé, mais il le serait encore plus si la BCE inversait brutalement l’orientation de sa politique monétaire.

Mory Doré Juin 2014

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